17.08.06 Panique au FMI : les clients remboursent ! par Xavier Dupret (CADTM)

Remboursements en série

L’afflux de capitaux vers certains pays du Sud amène certains pays (très) endettés à rembourser une partie du capital de leurs dettes. C’est le cas de l’Argentine et du Brésil. En Asie du Sud-Est, certains ont décidé d’aller plus loin. Huit pays [1] cumulent, à eux seuls, des réserves équivalentes à dix fois celles du FMI [2].

Ces pays, par le biais de l’initiative de Chiang-Maï lancée en 2000 et révisée en 2005, ont d’ailleurs décidé de se solidariser en mettant en commun une partie des devises accumulées. Objectif : pouvoir éviter le phénomène de contagion à l’échelle régionale en cas d’éventuelle crise financière. Bien évidemment, il s’agit là d’une perte de pouvoir dans le chef du FMI qui ne pourra évidemment plus imposer ses conditions à ces pays en cas de pépins.

L’afflux de capitaux vers le Sud rendant un peu moins pressant que par le passé tout recours au FMI, le portefeuille des prêts de ce dernier ne s’élève plus qu’à 35 milliards de dollars, ce qui le ramène à son niveau d’avant 1980 (soit avant les différentes crises de la dette). Et déjà, un projet de réforme du FMI émergerait. Des spécialistes (surtout états-uniens) lui verraient bien jouer un rôle dans le règlement de la question des déséquilibres commerciaux. Cette redéfinition des buts et missions du Fonds est d’ailleurs saluée par son Directeur Général [3].

En lisant (à peine) entre les lignes, on voit clairement que l’excédent commercial chinois vis-à-vis des USA est visé. Problème : le gouverneur de la Banque Populaire de Chine, Zhou Xiaochuan, a déjà fait savoir qu’il n’était pas demandeur, maintenant la position chinoise qui exclut toute réévaluation du yuan afin d’alléger une partie du déficit américain [4].

Devant cette quadrature du cercle, des voix s’élèvent au Sud pour revendiquer une mutation structurelle de la vénérable institution issue des accords de Bretton Woods. Très schématiquement, sont remises en cause la question de la représentation des pays du Sud dans les organes décisionnels du Fonds ainsi que l’approche néolibérale de ses interventions. En attendant, faute de crises nécessitant que des prêts soient consentis, le FMI voit ses revenus fondre comme neige au soleil. Et là, on pointe tout de suite le côté un peu piquant de la situation : le puissant FMI devra-t-il s’imposer les cures d’amaigrissement que jadis il « recommandait », non sans insistance, à autrui ? Par delà ces aspects quelque peu anecdotiques, le FMI vit une véritable crise existentielle depuis la crise financière asiatique de la fin des années 90.

Et si on laissait la parole au Sud ? Pour ce faire, commençons donc par entendre ses griefs.

La crise asiatique et l’action du FMI

En septembre 1997, alors que des tensions se manifestaient sur les marchés des changes thaïlandais, les institutions de Bretton Woods, alors réunies à Hong Kong, estimaient que ces perturbations seraient finalement sans conséquences sur la croissance dans la région. Cette crise s’est, au contraire, propagée, entraînant au passage une sensible réduction de la croissance mondiale. Le décalage entre la réalité économique et le discours du FMI en 1997 était patent. Décoder ce type de donnée nécessite de mettre en parallèle les recommandations du FMI et les rétroactes de cette crise financière.

En Asie, les crises bancaires et monétaires présentaient une série de traits communs mis en exergue par le rapport de la CNUCED sur le commerce et le développement tel qu’exposé par l’économiste tunisien Hakim Ben Hammouda sur le site d’ATTAC-Sénégal [5]. On notera donc avec intérêt que ces crises ont été précédées, dans la majorité des cas, « d’une importante dérégulation financière et d’une libéralisation des opérations en capital » [6]. Ailleurs, on peut lire que « (les) politiques de libéralisation sont devenues une part intégrante de l’idéologie et de la stratégie du FMI et de la Banque mondiale [7] et chaque pays cherchant assistance auprès de ces institutions s’est vu forcé d’accepter leurs conditions » [8].

Cette politique du « laisser-aller, laisser-faire » a suscité des afflux de capitaux vers le Sud-Est asiatique et entraîné, de ce fait, la formation de bulles spéculatives. L’attrait exercé par ces pays sur les investisseurs fut pourtant de courte durée. Les entrées massives de capitaux se sont traduites par une appréciation des monnaies locales. Par effet d’enchaînement, une détérioration de la balance des opérations courantes en a résulté. Les exportations diminuaient alors que les importations étaient en hausse tant et si bien que les capitaux flottants décidèrent un beau jour d’aller flotter ailleurs. Cette fuite des capitaux a, dans un second temps, provoqué une baisse vertigineuse du cours des monnaies locales. Faisant suite à ce mouvement de dépréciation, un mécanisme d’hyperinflation est venu gripper les rouages des économies du Sud-Est asiatique.

