Médicaments contrefaits : lépidémie silencieuse Afriqu'Echo / Destination Santé)
Pour lOMS, un médicament contrefait est un « produit dont la composition et les principes actifs ne répondent pas aux normes scientifiques. Il est par conséquent inefficace et souvent dangereux pour le patient ». Or la contrefaçon prend des formes très diverses. Et elle peut concerner aussi bien des produits de marque que des produits génériques.
On peut résumer les principales formes de contrefaçons de la sorte : il peut sagir de médicaments contenant les principes actifs authentiques du produit initial, mais avec un emballage imité ou sans emballage du tout. Le stockage en vrac de ces médicaments est une pratique répandue mais dangereuse. Un conditionnement de qualité est en effet essentiel à la protection du médicament contre la chaleur, lhumidité, le soleil…
Il arrive parfois aussi que la copie renferme bien les principes actifs requis, mais en quantité insuffisante par rapport à la version originale. Ou quelle renferme dautres principes actifs que ceux présents du vrai médicament. Une porte ouverte à tous les abus. Il arrive enfin que le produit contrefait ne renferme aucun principe actif. Une sorte de placebo qui se pare du nom dun vrai médicament. Cela peut entraîner des ravages, sil est employé pour traiter des maladies potentiellement mortelles comme le paludisme, la tuberculose ou linfection à VIH-SIDA.
Une industrie assassine en plein essor !
Un médicament sur dix vendu dans le monde serait un faux. Daprès une étude de la Food and Drug Administration (la FDA) américaine, les médicaments contrefaits représenteraient plus de 10% du marché mondial. Soit 32 milliards de dollars de bénéfices par an ! Et ce nest pas près de sarrêter. Selon la Fédération internationale des industries du médicament, le trafic de médicaments serait 25 fois plus rentable que le commerce de lhéroïne et 5 fois plus que celui des cigarettes !.
Pommades, collyres, sirop, comprimés, tout y passe. Une étude récemment publiée par The Lancet révèle que dans le monde, jusquà 40 % des produits supposés contenir de lartésunate ne contenaient pas de principe actif et navaient donc aucun effet thérapeutique ! Or lartésunate, cest le meilleur médicament disponible aujourdhui contre le paludisme chimiorésistant. Un médicament vraiment essentiel.
La contrefaçon est une entreprise très lucrative, qui ne demande pas de logistique importante. Pas besoin de grands établissements. On peut produire de faux médicaments à des coûts peu élevés. Souvent, il suffit dun simple entrepôt désaffecté ou même dune arrière-boutique pour se lancer dans la fabrication artisanale de ces copies. Et daprès lOMS, des contrefacteurs ont même été découverts en plein travail, à lombre dun arbre en Afrique ! La vente, elle, se fait dans les marchés et à la sauvette au bord des routes.
Avec la mondialisation, ce marché très juteux est en pleine expansion. Même dans les pays riches où Internet a permis aux contrebandiers de reprendre du poil de la bête. Les corticoïdes, anti-inflammatoires et autres Viagra se vendent le plus souvent sur la Toile, sans aucun contrôle médical. Idem pour de nombreux produits de phytothérapie importés dAsie. LOMS estime dailleurs que 40% des médicaments contrefaits sont écoulés dans les pays développés.
Quarante pour cent, cela signifie que les 60% restants concernent les pays pauvres ! Lesquels ne disposent pas de contrôles fiables aux frontières, capables dendiguer ce trafic. Les spécialistes estiment que jusquà 50% – voire plus… – des médicaments consommés dans certains pays en développement sont contrefaits. Surtout en Asie et en Afrique. Au Nigeria par exemple, sur 10 médicaments vendus, 6 ne seraient pas homologués. Idem en Guinée, où plus de 60% des médicaments commercialisés seraient issus de la contrefaçon.
Cest dire toute lampleur du problème dans des pays où les réglementations pharmaceutiques ne sont pas assez strictes et lapprovisionnement en médicaments de base, insuffisant. Et surtout hors de prix pour une grande partie de la population. Le fait que les médicaments soient payants même à lhôpital encourage les marchés parallèles.
LAfrique noire est sérieusement touchée par ce phénomène. Pourquoi ? Parce que lAfrique a été frappée de plein fouet par une série de cataclysmes sociaux et économiques. La pandémie de VIH-SIDA a décimé les forces vives du continent. Des guerres civiles ou transfrontalières ont dévasté plusieurs pays. La dévaluation du franc CFA a renchéri tous les produits dimportation. Sur ce terrain fragilisé, la fraude a prospéré. Aujourdhui, le continent africain est en quelque sorte la terre délection de faussaires venus du monde entier. Du Sud-Est asiatique, dAmérique latine, dInde, et de certaines républiques de lEst européen.
Mais dautres régions du monde sont également concernées par ce fléau. Au Liban par exemple, il nest pas rare de saisir des produits pharmaceutiques contrefaits en provenance dEgypte, dIrak ou du Pakistan. Notamment de linsuline et des pilules contraceptives qui parfois, ne contiennent que du talc. Ou encore des conteneurs entiers remplis de faux Viagra affichant au mieux 10% du dosage normal en sildenafil (le principe actif), mais le plus souvent zéro pour cent.
