09.03.06 Communique ICJP Femmes retenues dans les hopitaux

La « détention »  des malades dans certains  hôpitaux, dispensaires, centre de santé, cliniques,… est devenue pratique  monnaie courante dans la province du Sud Kivu. Parmi les victimes, la majorité est constituée des femmes et des jeunes filles.

 

En effet, les femmes, dont la plupart les mères allaitantes et leurs bébés sont pour des raisons de santé obligées de faire recours aux milieux hospitaliers. Quoi de plus normal que cela. Même sans bourse, elles sont contraintes de passer par cette voie. Néanmoins, très peu d’entre elles franchissent l’étape d’imposition du paiement de la caution pour être reçu. Et pour celles qui ont eu le privilège d’être soignées et qui n’ont pas la possibilité immédiate d’honorer les factures des soins   reçus,  il se développe de plus en plus la pratique de les retenir dans l’hôpital jusqu’au moment où elles pourront honorer leurs factures. Concrètement, elles sont placées dans les chambres surnommées « Hôtel » par le personnel médical. Et là, soumises à un traitement dégradant et humiliant de la part des infirmiers et autres personnels médicaux, elles vivent au 21ième siècle dans les pires conditions morales qu’on puisse imaginer pour un être humain aussi vulnérable.

 

Cet état de chose s’explique  lorsqu’on sait qu’avec la guerre qui a sévi et continue à sévir dans la partie Est de la RDC,  la pauvreté a atteint le niveau le plus élevé pour l’ensemble de la population congolaise et plus particulièrement pour la femme.

Retenues et soumises dans les conditions infrahumaines, les victimes courent les risques de rechute et même de contamination par d’autres maladies développées par leurs voisins. Les gardes malades ne sont pas aussi épargnés.

 

Le problème se complique quand on sait  que pour la plupart de femmes, jeunes filles et gardes malades, les membres de leur famille raréfient les visites faute de moyen de peur d’assumer la responsabilité de payer les frais exigés par les médecins.

 

Par conséquent, les victimes sont tellement isolées qu’on aurait de la peine à ne pas les comparer aux personnes détenues dans les amigos et autres cachots militaires de la place. Pendant tout ce temps de détention, elles sont contraintes à l’incapacité à pouvoir se libérer de l’obligation  de payer les factures des soins médicaux.

 

À notre connaissance, il n’existe aucune disposition légale qui prévoit cette mesure. La liberté étant la règle, la restriction de la liberté individuelle est une mesure exceptionnelle prévue dans certains cas de violation de la loi pénale et  seul le juge est  compétent de se prononcer là-dessus. En aucun cas, le fait de n’avoir pas exécuté  l’obligation de  payer les soins médicaux serait  constitutif d’une infraction en droit congolais d’autant plus que la créance que le médecin peut avoir sur le malade est d’ordre purement civil.

 

Aussi, n’est ce pas vrai que le célèbre serment d’Hippocrate recommande aux médecins, infirmiers et aux autres personnels de santé à privilégier la prise en charge d’une personne malade avant toute autre considération de quelque nature que soit. 

 

L’on  donne plutôt au personnel soignant la possibilité de se faire payer, sur fond de l’article 245 du Code Civil Livre 3, sur les biens présents et futures de leur  débiteur, les malades dans le cas espèce, constituant le gage commun des créanciers.

 

Grâce à l’agriculture et au petit commerce, activités de haut risque pour le moment, la femme reste la productrice principale du ménage et constitue un pilier économique important pour la famille, même si l’insécurité ne la permet plus d’être à la hauteur de ses devoirs : nourrir sa famille, en supporter les soins médicaux, faire étudier les enfants, etc.

 

Cela étant, lorsque la femme, malade ou garde malade, se trouve présentement dans l’impossibilité d’honorer ses engagements, le médecin peut se faire payer sur ses biens présents ou qu’il pourra acquérir. Ainsi, il est, aux yeux de tout observateur, préférable que les médecins et infirmiers privilégient d’abord la liberté du patient que sa mise en quarantaine.

 

Les exemples sont légion. Le cas de madame Y  au centre hospitalier de Kadutu, dans la commune de Kadutu et de 12 femmes dont nous taisons les identités  en provenance du territoire de Walungu retenues en janvier 2006 au dispensaire d’une formation médicale à Chahi, dans la commune d’Ibanda, ville de Bukavu sont éloquents.