Contrôle des changes versus marché

A l’origine de la crise asiatique, Arun Gosh, économiste autrefois membre de la commission de planification du Gouvernement indien [9] pointe la responsabilité des institutions financières internationales (IFI) : « Il va de soi que l’intégration financière, dans un monde inégalitaire, n’est pas dans l’intérêt des pays en voie de développement. Dès lors, comment les problèmes liés à l’intégration financière peuvent-ils être évités ? Malgré le fait que cela demande une certaine dose de courage, il est clair, premièrement, que les pays en voie de développement en tant que groupe ne devraient pas renoncer au contrôle sur les capitaux et, deuxièmement, que s’ils parviennent à s’unir, aucune pression du trio " FMI-Banque mondiale-OMC " ne peut rencontrer de succès » [10].

Dans le cas de la Thaïlande et l’Indonésie, le FMI s’est porté caution pour ces pays auprès de leurs débiteurs (privés) en agissant comme prêteur en dernier ressort. Naturellement, cet apport d’argent frais s’est fait aux conditions du FMI. Afin de restaurer la confiance, les prêts ont été assortis de conditions d’octroi très strictes : diminution des déficits budgétaires, accroissement du poids de la fiscalité (directe comme indirecte) et augmentation des taux d’intérêt [11]. On notera au passage que l’ensemble de ces mesures avaient pour but essentiel sinon unique de rassurer les investisseurs étrangers. Car augmenter les taux d’intérêt en période de récession vise avant tout à assurer une meilleure rétribution du facteur capital financier au détriment du secteur productif local. Et là, question : quid du contrôle par l’État des investisseurs ? A ce sujet, motus et bouche cousue. Ou plutôt… silence révélateur.

C’est que, comme le note François Houtart [12], « l’IDE (Investissement Direct Etranger) fait partie du processus de mondialisation et contribue à la consolidation des entreprises multinationales. Cette structure n’a pas changé au cours des dernières années. Le groupe du FMI et de la Banque mondiale a contribué à renforcer cette tendance ». Jusqu’à présent, rares sont les pays qui ont tenté de renforcer leur contrôle sur le capital financier. En Asie du Sud-Est, ce fut pourtant le cas de la Malaisie.

Cette dernière a, pour sa part, préféré combattre les causes sur lesquelles reposait la crise asiatique, à savoir les mouvements incontrôlés de capitaux. Comment s’y est-elle prise ? Très simple : elle a fait le contraire de ce que préconisait le FMI, notamment en établissant des restrictions de change afin d’éviter les sorties de capitaux. En opérant de la sorte, la Malaisie rejoignait le Chili qui avait appliqué cette même stratégie quelques années auparavant.

L’arme du contrôle des changes a d’ailleurs fait l’objet de consensus politiques tant au Nord qu’au Sud. Ainsi, au Nord, l’article 73 du traité de Maastricht, avant l’adoption de l’euro, permettait « à chaque pays d’imposer un contrôle strict des changes pendant une période de six mois lorsqu’il fait l’objet d’importantes attaques spéculatives » [13]. Pour ce qui est du Sud, la CNUCED a largement reflété un point de vue similaire en précisant « qu’il n’y a aucune raison de condamner le contrôle des changes(…). La libre fluctuation des taux, conjuguée à la mobilité des capitaux, serait néfaste à la stabilité de la monnaie, ce dont pâtiraient à la fois le commerce, l’investissement et la croissance. L’établissement du système des changes peut éliminer le problème de gestion de la dette imputable à des déséquilibres monétaires et s’est révélé utile dans certains pays pour enrayer une hyperinflation. » [14].

L’initiative de Chiang-Maï : sale coup pour le FMI !

L’initiative de Chiang-Maï vient à point nommé pour étayer un point de vue alternatif à la politique du FMI. A partir de 2005, « le nouveau cadre de l’initiative de Chiang-Maï combinant à la fois un renforcement des capacités de surveillance et une augmentation de la capacité de financement pourrait ainsi contribuer à éviter la réédition des crises financières de grande envergure » [15]. On en voudra pour preuve qu’en août 2005, des attaques contre la roupie indonésienne ont pu être enrayées grâce à un mécanisme d’aide bilatérale qui a amené la Banque centrale du Japon à débourser 6 milliards de dollars [16].

