16.09.08 Enterrement de Première classe… Est-ce ce qui attend les ONG ? (DP)

Les ONG, d’après Charles Michel, se dispersent
beaucoup trop et, comme leurs moyens sont en baisse (par la faute de qui, donc ?)
cela mène à un saupoudrage inefficace. Mieux vaudrait une action concertée et
ciblée… Et quelle serait donc la cible ? Parbleu ! Mais ce seraient
bien sûr les pays choisis par le Ministère de la Coopération…  A ce compte-là, on devra bientôt changer leur
acronyme et ne plus les appeler ONG, mais ONI, pour « Organisations Notoirement
Instrumentalisées ».

 

Faut-il le rappeler, quand , il y a plus de
quarante ans, on se mit à parler d’ONG, c'est-à-dire d’Organisations Non
Gouvernementales, ce « non » marquait bien un refus.

Celui-ci ne concernait pas le caractère étatique
de la coopération officielle. Au contraire, un bon nombre d’ONG qui, par
idéologie, se situaient à gauche, étaient tout à fait favorables à l’initiative
économique d’état et souhaitaient coopérer avec des Etats du Sud qui
cherchaient vers le développement des voies d’inspiration socialiste. Il leur
fallut le faire « à titre privé » parce que, en ces temps marqués par
la guerre froide, de tels pays n’inspiraient à la coopération officielle qu’un
repli frileux…

Le « Non «  de « non-gouvernementale »
concernait :

– un certain nombre d’a priori idéologiques,
qui paraissaient peu compatibles avec le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
et se traduisaient soit par le refus de coopérer avec des gouvernements progressistes,
soit à vouloir mordicus coopérer avec des gouvernements tyranniques,
impopulaires et corrompus qui avaient pour seul mérite de se dire « anticommunistes ».
En un mot : une trop grande dépendance de la coopération envers la
politique étrangère de la Belgique, politique, comme on sait, très « alignée ».

– une orientation vers les projets de grandes
envergure et de rentabilité incertaine (qualifiés à l’époque « éléphants
blancs ») dont le seul mérite était de procurer d’intéressants débouchés à
des sociétés belges et de juteux dessous de table à la bourgeoisie locale. Bref,
il y avait confusion entre les buts de la coopération au développement et ceux
du commerce extérieur.

Et il faut bien constater que, souvent, la
Coopération n’a été qu’un secrétariat d’Etat, ou même un portefeuille détenu à
titre accessoire par un Ministre par ailleurs titulaire, précisément, …  des Affaires Etrangères ou du Commerce
Extérieur.

 

En d’autres mots, il y a eu, à l’origine des ONG,
la constatation que le coopération au développement était instrumentalisée par
le gouvernement et que la seule manière de coopérer sans passer sous les
Fourches Caudines de cette instrumentalisation était de se distancier de la coopération
officielle, d’être « non-gouvernemental ».

Mis à part ce constat négatif concernant la
coopération offcielle,  ces gens avaient
des points de vue très différents, voire même inconciliables, mais ils étaient
aussi fort nombreux. Or, le nombre est un argument de poids en politique ! A
cela s'ajoute que nous parlons d'un moment où les organisations transcendant
les clivages politiques traditionnels (ou prétendant le faire) avaient le vent
en poupe, et où un gouvernement démocratique se devait de prêter l'oreille aux
initiatives de la base. On vit donc petit à petit se produire des changements :

 

Pour représenter un groupe de pression plus
efficace, les non gouvernementaux vont se grouper, dans le CNCD (d'abord
unitaire, puis scindé selon les communautés, comme tout ce qui est associatif
en Belgique). Celui-ci est surtout connu pour l'organisation annuelle de
l'opération 11.11.11.,
collecte de fonds destinés aux projets des ONG.

Sans abandonner les "liens
historiques" avec ses anciennes possessions, la Belgique diversifia
effectivement ses aides. On vit apparaître, à côté des projets africains, des
projets latino-américains ou asiatiques, et l'on n'avait que l'embarras du
choix, entre les divers pays de l'Afrique ex-française… Pour la petite
histoire, notons ce gag "à la Belge": l'apparition, parmi les pays
bénéficiaires, de l'Indonésie, pour une raison essentielle ! Avec cette
ex-colonie hollandaise, la coopération peut se faire en néerlandais !