 

Le comble du problème ce que, au dispensaire de 8e CEPAC de Chahi, la plupart de ces femmes enceintes à la suite des violences sexuelles dont elles ont été victimes n’ont bénéficié d’aucune  mesure de faveur. Celles ci ont accouché et ont été retenues au dispensaire de Chahi pour n’avoir pas honoré leur facture des soins médicaux. Convalescentes de leur état, elles ont été soumises à des travaux forcés, en contrepartie du montant de la facture, avec tous les risques que cela comporte.

 

L’objet de cette réflexion  est entre autres de confronter les réalités des milieux hospitaliers  à la législation nationale congolaise en la matière et  d’en  dégager des écarts  existant entre le normatif et la pratique.

 

Le constat malheureux ainsi dégagé de cette forme de violence dont sont victimes les femmes et les jeunes filles pour la majorité de cas appelle des actions concrètes qui doivent être dirigées vers tous les intervenants. En effet, les ONG de la société civile tout comme l’Etat, la communauté internationale et les victimes ont des rôles à jouer dans la lutte contre  cette forme de violence qui se développe.

 

C’est ainsi qu’en ce 8 mars 2006, pendant que toutes les femmes du monde entier fêtent la Journée Internationale de la Femme, Initiative congolaise pour la Justice et la Paix, ICJP en sigle, profite de l’occasion pour attirer l’attention des uns et des autres sur cette pratique malheureuse et recommande :

 

A l’Etat congolais de prendre des mesures contre cette pratique, d’initier des enquêtes contre elle et d’assurer des poursuites pénales contre toute personne qui s’en serait rendu responsable ainsi que la mise sur pied des mesures protectrices de la femme lorsqu’elle se retrouve pour une raison ou une autre en situation difficile.

Aux Organisations Non Gouvernementales de défense des droits humains et de la société civile :

 

Ø     De mener des actions concrètes en terme d’investigation pour connaître et faire le suivi de cette situation dont sont victimes les  femmes en approfondissant les aspects socio sanitaires, psychologiques et juridiques à l’endroit des femmes victimes et envisager des actions de plaidoyer au près de l’Etat, des agences des Nations Unies, des chancelleries et d’autres organisations régionales par rapport à cette situation ;

 

Ø     D’étudier et de préparer de façon efficace, de conserver et de protéger des documents relatifs à la situation qui devront servir dans les poursuites des auteurs de ces violations des droits des femmes;

 

Ø     D’organiser en faveur des femmes victimes des actions par des petits appuis matériels ou financiers ;

 

Ø     D’aider à l’organisation des groupes des femmes victimes de cette forme de violences, les sensibiliser si possible à porter plainte et à mener ainsi des actions contre l’impunité avec l’accompagnement technique des organisations de défense et de promotions des droits de l’homme;

 

Ø     De donner une assistance psychologique, juridique et sociale aux femmes victimes et à certains membres de leurs familles.

 

A la communauté internationale et aux Nations Unies :

 

Ø     D’aider matériellement et financièrement l’Etat congolais dans la réhabilitation des infrastructures sociales sanitaires pour que les soins médicaux soient à  la portée de tout les congolais sans distinction. 

 

Ø     D’apporter un appui technique adéquat aux organisations de la société civile et à l’Etat relativement aux diverses questions liées aux violences faites à la femme et à la jeune fille;

 

Ø     De faire pression sur l’Etat congolais afin que celui-ci respecte et fasse respecter les droits de la femme en condition difficile par les moyens à sa disposition.

 

 

Aux victimes:

 

Ø     De dénoncer les actes dont elles sont victimes dans les milieux hospitaliers afin de faciliter l’amélioration des conditions.

 

Ø     De collaborer étroitement  avec les organisations de la société civile, les instances nationales et internationales en vue de lutter contre l’impunité qui entoure ces actes de violences dont elles sont victimes sans que personne ne se prononce et faciliter ainsi la poursuite des auteurs de ces actes.

   

 

 

Fait à Bukavu le 08. 03. 2006

                                                                                      

Pour ICJP                                                                 

        

Raphaël Wakenge Ngimbi

 

 

Coordinateur

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