Bien sûr, les montants mis en jeu par l’initiative révisée de Chiang-Maï restent encore inférieurs à ceux qui avaient dû être engagés par la communauté internationale pour venir en aide aux trois pays les plus touchés (Corée du Sud, Indonésie et Thaïlande) par la crise des années nonante. Cependant, l’action préventive exercée par les mécanismes de solidarisation financière telle qu’instituée par l’initiative de Chiang-Maï rend le FMI un peu moins incontournable dans la sous-région.

Pour l’heure, s’il est vrai, comme le soulignent Sapanha et Guérin [17], que « les politiques de change de ces pays sont de facto ancrées au dollar et favorisent un modèle de croissance tiré par les exportations tout en contribuant au financement des déséquilibres mondiaux, à long terme, les montants en jeu devraient augmenter, l’organisation de la production évoluer vers un modèle horizontal et la question du change être examinée avec la plus grande attention dès lors que serait introduite une plus grande flexibilité des régimes de change. A cet égard, l’expérience européenne pourrait fournir quelques enseignements, notamment sur le rôle que peuvent jouer la mise en place d’institutions supranationales et l’identification d’un groupe de pays servant d’ancre au processus d’intégration régionale ».

En clair, la croissance asiatique pourrait, à l’avenir, permettre une augmentation des fonds mis au service de l’initiative de Chiang-Maï. Et à moyen terme, une réorientation du surplus produit dans la région vers des objectifs nettement plus autocentrés que le financement des déficits américains pourrait fort bien voir le jour. Et forcément, le fait que l’Asie compte de plus en plus sur ses propres forces ne manque évidemment pas d’influer sur les rapports de force avec le FMI (et les USA, son principal actionnaire). Ces contradictions ne sont évidemment pas sans impact sur les projets de réforme du FMI. Et là encore (mais qui s’en étonnera !), les avis divergent. On notera donc avec intérêt les oppositions qui, sur cette question, mettent aux prises les visées du Nord et du Sud.

Nouvelle donne pour le FMI

Dans l’édition du 20 avril 2006 du « International Herald Tribune », le Directeur Général du FMI, M. Rodrigo de Rato, estimait qu’au départ de tout projet de réforme de son institution, il convenait de peser avec gravité l’existence de déséquilibres à l’échelle de la planète. De Rato pointe quelques défis pour l’avenir. Tout d’abord, pour réduire les déficits US (déficits budgétaire et commercial), il conviendrait de promouvoir, aux États-Unis, un ajustement fiscal conséquent ainsi qu’une stimulation de l’épargne des ménages (lisez une augmentation des taux d’intérêt). En Asie, il faudrait, en revanche, stimuler la demande intérieure en laissant les monnaies du cru s’apprécier sur les marchés des changes. Ce point de vue est considéré avec méfiance par bon nombre d’analystes du Sud.

Dans la revue malaise « Third World Resurgence » (n°187), le journaliste Emad Mekay liste une série de desiderata susceptibles de rallier les pays émergents d’Asie à un projet de réforme du FMI. Pour répondre à ce qu’il considère comme « une crise d’identité du FMI », l’auteur dresse un inventaire de revendications susceptibles de redorer son blason auprès des États d’Asie du Sud. Tout d’abord, le FMI devrait, selon Mekay, modifier son optique dès lors qu’une aide est octroyée. En effet, il conviendrait qu’à l’avenir, le soutien financier accordé aux régions victimes d’attaques spéculatives ne soit plus lié à des exigences politiques qui, de facto, dépriment davantage l’activité économique. Ensuite en ce qui concerne le marché des changes, l’auteur se fait le promoteur d’une réorientation des taux de change sur les marchés mondiaux qui serait compatible avec un taux d’emploi élevé. Pour ce faire, une baisse drastique du dollar devrait être organisée et les pays en voie de développement n’auraient pas à soutenir le cours du billet vert. Il en résulterait un shift de la demande mondiale des pays en déficit (en clair, les USA) vers les pays asiatiques bénéficiant de surplus. Enfin, une ligne de crédit « contracycliques » devrait voir le jour afin de soutenir la demande dans les pays du Tiers-monde. Cette ligne serait réservée aux pays aux prises, par exemple, avec une chute drastique de leurs exportations.

Conclusion

Paradoxalement, alors que les pays du Sud remboursent à vitesse grand V une partie du capital de leurs dettes au FMI, ce dernier désespère. En effet, prêter, c’est son métier. Et donc, quand les clients remboursent, c’est son portefeuille de prêts qui trinque.

