Si la colonisation nous était contée par Paul Lomami-Tchibamba


 

On doit à Mongo Beti d'avoir réhabilité la figure de Ruben Um Nyobé
, nationaliste camerounais sur lequel la propagande coloniale et celle
néo-coloniale de Ahmadou Ahidjo fit peser une véritable chape de plomb.

Exemple tout aussi emblématique: le
film "Thiaroye" de Sembene Ousmane , témoignage poignant et
incontournable sur un camp de concentration érigé sur le sol sénégalais,au
cours de la deuxième guerre mondiale(1940-1945). Cette oeuvre fut longtemps
censurée en France et pour cause.

C'est dans le droit fil de telles
réalisations qu'il nous faudrait oeuvrer afin de mériter de nos ancêtres.

Au Congo, les plasticiens ,en
l'occurrence les peintres populaires , ont porté haut le souvenir de Lumumba
qu'ils ont retransmis le mythe à travers la chaîne des générations, en dépit de
la censure et de la répression qui sévissaient au temps de Mobutu. Grâce à eux,
Lumumba était omniprésent dans les foyers. Ces mêmes peintres ont donné leur
vision du fait colonial , imprégnée de la sensibilité des couches
populaires »
.(
Antoine Tshitungu Kongolo, Lettre sur nos ancêtres de Tervuren)

 

 

 

Des écrivains et des artistes se
sont signalés par une lecture démystificatrice de l’histoire, à contre-courant
de l’historiographie et des idéologies officielles. Il serait judicieux de leur
donner la voix au cours de nos rencontres à venir.

J’ai évoqué sous cet angle l’œuvre
de Paul Lomami-Tchibamba le 17 août dernier à la Maison Africaine à Ixelles en
ponctuant mes propos des extraits de ses œuvres. Quelques mots sur cet écrivain
à la mémoire phénoménale et à l’écriture percutante , une façon de prendre date
pour des futures rencontres qui mettraient en perspective l’histoire sous
l’angle des écrivains congolais notamment.

 

L’œuvre de Paul Lomami-Tchibamba
évoque la colonisation sous ses multiples aspects depuis la période des
explorations jusqu’au crépuscule colonial sans ignorer le phénomène du
néo-colonialisme et son cortège d’épiphénomènes.

Elle rend compte également du choc
culturel ressenti par les Bantu depuis les premiers contacts avec les Européens
dans la période antécoloniale. Dans « Ngando »(1948) par exemple,
l’allusion ironique aux hommes blancs assimilés à des revenants plonge ses racines

Dans un terreau ancien qui a laissé
des traces parmi les peuples riverains du Congo qui reçurent la visite des
Portugais au XV° siècle.

Dans le même livre , il rappelle que
les Cataractes constituent une ruse des « soerciers » pour empêcher
les envahisseurs de pénétrer à l’intérieur du Congo qui demeura ainsi une sorte
de terre inconstant pour un certain Occident.

Dans « Londema », la reine
de Mitsoue Ba Ngoni, il fait allusion sur le mode mythico-légendaire à un
royaume subaquatique , créé et placé sous la férule de Londema qui soustrait
ainsi son peuple à l’asservissement dont le menacent les envahisseurs blancs.

En prenant comme références l’époque
de Stanley (1877-1885), en amont, et en aval 1960, année de l’accession de
l’ancien Congo belge à la souveraineté , les récits, nouvelles et romans de
Paul Lomami Tchibamba constituent un scénario en plusieurs tableaux :

L’époque de Stanley est narrée et
décrite dans une optique de démystification qui contrepointe les forfanteries
et dénonce les menteries et exagérations de l’illustre explorateur.

C’est la matière de « La
récompense de la cruauté » suivi de « Ngobial de M’swata ». Dans
« Ah !Mbongo », roman posthume, il explore les ruptures
découlant du passage douloureux de l’époque des explorations avec leur lot de
crimes à l’exploitation coloniale proprement dite ainsi que les changements de
mentalités qu’elle induit pour les indigènes tentés par les mirages de la vie
citadine, entraînés dans les spirales de l’exode rural.

Ce roman est une fresque d’une richesse
inouïe sur la ville de Léopoldville , vitrine d’une modernité dont le Belge se
voudra le promoteur et le chantre tout au long de la période coloniale.

Par ailleurs les razzias et
exactions des Arabes , comme les exploits sanglants des fameux pionniers de la
civilisation ne sont pas en reste. Ses charges sur Léopold II sont
mémorables !

Ce texte convoque et confronte pour
l’édification du lecteur plusieurs couches mémorielles

sur lesquelles la plupart des
écrivains congolais demeurent muets.

Dans « Ngando »(1948),
c’est le Léopoldville de l’après-guerre( 1940-1945) avec son lot de misères et
d’iniquités pour les indigènes soumis aux contrôles policiers tatillons ,
victimes des chasses aux chômeurs menées par pandores zélés à l’instigation des
autorités coloniales.

En réalité, ce sont les grandes
sociétés commerciales , industrielles et autres qui soufflent aux autorités la
politique à suivre. Ni des enfants innocents, ni les femmes ne sont à l’abri de
la férule de Bula Matari et encore moins épargnés par le zèle balourd de ses
auxiliaires noirs.

Dans « Ngemena », c’est un
coup de projecteur salutaire sur des épisodes occultés de la colonisation qui
nous vaut cette leçon de choses nourrie par la mémoire phénoménale de Paul
Lomami-Tchibamba qui remet en lumière le drame du passé ( en l’occurrence la
terrible répression qui s’abattit sur les kimbanguistes dans
l’entre-deux-guerres) tout en sse livrant à la dénonociation concomitante du
néo-colonialisme qui tue le génie des Africains.

C’est aussi un pied de nez subtil
aux autorités zaïroises coupables de metttre en branle un mouvement de
réconversion culturelle dont Tchibamba sitgmatise à travers le cas du toponyme
« Ngemena » l’absence de repères pour ne pas dire l’amnésie.

En cause la débaptisation des villes
et laquelle remet en selle le mot « ngemena », une injure réservée
aux morts vivants dont personne n’a cure de faire revivre la mémoire.

Ni l’école, ni les médias n’ont pipé
mot sur cette tragédie qui inspire à Paul Lomami- Tchibamba un récit à l’allure
documentaire où il évoque avec passion mais avec une précision
d’archiviste tant des faits illustratifs
de l’ordre colonial tombés dans le silence de l’oubli.

 

 

Antoine Tshitungu Kongolo

 

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