Jean Goubald Kalala : « La situation du Kivu minspire, minterpelle, et surtout ménerve ! »
Oui et non. Oui par rapport à ce quil a apporté sur le marché du disque au
Congo. Vraiment, les gens sont intéressés à mon travail. Il y a encore des demandes jusquaujourdhui. Et non, par rapport à sa distribution qui na pas été faite comme il le fallait. Jusquà présent je continue à chercher une distribution au niveau de lEurope qui aille un peu plus au-delà de ce quon fait ici. En gros, je suis satisfait puisque lalbum a fait du chemin. A quand le prochain ?
On est déjà en train de préparer mon nouvel album intitulé : « Norme ».Je
ne sais encore combien de chansons je vais mettre dedans, mais je suis déjà dans les 18 de retenues. Il est vrai que je ne vais pas sortir toutes les 18 chansons dans lalbum. Dans le premier, on a noté des magnifiques featuring, notamment avec
Kool Matope et son équipe. Tu récidives dans le deuxième ? Oui, jai déjà ma petite idée sur les chansons dans les quelles je vais
faire intervenir dautres chanteurs ou musiciens. Pouvons-nous savoir le nom de ta société de droits dauteur et celui
de ton manager ? Aujourdhui je suis inscrit à la Sabam, une société belge et à propos de
manager… maintenant je nen ai plus. Jétais en train de voir les choses autrement. Pour le moment je suis mon propre manager. Peut être que dans lavenir jen aurai un. Pourquoi la Sabam et non la Soneca ?
La Soneca nexiste que de nom. Cest une société de droits dauteur
dapparence. Parfois on veut payer quelques petits droits de rien du tout, on invite la télé, la radio pour faire voir que la Soneca fonctionne et ce genre doccasions narrivent peut-être quune seule fois tous les trois ans ! Au fait à un moment, ils étaient déjà en train de créer une nouvelle société qui va remplacer la Soneca … Anado, je crois. Je ne sais même pas où ils en sont. Il se dit quen tant que parolier, tu as écrit pour les stars
congolaises. Qui sont-elles et quels titres ? Pour les chansons qui sont sorties, il y a Tshala Muana qui a chanté «Bantu
Tabalayi»; Christian Kiatazabu a chanté «Bwanya wapi ?» que je crois que je vais reprendre dans mon prochain album ; Papa Wemba a chanté « Au nom de lamour » et « Longembu »… Jen ai aussi donné aux autres qui, jusquà présent, nont encore rien sorti. Je ne vois pas pourquoi je les citerai. Comment se négocie la vente ou la cession des
chansons ? Moi, je ne vends pas mes chansons. Je prête à interprète. c.à.d. que je
prête une oeuvre à un interprète. Il interprète le morceau, mais je garde mes droits. Jen reste lauteur. Il y a toujours eu une confusion dans notre société à propos des chansons vendues… Je pense quil y a surtout un manque dinformation au niveau de ces artistes qui vendent leurs chansons. En principe, ici, la Soneca paye, pendant quon a déclaré la chanson et quon est vivant, on jouit de tous ses droits. Et après la mort, pendant 50 ans les héritiers continuent à percevoir les droits. A combien peut-on vendre une œuvre comme celle-là qui paye pendant 50 ans ? Qui va donner quoi ? Sil y a des gens qui vendent, cest parce quils ont faim et quils nont pas linformation. Moi je ne vends pas. Quel regard portes-tu sur la musique congolaise actuelle, notamment
la nouvelle génération qui a porté au devant de la scène Fally et Ferre? Depuis un certain temps quand on dit que la musique congolaise a baissé,
moi je ne partage pas cet avis. Moi je dirai plutôt que cest le Congolais qui a perdu quelque chose… Aujourdhui on na plus ce Congolais qui a du caractère, comme nos parents avant… On na plus ce Congolais qui a de la personnalité… On na plus ce Congolais qui a soif dapprendre. Aujourdhui tout le monde est devenu une espèce de mendiant ou un truc comme ça… Cette histoire de «Mabanga» nest que le prolongement de la mendicité, en même temps, cest de la pub quon fait pour ces gens là. Moi je crois quil y a du talent mais il ny a pas assez de travail. Je reconnais dans ces jeunes gens du talent… il y a même beaucoup de talents, mais pas assez de travail. Leur talent nest pas nourri, leur talent nest pas travaillé, ce talent reste cru. Il y a très peu de jeunes qui en ont pris conscience. Il y a un manque dinformation. Dans un album on se retrouve en train
