Mississipi au Congo, les aléas du mort-kilomètre (Pierre Haski)
RADUCTION : un accident dans le métro londonien avec quelques victimes fera un gros titre alors qu'un accident de train en Inde faisant cent morts donnera à peine une brève. Un nouvel exemple nous en a été offert cette semaine avec l'effondrement du pont sur le Mississipi.
Tout le monde a vu – y compris sur Rue89 – les images spectaculaires de la catastrophe de Minneapolis, qui a fait quatre morts et un nombre encore indéterminé de disparus. Mais qui a entendu parler d'un accident autrement plus meurtrier annoncé le même jour : le déraillement d'un train en République démocratique du Congo (RDC), faisant cent morts et 128 blessés ? J'en ai découvert l'existence vendredi par une brève de 17 lignes dans l'International Herald Tribune, qui consacre par ailleurs une demi-page à l'accident de Minneaopolis – ce qui est légitime pour un journal américain. Peu de choses dans les médias français du jour, à part France24 (voir ci-dessous), la chaîne à vocation internationale, qui lui consacre un vrai sujet.
En l'occurence, le principe est moins kilométrique que de proximité culturelle et de flux d'informations. Un accident aux Etats-Unis, le pays qui domine les circuits d'information mondiaux, sera immédiatement diffusé aux quatre coins de la planète, alors que celui du Congo restera dans un cul de sac médiatique. Y compris, paradoxalement, dans les pays en développement qui auraient plus de raisons de se sentir concernés par l'accident de train congolais qui soulève des questions de sécurité proches des leurs, que de celui de Minneaopolis, qui a moins de raisons de leur "parler". Ils sont, eux aussi, soumis à la domination des circuits d'informations occidentaux, malgré leurs nombreux efforts, pas toujours bien menés, de s'en défaire.
La morale de l'histoire n'est pas une découverte : il vaut mieux mourir riche et américain que pauvre et congolais, et l'équité n'est pas encore de ce monde, même dans la catastrophe. Mais peut-être appartient-il aux journalistes de contester, quand ils le peuvent, cette règle du "mort-kilomètre" qu'on leur enseigne dans les écoles de journalisme et qui aboutit à faire disparaître des continents entiers de notre champs de vision.
Par Pierre Haski de Rue89