Le faux Viagra justement, on le retrouve également au Maghreb. En Algérie et au Maroc, il inonde les fameux « souk al fellah », littéralement les « marchés du paysan ». Des souks « fourre-tout », où lon vend aussi bien des ailes de voitures, du carburant, des produits électroménagers que des médicaments contrefaits ou de contrebande.
Selon Faouzi Mohamed, président du corps syndical des pharmaciens dOujda, au nord-est du Maroc, à la frontière avec lAlgérie, « on trouve un mélange de produits qui provient soit dEspagne, soit des pays de lEst, de la Libye, dEgypte. Je vous donne à titre dexemple le Viagra qui est connu à léchelle mondiale. Ici on trouve le Vegra et non pas le Viagra. Ils jouent sur le nom. Et si on prend en compte tous les produits, on trouve une cinquantaine de spécialités. Comme par exemple quelques médicaments neuroleptiques comme le Klonopin, des produits antiseptiques, quelques produits anti-inflammatoires. »
Le faux tue !
Daprès lOMS, le développement de la contrefaçon de médicaments trouve son origine dans limmense pauvreté dune grande frange de la population mondiale. Laquelle nhésite pas à sapprovisionner en dehors du système officiel de distribution.
Le Dr Yves Juillet est conseiller du président du Leem (les Entreprises du Médicament) en France. Il y préside également le groupe de travail anti-contrefaçon. Il explique que « les études qui ont été faites ont montré que dans plus de la moitié des cas les produits contrefaits ne contenaient pas de principe actif. Et dans les autres cas, ils contenaient soit moins, soit dautres produits, soit des impuretés. Le risque, cest dabord de ne pas avoir de traitement quand on en a besoin. Et dans une maladie infectieuse cela peut être très grave. On pense également que les résistances aux antiparasitaires, et particulièrement aux antipaludéens sont en grande partie liées au fait que les gens prennent des produits sous-dosés ou mal préparés. »
Se soigner avec un médicament contrefait ou de qualité inférieure entraîne, dans le meilleur des cas un échec thérapeutique ou pire, lapparition de résistances. Et trop souvent, cest la mort qui est au rendez-vous. LOMS estime que chaque année, 200 000 malades atteints de paludisme meurent à cause de médicaments de mauvaise qualité. Soit le dixième des morts attribués au paludisme ! Car de nombreux faux antipaludéens circulent en effet sur le marché mondial.
Une étude effectuée en Asie du Sud-Est en 2001 a révélé que 38 % des antipaludéens vendus en pharmacie ne contenaient aucun principe actif et provoquaient donc de nombreux décès. Comme en 1999 au Cambodge. Plus de 30 personnes y sont mortes après avoir absorbé des antipaludéens contrefaits contenant de la sulfadoxine-pyriméthamine (un ancien paludéen moins efficace) et vendus sous le nom dartésunate.
Autre cas connu, la consommation de sirop contre la toux contenant du paracétamol, et préparé avec du diéthylène glycol (un produit chimique toxique utilisé comme antigel). Il a tué 89 personnes en Haïti en 1995 et 30 nourrissons en Inde en 1998.
De pâles copies dantirétroviraux ont également été découvertes en Afrique centrale, une région déjà durement touchée par la pandémie de VIH-SIDA. Dautres produits, tels que des pilules contraceptives frelatées et des préservatifs non étanches ont également été saisis. Ce qui fait craindre un retard important dans la lutte contre la maladie dans cette région où les difficultés daccès aux médicaments représentent déjà un obstacle majeur dans le combat contre la propagation du virus.
Pour lutter contre ces contrefaçons, industriels, distributeurs et autorités publiques ont intérêt à faire front commun. Et comme le précise Yves Juillet, le rôle du pharmacien est fondamental sur le terrain. « Le pharmacien a un rôle très important parce que cest un des maillons essentiels de la chaîne pharmaceutique. Et cest par la garantie de la chaîne pharmaceutique depuis le producteur jusquau pharmacien, en passant par le distributeur, que lon peut essayer de lutter contre ce fléau. Le pharmacien doit donc faire très très attention à son circuit dapprovisionnement pour nacheter ses produits que dans des circuits quil connaît très bien et dont il a la garantie de la qualité. »
Bien évidemment, la vigilance du pharmacien ne suffit pas. Elle doit impérativement être soutenue et accompagnée par des campagnes de sensibilisation et dinformation sur le danger du commerce illicite des médicaments. Sans prévention, les populations iront toujours se servir dans des marchés parallèles, parce quelles croient hélas que le médicament est moins cher dans la rue. Ce qui est complètement faux. Les calculs économiques montrent que le médicament vendu à la sauvette est plus cher. Mais comme il est vendu à lunité, au comprimé, cest évidemment plus facile pour le malade… mais extrêmement dangereux ! Alors, faites attention. Un médicament nest pas un bonbon. Il sachète en pharmacie et nulle part ailleurs. Surtout pas sur Internet ! Il en va de votre vie. | Avec Destination Santé