découter une seule chanson avec beaucoup de paroles et ils disent : « Tosali ba nzembo ebele !» alors que cest le même schéma dharmonie. Je me demande même sils savent ce que cest un schéma dharmonie… ces jeunes te parlent de « nuances ». Est-ce quils comprennent ce que cest une nuance en musique ? Malheureusement, on est dans un pays où tout le monde est « grand prêtre » et quand on fait une chanson qui marche… ouh là là ! Et quand on a des fans qui ne savent même pas juger de la musique, on croit quon est arrivé. Arrivé, par rapport à Kinshasa, peut-être oui, mais par rapport à la musique, moi je crois quils nont même pas encore commencé. Lartiste musicien congolais a la réputation de nêtre quun
propagandiste de tous les régimes qui se succèdent… quen dis-tu ? Ce nest pas faux ! Je viens de parler de mendicité. Le terrain propice
actuel pour aller mendier cest dans la politique ! Cest pourquoi il se sent obligé de chanter les politiciens… les glorifier un peu à la manière du « corbeau et le renard ». On ne vante pas le corbeau parce quon laime mais plutôt parce quon attend que le fromage tombe de sa bouche. Aujourdhui le musicien cest ça : cest un renard ! Ben… disons à quelques
exceptions près ! Quelle est la mission sociale dun musicien ?
A coté du divertissement, Cest de dire des choses positives… et par ces
choses quon aura dites de manière à ce que la société avance, cest une grande responsabilité … une grande force mais il nen prend pas conscience. Il profite seulement des avantages quil y a. Les gens aiment une chanson et sont capables de tendre la main pour donner un peu dargent. Le musicien ne veut profiter que de ça, mais il ne fait pas profiter à la
population de cette force quil a de dire des choses bien. Les chansons passent sur les chaînes de télé, la radio, un peu partout… sil y a vraiment des messages pour amener le changement… quand la société fait fausse route, interpeler les dirigeants. Mais arriver à dire des choses bien, il faut quen amont on ait eu une formation. Il faut dire quaujourdhui lécole est dans un état de destruction tel que beaucoup nont pas lœil ouvert pour appréhender et juger de qui se passe. Et ce qui ouvre cet œil là, cest léducation et linstruction. Il y a des
collègues musiciens qui disent : « biso toza ba éducateurs ya masse », Mais Christ lui dit : « On ne donne que ce quon a ». Mais parmi ces « éducateurs » de masse, on entend beaucoup de bêtises venant deux ! Peut-être quils éduquent la masse dans la bêtise ! Comment te définis-tu face à cette mission ?
Je vais vanter mes parents. Jai eu une bonne éducation. Je vais encore les
vanter pour mavoir inscrit dans une très bonne école : le Collège Boboto. Je ne digère pas tout, je ne suis pas prêt à accepter tout… cest-à-dire les choses pas très correctes qui se font de part et dautre dans la société. Dans la partie de la société qui dirige et dans celle qui est dirigée, il y a plein de choses que je ne peux pas accepter par le fait de mon éducation et mon instruction. Je ne dis pas que je suis parfait pour avoir reçu cette éducation et cette instruction… je reste humain. Dieu merci de mavoir fait passer par ce chemin… Dieu et mes parents. La situation critique que vit le Congo particulièrement à lEst,
tinterpelle-t- elle ? Tinspire-t-elle ? Elle minterpelle, elle minspire mais un peu plus elle ménerve ! Oui, je
regrette ce qui se fait là bas et on ne doit que compatir à la souffrance de nos frères et sœurs de lEst. Mais ce qui ménerve plus, cest que le peuple lui-même veut se confiner, se comprimer, semprisonner dans lignorance. Et tout ce qui se passe à coté là, cest parce quon est plongé dans une ignorance sans nom. Je parlerai encore du Christ : « vous connaitrez la vérité et la vérité vous affranchira ». La vérité, cest la connaissance. Et quand on a la connaissance on est
