La musique africaine depuis 1950 : le regard de Frank Tenaille (Le Potentiel)

 Frank Tenaille commence son livre avec Joseph Kabaselé (Grand Kallé), un des précurseurs de la musique des deux Congo, compositeur de la célèbre chanson Indépendance cha-cha. L’influence de cet artiste demeure considérable dans la musique africaine contemporaine. Joseph Kabaselé marquera la rumba congolaise avec un autre grand, Nico Kassanda alias «Docteur Nico», certainement le plus talentueux des guitaristes de l’histoire de la rumba des deux Congo. C’est En 1953 que Joseph Kabaselé crée à Léopoldville – alors capitale du Congo-belge -, le groupe African Jazz. C’est ce groupe qui allait inspirer plusieurs orchestres du continent africain…

Il faut souligner qu’une partie de la musique africaine est redevable aux instruments apportés par les marins lors de la période coloniale. Ainsi, le courant musical High life, dont les premiers balbutiements remontent aux années vingt sur la Gold Coast, est une fusion du jazz et de l’Osibi (danse à base de percussions des Akan).

L’histoire politique est plus que présente, surtout la période sombre de l’apartheid, avec Myriam Makeba, figure emblématique du continent contrainte à l’exil, ou encore la musique de libération nationale du Zimbabwéen Thomas Mapfumo et la vague de nationalisme venant de la Guinée, représentée par le très célèbre groupe Bembeya Jazz.

Les rythmes que Frank Tenaille classe sous les rubriques «Racines» et «Le sel de la terre» s’ouvrent à de nouvelles expérimentations mais restent rattachés au Continent: le Nigérian Fela Kuti excelle avec l’Afro-beat ; l’Ivoirien Alpha Blondy (Seydou Koné) témoigne de la vitalité du reggae en Afrique ; le Malien Ali Farka Touré est très proche du blues, avec sa guitare-calebasse-njarka ; le Sénégalais Doudou Ndiaye Rose est l’initiateur du premier grand groupe de percussionnistes d’Afrique ; Rakoto Frah, pour sa part, puise dans l’identité musicale malgache – mon ami l’écrivain Rahararimanana devrait se réjouir – tandis que le Réunionnais Grand Moun Lélé fait du maloya «comme on respire».

Durant la tumultueuse période de mai 1968 en Europe, deux grands noms du continent se trouvent en Europe : le Camerounais Francis Bebey et le Gabonais Pierre-Claver Akendengué. Les deux artistes ont largement contribué au processus de la reconnaissance de la musique africaine hors des frontières du continent. Frank Tenaille les qualifie d’ailleurs de «métropolitains», mieux encore «d’enfants de la négritude» car, derrière l’entreprise artistique se dessine un militantisme proche des fondateurs de la négritude. Francis Bebey utilisait la plupart des instruments à sons de l’Afrique centrale, puisait dans les mythes africains pour composer ses chansons. Akendengué a signé un des albums les plus ambitieux de la world music intitulé «Lambarané» et dont le travail avait nécessité cent cinquante musiciens et choristes, six mois de préparation, trois mois de studio…

L’immigration africaine a-t-elle installé une vogue des musiques noires? Frank Tenaille souligne que dans les années quatre-vingts, beaucoup de courants musicaux s’essouflant, les médias étaient à l’affût de la nouveauté et se faisaient alors «les propagandistes de l’idée d’une société multiculturelle». Le groupe Touré Kounda par exemple bénéficiera de l’intérêt de la presse pour rencontrer un public de plus en plus sensible aux musiques africaines. Ce phénomène de l’industrie musicale européenne attentive aux musiques africaines préfigurera ce qu’on appellera plus tard la World music…

Le swing du caméléon est un bilan nécessaire, un livre utile en cette période où les rythmes africains suscitent un intérêt à travers le monde. L’ouvrage a le mérite de faire le point sur l’ensemble des musiques africaines. Le lecteur réalise très vite qu’il revisite également l’Histoire africaine gravée en arrière-plan et dont le rythme se fait entendre en fond sonore. Jamais la musique n’a été aussi proche des mutations sociales…

Franck Tenaille dispose d’une licence d’économie, licence d’ethnologie, d’une maîtrise et doctorat de sociologie. Il est conseiller artistique musiques du monde, musicologue, membre fondateur de l’association Zone Franche (association pour la diffusion des musiques de l’espace francophone et du monde) et vice-président. Il est aussi membre de l’académie Charles-Cros et membre fondateur de Medinma (Méditerranée in Marseille). Journaliste, il est collaborateur à Autrement, Bayard presse, Jeune Afrique, L’Evènement du jeudi, La Quinzaine littéraire, Géo, etc.… Frank Tenaille est aussi critique musical au Monde de la musique, . Critique musical au Nouvel Observateur, rédacteur en chef adjoint à Profession culture, et critique à World (magazine des musiques du monde).

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