Un poème sur l'Afrique (Guy De Boeck)

Mon père, dit l’enfant, je voudrais jouer avec toi
A promener de petites billes sur le chisolo[1]
Ou que nous allions courir dans la savane
Ou que tu essaies de me trouver
Caché dans la palmeraie…

 

Mais le père ne répondit pas…

 

Mon père, dit l’enfant, je voudrais que tu chantes
Sur le likembe[2] des paroles tristes ou gaies
Mais qui apaisent toujours le cœur
Ou entendre jouer les grands tambours de danse…

 

Mais le père ne répondit rien…

 

Mon père, dit l’enfant, je voudrais que tu me racontes
Des devinettes. Ou des histoires du lièvre malin[3]
Qui toujours l’emporte sur les puissants
Ou de terribles histoires du passé
Qui font un peu peur mais qui exaltent…

 

Mais le père garda le silence…

 

Mon père, dit l’enfant, je voudrais aller avec toi
Dans les champs qui s’étendent sur les collines
Regarder les horizons gris de fumée sur la brousse qu’on brûle,
La terre rouge éventrée par le labeur des hommes,
Et rapporter des fruits tièdes et doux…

 

Mais le père se taisait toujours…

 

Mon père, dit l’enfant, je voudrais te dire
Combien je suis heureux et fier lorsque je te vois
Revenant de la chasse ou de la pèche
Avec les autres hommes, traînant dans vos bras lourds de fatigue
La subsistance de tous. Je me souviens du jour
Ou tu as rapporté, pour moi seul, une petite gazelle…

 

Mais le père resta silencieux…

 

Mon père, dit l’enfant, pourquoi ne me parles-tu plus ?
Est-ce parce qu’hier ces hommes vêtus de kaki sont venus ?
Est-ce à cause d’eux que tu as ce grand trou
Rouge
A la place du cœur ?

 

Mais le père ne répondit pas…

 

Alors la mère prit la parole et dit :
«Mon fils, laisse ton père reposer,
Garde son souvenir
Et ramasse sa lance…»

 

 



[1]  Jeu tactique, sorte d’équivalent africain des dames ou des échecs, il  se joue au moyen de billes se déplaçant entre les alvéoles d’un plateau de bois sculpté.
[2] Instrument parfois dit de « harpe », ou « piano ». Il consiste en lamelles métalliques fixées sur une caisse de résonance, qu'on pince du doigt pour les faire vibrer ,on  peut donc en jouer et chanter.
[3] Dans les fables d’Afrique, l’animal rusé qui par son intelligence l’emporte sur les autres malgré leur force n’est pas le renard, mais le lièvre. Le thème a passé l’Atlantique avec les esclaves et se retrouve aux Antilles et aux USA.

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