affranchi. Il faudra donner à chaque institution et à chaque individu sa mission. Par exemple, aujourdhui si on doit aller visiter les Instituts Supérieurs et nos Universités… ce qui se passe là bas, cest terrible ! Cest terrible ! Je ne me vois pas dans une institution supérieure où se trouve la majorité des étudiants. Ils ne sont pas loin des « Kuluna » de la cité ! Je me demande si la 1ère maison qui transmet le savoir nous transmet les 1ers « Kuluna », où est-ce quon va ? Pour éviter que des petits pays voisins osent nous attaquer il faut que le Grand Congo ait dans sa population des Grands Congolais. Daprès ton analyse de peintre de la société, la débâcle du Congo
incombe précisément à qui ? Mais à tout le monde ! Il y a une portion de responsabilité dans tout un
chacun. Je ne sais pas mais… jentends des congolais dire : « eh, yo nde mutu okobongisa mbokango ?» Tout ça parce quon se défend davoir jeté des immondices dans un endroit inapproprié ! Cest-à-dire détruisons tout ! si tout le monde dit « ce nest pas à moi darranger » ce sera qui, alors ? Alors cest clair que tout le monde a sa part de responsabilité selon les rôles quil joue dans la société. Evidemment, la plus grande part de responsabilité revient aux dirigeants. Que penses-tu de lattitude amère, parfois violente et très critique
de la diaspora congolaise face aux dirigeants ? Ben… ce sont des Congolais qui ont un avis à émettre sur la situation
difficile du pays. Mais, sincèrement, je crois quil est vraiment important que chacun prenne
sa responsabilité . Les Congolais ne doivent pas seulement critiquer, ils doivent aller au-delà… car ici au pays ou ailleurs, na-t-on pas vu des gens critiquer de loin pour attirer lattention des dirigeants… arrivés au pouvoir, ces donneurs de leçons se comportent eux-mêmes exactement comme ceux quils critiquaient ? Et puis les Congolais sont trop passifs… la population croit quune fois quon est dirigeant quelque part, on a le droit de faire ce que lon veut. La population ne sait pas quon a un droit de regard sur la gestion de ces gens là…et on entend dire : « Ee tika bango ba lia na bango ! Tour na bango tee ! » Mais non ! Ils ne sont pas là pour « kolia !», ils sont là pour travailler ! Travailler pour que nous nous sentions bien dans ce pays ! Chacun a sa place ! Nous ne devons pas devenir tous des politiciens, quand même ! Il y a des gens qui sont bien dans leur peau dartistes, mais quils nous arrangent la Soneca ! Il y a eu un budget de je ne sais 2.000.000$ qui a été voté pour les artistes. Je ne sais même pas ce quon en a fait. Et dans le corps des artistes, il y a beaucoup trop de désordres aussi ! Pensez-vous que les gens qui sont désordonnés à ce point peuvent être les bons éducateurs de masse ? Cest bien de le dire, mais le faire cest vraiment autre chose ! Jai toujours été trop dur pour fustiger les choses…, mais cest parce que jaime profondément ce pays. Jai honte de ce qui se dit de ce pays à létranger. Cest malheureux ! Je me demande si ces dirigeants nont pas honte
deux-mêmes ! Quils partent un peu se regarder dans le miroir et se regarder droit dans les yeux. Aujourdhui la capitale la plus sale du monde, cest Kinshasa ! Cest une interpellation Goubald, quelle est la piste de solution, daprès toi ?
LAmour !… lamour ! Que chacun se fasse violence. Que chacun ose se
regarder et ose dire : « je fais pour lautre ce que je fais pour moi. » Que chacun ose un peu voler pour le Congo !… Tout cet argent quils volent pour eux-mêmes, quils le volent aussi pour le Congo ! Que le Congolais se dise : « Au lieu na tia na compte na ngai moko, na tia yango na compte ya Congo ! » Et pour faire ça, il faut aimer le prochain… aimer lautre. Tout cet argent quils volent… ceux qui ont volé avant, quest-ce quils ont fait de cet argent ? Ils ne sont plus ! Ils ont laissé tout cet argent à qui ? Ils ont tout laissé dans des comptes en banque ailleurs ! Et bientôt ces comptes seront dilués dans les comptes de ces banques dailleurs…avec la crise financière mondiale dont on parle aujourdhui. Au Congo, on a désespérément besoin damour ! Lamour ! Le vrai ! Tiré du magazine Pendro
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