Qu'il s'agisse de critiquer les "éléphants
blancs" ou les dictateurs,  de montrer que    les
fonds publics sont affreusement gaspillés ou encore de décrire le "bon
modèle progressiste" de développement qu'on y opposait, il fallait bien,
de manière croissante, en appeler au témoignage des ressortissants du Sud, et
même faire état de leurs doctrines. Cela ne pouvait être longtemps conciliable
avec l'idée générale d'un Sud passif, devant être "modelé" par la
coopération. Assez rapidement, l'état belge va s'engager à co-financer les
projets des ONG, entre autres en doublant les sommes recueillies par 11.11.11. Cela
aura maintes conséquences…

 

Par un chemin en fait bien trop long et trop sinueux pour ce qui aurait
dû apparaître d'emblée comme une évidence, l'idée finit par s'imposer que le
développement est d'abord l'affaire des gens du Sud eux-mêmes, et que la
coopération suppose un partenariat avec des organisations locales considérés
comme des partenaires à part entière. Aussi est-on passé progressivement du
"projet" ponctuel avec ses aspects de "raid" à des notions
de programmes et de partenariat, engageant les ONG du Nord et du Sud dans une
collaboration de longue haleine. Alors que vers 1970 une ONG était, d'évidence,
une sorte d'agence de voyage envoyant des coopérants à l'extérieur car un
projet de développement était bien sûr un projet d'envoi, les programmes
comportant l’envoi d'expatriés sont devenus la minorité. La plupart du temps il
s'agit d'apporter  l'appui des organisations belges aux efforts de
développement des nationaux et de leurs organisations.

On pourrait en retirer l'impression que tout
est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ce n'est malheureusement pas le
cas.

 

Obtenir le co-financement par l'état était
certes une victoire, mais cela exposa l'état à bien des tentations. En effet,
par le co-financement, la subsidiation, la mise à disposition de personnel
(chômeurs des plan Spitaels, CST, TCT, et autres, enseignants détachés,
objecteurs de conscience, …) l'état est devenu un bailleur de fonds important
des ONG, ce qui lui donnait des possibilités de pression de nature à remettre
en question le N de leur nom. On a parlé, dès alors et parfois à bon escient,
de l'instrumentalisation des ONG.

Les ONG ont parfois servi de paravent. Puisque,
dans l'esprit du public, la coopération officielle était coûteuse, inefficace
et pleine d'arrière pensées politiques, cependant que les ONG bénéficiaient
d'une auréole d'idéalisme, de pureté et de désintéressement on se mit à les
utiliser pour avancer masqué. Des ONG se virent proposer une sorte de rôle de
sous-traitants de la coopération officielle. d'autre part, puisque l'étiquette
d’ONG était si valorisante, on en vit apparaître qui, à mieux y regarder,
avaient des liens très évidents avec certains intérêts d'affaires. C’est à ce
moment-là, précisément, que Marc Eyskens, alors Secrétaire d’Etat à la
Coopération, parlait d’augmenter le rôle des ONG et de créer le Fonds de la
Coopération, soustrait à l’annalité budgétaire, donc moins soumis au contrôle
parlementaire.

De cette époque datent un certain nombre d’organisations
qui bénéficient indument du nom d’ONG et d'une auréole d'idéalisme, de pureté
et de désintéressement, soit qu’elles soient des « filiales humanitaires »
d’entreprises commerciales – comme Transurb Consult par rapport à Traction et Electricité
-, soit qu’elles soient elles-mêmes des entreprises indépendantes, des bureaux
d’étude, qui peuvent d’ailleurs être parfaitement honnêtes et compétents mais n’en
étaient pas moins, en excipant de la qualité d’ONG, des corbeaux qui se
paraient des plumes du paon.

 

En même temps que le rôle de l’état
s’accroissait dans le secteur des ONG, ce qui est tout de même déjà paradoxal,
il décroissait dans la coopération considérée dans son ensemble. En effet, les
progrès de l’Union Européenne avaient pour corollaire une diminution de
l’activité des états membres, au profit de la Communauté. D’où une évolution du
bilatéral vers le multilatéral, tournant que les ONG ont négocié bien moins
habilement que les états. Disons le franchement, au niveau de la coopération

entre ONG européennes, on n’est, en fait, nulle part.

