Le français et les langues africaines : quelle cohabitation ?

Le français, langue seconde – mais très souvent langue officielle – perçoit souvent les langues africaines comme une menace à son rayonnement. Les langues africaines, elles, voient dans la volonté de supériorité du français un obstacle à leur éclosion. Et pourtant, plusieurs linguistes affirment que leurs destins sont étroitement liés.

En Afrique francophone, dans la vie quotidienne, les locuteurs passent alternativement du français aux langues nationales. A l’école et parfois au travail, le français s’impose sans difficultés. Mais une fois le travail et l’école terminés, les langues nationales reprennent droit de cité. Le constat est donc clair : les deux véhicules de communication se partagent l’échiquier linguistique national. Mais non sans rivalités. Chacun de deux instruments essaie en effet de conquérir une portion du territoire de l’autre.

INCURSION DES LANGUES AFRICAINES SUR LE TERRAIN SCOLAIRE

De plus en plus nombreux sont les pays africains dits francophones, qui intègrent progressivement les langues nationales dans le système éducatif. Au Gabon, par exemple, depuis 1975, le mienné – mpongwè, le fang et sept autres langues choisies parmi la soixantaine de langues nationales du pays, sont expérimentés dans les écoles primaires et les établissements scolaires. La promotion des langues dominantes au niveau régional se fait une par province.

L’initiative gabonaise – accueillie favorablement selon les autorités, par les parents d’élèves évolue très bien. Et, contrairement à certaines idées reçues, les linguistes ont réussi à démontrer que l’enseignement des langues nationales peut contribuer au renforcement de l’unité nationale au Gabon. Une expérience quasi similaire est menée depuis plusieurs années au Mali. Dans ce pays de l’Afrique de l’Ouest, les autorités ont mis le programme dit de convergence pédagogique.

DES CLASSES BILINGUES LANGUES NATIONALES-FRANÇAIS

Le développement de ces expériences commence à donner des idées à certains spécialistes. De plus en plus nombreuses sont, en effet, les voix qui s’élèvent pour réclamer l’introduction du bilinguisme scolaire en Afrique francophone. Mais le français estime qu’en laissant entrer officiellement les langues nationales dans les écoles, il perd une bonne partie de son influence dans les pays, et que les gens le pratiqueront de moins en moins.

Ce qui semble un petit peu vrai. En effet, l’expérience montre que dans les pays où les langues nationales sont enseignées comme disciplines, le français semble décliner. « A cause de son ‘arrogance’ ; il est évident que la langue française n’est pas prête à se laisser damer le pion par les idiomes des anciens sujets de la France », fait remarquer un expert. De là à affirmer que le français a un complexe de supériorité…certains observateurs n’hésitent pas à franchir le pas.

LE FRANÇAIS ET LES LANGUES NATIONALES CONDAMNES A VIVRE ENSEMBLE

Tout comme d’autres ne s’empêchent pas de reconnaître que les langues africaines ont un complexe d’infériorité. « Les langues nationales ont été tellement brimées, piétinées, ridiculisées par le français qu’elles souhaitent aujourd’hui prendre rapidement leur revanche sur cette langue du colon », souligne un linguiste guinéen.

Et le malaise des langues africaines devient plus profond dans les villes. Dans les plus importants centres urbains des pays africains francophones, elles se sentent menacées par le français. Les jeunes âgés de moins de 20 ans sont très nombreux à parler la langue de Molière à la maison et dans les quartiers. Au point que l’on a l’impression que dans les principales agglomérations d’Afrique francophone, les langues nationales sont en recul par rapport au français. Alors qu’en réalité, c’est par rapport au français d’Afrique appelé par certains écrivains, francophonien. Un français que des puristes qualifient de mauvais.

D’où cette mise en garde lancée par le professeur Pierre Dumont, président du Comité scientifique des Etats généraux de l’enseignement du français d’Afrique (Libreville, Gabon, Mars 2003) : « Une langue qui ne serait ni africaine, ni française serait deux fois inutile ». Et Lilyan Kesteloot, une célèbre littéraire belge, de renchérir : « On y perdrait et les langues africaines. Le parler de la rue abâtardit aussi les langues locales ».

Aussi de nombreux linguistes appellent-ils à une franche collaboration entre le français et les langues nationales. « Il faut donc se remettre au travail pour que cette dualité soit un facteur de progrès et non de sous-développement », souhaite Pierre Dumont.

LE FRANÇAIS ET LES LANGUES NATIONALES EN RD-CONGO : UNE COHABITATION FRUCTUEUSE

En Rd-Congo, le français et les langues nationales mènent une espèce de coexistence conviviale, alors que dans les autres pays d’Afrique francophone, le français a étouffé des décennies durant les langues nationales. Le cas de la Rd-Congo s’explique par le fait que le colonisateur a structuré les langues nationales. Fermés à l’émergence d’une classe de lettrés africains qui remettaient en cause ses avantages tirés du système colonial, les Belges s’étaient attelés à structurer l’enseignement des langues nationales, dans lesquelles ils enfermaient les Congolais. Cela aura au moins eu le mérite de donner une vraie structure à ces langues, qu’on peut non seulement parfaitement parler, mais aussi écrire et enseigner. Ce qui n’est pas le cas de la plupart des autres langues africaines.

Ce sont donc ces différents acquis auxquels on peut ajouter l’influence des idées nationalistes qui ont toujours eu cours dans la classe politique congolaise quels que soient les régimes, qui ont permis la survivance des langues nationales dans les écoles. Elles sont apprises dès la base, c’est-à-dire, l’école primaire. Mais, dans les faits, cet enseignement n’est pas de stricte rigueur.

Dans le secondaire et l’université, seuls ceux qui suivent des études de langues continuent d’apprendre les langues nationales. Il reste cependant vrai que dans la société congolaise d’aujourd’hui, on trouverait difficilement quelqu’un ne sachant parler aucune langue nationale. Et la situation du français n’est pas pire que dans les autres pays d’Afrique francophone.

En conclusion, la francophonie souhaite réhabiliter les langues nationales qui désormais sont considérées comme des langues partenaires au français. Celui-ci, de par le hasard de l’histoire, est devenu aussi notre patrimoine commun avec bien d’autres peuples qui ont en partage la langue française. Langue d’ouverture sur le monde, la cohabitation du français avec nos langues nationales est possible et constitue un facteur d’enrichissement mutuel.

PROFESSEUR ALPHONSE MBUYAMBA KANKOLONGO Université de Kinshasa

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