28.06.08 Kisangani : soir sombre pour un ex-champion du monde (Syfia Grands Lacs/RD Congo)


À première vue,
Pierre Kelekele Lituka, 66 ans est bien conservé. Mais, à le regarder
de plus près, l'homme semble s'effondrer un peu plus à chaque minute
qui passe. Avec un bras et une jambe paralysés, Kelekele, l’unique
lutteur Congolais champion du monde mi-lourds, passe toute sa vie dans
une chaise longue à attendre les feuilles de manioc et le morceau de
chikwangue que lui prépare chaque soir sa chère épouse quand elle
revient du champ. Sur une petite table, placée devant sa maison en dur
qu’il n’a pu achever, il essaie de vendre aux passants quelques grains
de riz et de la farine de manioc. "J’ai besoin d’un téléphone portable
pour avoir les nouvelles de mon fils qui est matelot à Kinshasa", prie
Kelekele, lorsqu’il reçoit de rares visiteurs. Dépourvu de télé et de
radio, il suit l’actualité ou les grands événements sportifs avec ses
voisins.

"J’ai toujours interpellé les journalistes de passage dans notre ville,
pour qu'ils parlent de l’abandon de ce porte-étendard du Congo
Kinshasa", se préoccupe, Mathieu Asimbo, un jeune chauffeur qui habite
son quartier.

Et pourtant, celui sur qui s’apitoient les gens a par le passé connu la
gloire dans sa discipline : la lutte. En 1962, à 20 ans, il remporte
son premier sacre de champion du Zaïre (RD Congo) après trois minutes
de combat. En guise de récompense, le gouvernement de l’époque le
promeut entraîneur national. Ses nombreux exploits traversent les
frontières. En 1971, il devient vice champion d'Afrique en Égypte et
obtient une bourse de 4 ans de la Fédération allemande de lutte. Durant
son séjour, il arrache plusieurs titres dont le plus prestigieux en
1973, celui de champion du monde des mi-lourds.

Monument oublié…

"Je ne connaissais rien de la valeur de mes titres", regrette
aujourd'hui Pierre Kelekele, le regard tourné vers le passé, lorsqu’on
lui demande ce qu’il a fait de sa fortune. Durant son séjour allemand,
il déclare n’avoir reçu en mains propres des organisateurs que 110
marks (87 $ environ). "On me disait que l’argent de mes titres était
viré au compte de la fédération zaïroise de lutte", affirme l’ancien
champion. Version que confirme Justin Basumukangi, chef de bureau
urbain des sports et loisirs de Kisangani. D'après lui, il est
difficile de trouver aujourd'hui des archives sur ce que valaient les
trophées de Kelekele, le champion se contentant à l'époque de primes
ponctuelles remises par le président de la République à chaque succès.

A son retour au pays, une fracture à la jambe le cloue quelques années
à Kinshasa. Il est ensuite affecté à Kisangani comme fonctionnaire à la
division provinciale des sports. Il est alors aussi moniteur de sport
dans certains camps de formation de la gendarmerie et de l’armée.
Quelque temps plus tard, il est admis comme encadreur de sport à
l’Université de Kisangani, jusqu'à sa retraite prématurée en 1994,
victime d’une crise d’hypertension qui occasionnera une paralysie d'un
bras et d'une jambe.

En signe de solidarité, un catcheur congolais actuel de renom, Edingwe,
a organisé deux festivals de catch, à Kisangani et à Kinshasa. L’argent
récolté devait servir au transfert de Kelekele en Europe pour des soins
appropriés. Mais les recettes ont été très en deçà des besoins. Pour le
secourir, en 1998, le maire de l'époque à Kisangani lui accorde une
prime mensuelle qu’il ne touche que pendant une année.

"Il est temps que l’État Congolais révise sa façon d’honorer ses
vedettes", regrette Kolimonga Kpololo, un habitant de Kisangani marqué
pendant sa jeunesse par les exploits de Pierre Kelekele Lituka et
indigné aujourd'hui par son abandon.

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.