 

Une fois les ONG devenues nettement dépendantes
de subsides et autres formes de défraiement venus des pouvoirs publics, autrement
dit, tenues en laisse, on leur fit sentir le collier . Le cas le plus
remarquable est la fameuse colère d’Armand De Decker contre le « clip de l’enveloppe
vide » diffusé par le CNCD Monsieur De Decker a saisi les tribunaux.
C’était son droit. Il a obtenu de ces tribunaux qu’ils contraignent le CNCD a
retirer immédiatement son spot des antennes, sites Internet, etc… C’était
demander à un tribunal d’exercer, sous un autre nom, une Censure, laquelle
d’après la Constitution belge « est abolie et ne pourra jamais être
rétablie ». Qu’un juge ait cru bon de juger ainsi fait du 18 novembre 2005
un jour peu glorieux pour l’honneur de notre magistrature
« indépendante » Mais, que le Tribunal ait tranché dans le sens de la
Censure voulue par le Ministre est un problème entre le juge et sa conscience.

Le Ministre a dit aussi des choses beaucoup
plus graves. Il émis l’opinion que le CNCD ne devrait pas se permettre
d’attaquer la coopération officielle belge, parce que le CNCD est subsidié par
l’Etat. Or, prenons y garde, les ONG de coopération n’ont pas qu’un rôle
d’organisateurs de projets exotiques. Elles veulent aussi conscientiser,
informer, porter sur la politique du Nord un regard critique, suggérer des
alternatives… Bref,
les ONG sont un contre-pouvoir ! Et cette
situation n’est pas, et de loin, propre aux milieux s’occupant de relations
Nord-Sud.

 

Les pouvoirs publics, qu’ils
s’agisse suivant le cas de l’Etat Fédéral, des Communautés et Régions, des
communes même, financent en notable partie, de manière analogue, d’innombrables
associations sociales ou culturelles qui sont, à la fois, des intervenants de
terrain et des organes de réflexion critique. C’est le cas, par exemple, d’un
nombre impressionnant d’organisations s’occupant de la pauvreté, de
l’exclusion, du racisme, de la qualité de la vie et de celle du logement…
J’en passe, et beaucoup !

Si on  réussissait à mettre le CNCD à la botte, si
désormais on ne pouvait plus dire certaines vérités, comme par exemple que la
Belgique fait peu, beaucoup trop peu, en matière de coopération au
développement, et qu’elle songe alors, en dépensant ce peu, beaucoup plus à ses
propres intérêts qu’à ceux du Tiers-monde, si l’on se trouvait contraint
d’afficher toute campagne de récolte de fonds par « Bien que notre gentil
gouvernement en fasse déjà tant, nous nous permettons encore de vous
déranger… », la société belge serait sur une pente savonneuse.

 

A en croire certaines blagues,
nous serions le pays des frites. Nous sommes aussi celui des
« chochetés », comme dit le Bruxellois. Notre vie associative est
foisonnante et multicolore. Cela fait partie de notre manière de prendre notre
destin en main et la démocratie n’a jamais rien perdu à la vitalité de la
société civile. Si la subsidiation par les pouvoirs publics devient une sorte
de carotte pour faire avancer l’âne, nous allons vers des lendemains qui
déchantent.

S’il n’est plus permis d’émettre
un avis critique sans l’accompagner de lourdes précautions obligatoires
soulignant le rôle « globalement positif » du pouvoir « à qui
nous devons tant », on ne sera pas loin de la langue de bois et de la
propagande unilatérale. A quand les manifestations de soutien « spontanées
et obligatoires » ?

 

En apparence, Charles Michel est
un homme fort différent de son prédécesseur. Celui-ci se distinguait par une
suffisance hautaine, alors que Charles Michel cultiverait plutôt le genre « simple
et bon enfant ». Toutefois, son « regroupement pour des raisons
techniques, afin de gagner en efficacité », sur des cibles définies par la
coopération officielle, assorti d’une constante diminution des subsides revient
à poursuivre la même politique : étrangler et contrôler. C’est l’instrumentalisation
aujourd’hui et, demain, l’enterrement de première classe.

© Dialogue des Peuples , le mardi
16 septembre 2008

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