Et comme un malheur ne vient jamais seul, les pays de la zone ASEAN, via l’initiative de Chiang-Maï, ont décidé de mettre en commun une partie de leurs devises afin de se protéger en cas de coup dur. Ce qui signifie qu’en cas d’attaque spéculative sur une monnaie régionale, il est désormais loisible à toute une série de pays de la région de convenir d’arrangements internes et donc de se passer des services du FMI. Il est vrai que ce dernier n’a pas vraiment bonne presse dans cette partie du monde (comme partout ailleurs dans le Sud). En effet, alors qu’une grave crise monétaire y faisait rage, le FMI est intervenu en mettant en œuvre sa politique monétariste de rigueur. C’est ainsi qu’un pays comme la Thaïlande a dû augmenter ses taux d’intérêt et se soumettre à une cure drastique d’austérité. Ce faisant, elle a plombé sa demande intérieure et précarisé davantage encore les milieux populaires.

Dans le même temps, la Malaisie a choisi de rétablir le contrôle des changes. Un État qui agissait comme régulateur et imposait ses limites aux spéculateurs, c’était osé, c’était nouveau. Du moins dans la région. Car lors d’une précédente crise, c’est cette même voie que le Chili avait empruntée. Et là aussi, le fait de ne pas caresser le FMI dans le sens du poil n’avait pas donné de si mauvais résultats.

Depuis, le FMI est en proie à de sérieux doutes. Comme on ne refait pas, il y a quelques mois de cela (en avril 2006), son Directeur-Général se fendait d’un joli papier dans l’« International Herald Tribune » et y exprimait avec enthousiasme le beau programme de son institution pour remédier aux déséquilibres structurels de l’économie mondiale. Proposition majeure de l’institution de Bretton Woods : relever les taux d’intérêt américains (afin de stimuler l’épargne nationale… pour les ménages qui ont quelque chose à épargner) et laisser, par conséquent, filer à la hausse le cours du dollar. Pour les pays connaissant des surplus en raison de leur fiévreuse activité exportatrice, le FMI, par la bouche de son DG, laissait entrevoir un redressement de leur marché intérieur par un mouvement d’appréciation de leurs monnaies locales. Ce mouvement haussier aurait également pour effet de diminuer le déficit commercial américain. On peut se poser la question de savoir qui sortira vraiment gagnant de cette nouvelle donne.

En la matière, les pays d’Asie du Sud commencent à faire connaître leurs craintes. En effet, une augmentation des taux d’intérêt aggraverait le poids de la dette et déprimerait leur demande intérieure ainsi que la dynamique d’investissement dans le secteur productif. De même, une amélioration du cours de leurs monnaies nationales handicaperait leurs exportations. Tout ça pour régler la question du déficit américain. Le sud-est asiatique a, depuis, choisi de donner de la voix. C’est ainsi qu’il réclame une baisse du dollar. Ce qui aurait pour effet d’atténuer les déficits américains en freinant le pouvoir d’achat du dollar et en relançant les exportations US. Dans un tel contexte, la hausse de cours des monnaies asiatiques permettrait d’accroître le pouvoir d’achat des populations locales. Indubitablement, c’est un son de cloche que l’on n’apprécie guère du côté de Washington.

Notes:

[1] Japon, Singapour, Indonésie, Chine, Malaisie, Philippines, Thaïlande et Corée du Sud

[2] Financial Times, 24 et 25 avril 2006

[3] Wall Street Journal, 21 avril 2006

[4] The Economist, 22 avril 2006

[5] www.attac.org/senegal

[6] Hakim Ben Hammouda, www.attac.org/senegal, p.2

[7] Voir Éric Toussaint, Banque mondiale : le coup d’État Permanent

[8] Hakim Ben Hammouda, op.cit., p.3

[9] Gosh. A., « L’endettement externe en Asie, les flux de capitaux et les problèmes liés à l’intégration financière » in Alternatives Sud, « Raisons et déraisons de la dette », Centre Tricontinental, L’Harmattan, Paris, 2002, pp.127-144

[10] Idem, p.143

[11] Third World Resurgence, n°187

[12] in Alternatives Sud, Vol.VI, 1999, l’Harmattan, Paris, p.28

[13] Hakim Ben Hammouda, op.cit., p.4

[14] Rapport de la CNUCED sur le commerce et le développement cité par Hakim Ben Hammouda, p.5

[15] « Les progrès de l’intégration monétaire et financière en Asie », Sapanha Sa, Guérin Julia, Banque de France, Revue de la stabilité financière, n°8, mai 2006, p.14

[16] Sapanha Sa, Guérin Julia, op.cit., p.15

[17] op.cit., pp.19-20

Source : www.gresea.be.

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.