La spécificité de ce colloque, cest quil sinscrivait dans la dynamique profonde de la recherche kamitique (ou égyptologique). Ce qui permettait de rejoindre Aimé Césaire qui prit le temps de lire pendant toute une nuit la première partie de Nations Nègres et Culture de C.A. Diop et circula dans Paris en quête des intellectuels noirs à même de cautionner comme lui la thèse de lhistorien sénégalais. Sa démarche se solda par un échec dans un contexte où il ne fallait pas oser apporter ses suffrages à une pensée révolutionnaire.
Ceci dit, nous avons eu la joie de rendre hommage à un nègre fondamental et jusquauboutiste, architecte du concept de la négritude, témoin conscient de ses racines africaines, familier des exigences de luniversel et connaisseur de la langue française quil savait bien construire et déconstruire.
Lexpérience littéraire dAimé Césaire procède du déracinement présenté dans son œuvre littéraire comme larrachement au sol originel de lAfrique-mère et lacculturation subi au pays natal, cest-à-dire en Martinique. Cest donc la conscience dune identité brisée. La révolte se traduit en tragédie.
Le ‘grand cri nègre implique un retour qui débouchera sur un « renversement de modèles, une restructuration du cadre de référence, une renonciation à lunivers de ‘nos ancêtres les Gaulois et de leurs dieux et génies tutélaires ». Bien sûr, les ténors de la négritude ne sont pas allés « jusquau bout de ce processus de renversement de modèles et de la restructuration du cadre de référence propre ». Mais la volonté de rédemption de leur entreprise – mise à part sa dimension ‘aussitale (‘nous avons ‘aussi une science…) et la malheureuse formulation senghorienne sur une raison hellène – garde sa valeur. Lhommage déférent rendu à Aimé Césaire nous autorise à attirer lattention de tout le monde sur ce point. Il nous invite à revenir sur le concept du retour au pays natal de lAfrique dans la perspective diopienne. C. A. Diop montre la nécessité pour lAfrique dun retour à lÉgypte ancienne dans tous les domaines : celui des sciences, de lart, de la littérature, du droit, … Loin dêtre conçue comme un repli sur soi ou une simple délectation du passé, cette démarche lui permet de définir le cadre de réflexion approprié pour poser, en termes exacts, lensemble des problèmes culturels, éducatifs, politiques, économiques, scientifiques, techniques, industriels, etc., auxquels sont confrontés les Africains, aujourdhui, et pour y apporter des solutions que lhistoire impose.
La pensée de Césaire qui na pas manqué de souligner le caractère décisif de la contribution de C.A. Diop à la renaissance des peuples noirs, se situe dans le prolongement de la réalité et du concept désormais opératoire de bukam (c'est-à-dire négritude ou kemitude selon les usagers de la langue française).
Bukam soppose au monde de loppression, de linjustice et à la théologie du mensonge. On peut dire quA. Césaire se situe dans une longue tradition du culte de la négritude et du rejet de loppression sous toutes ses formes. La négritude césairienne a eu à charge de constituer «une communauté doppression subie et une communauté dexclusion imposée», «une communauté de résistance continue» et de «lutte opiniâtre pour la liberté et dindomptable espérance». Elle nétait pas une métaphysique ni une conception du monde. Selon A. Césaire, elle était «…une manière de vivre lhistoire dans lhistoire : lhistoire dune communauté dont lexpérience apparaît, à vrai dire singulière avec ses déportations de populations, ses transferts dhommes dun continent à lautre, les souvenirs de croyances lointaines, ses débris de cultures assassinées (…). La négritude résulte dune attitude active et offensive de lesprit. Elle est sursaut, et sursaut de dignité. Elle est le refus (…) de loppression. Elle est combat, cest-à-dire combat contre linégalité. Elle est aussi révolte (…) contre (…) le réductionnisme européen (ou) (…) ce système de pensée ou plutôt (…) linstinctive tendance dune civilisation éminente et prestigieuse à abuser de son prestige même pour faire le vide autour delle en ramenant abusivement la notion duniversel (…) à ses propres dimensions, autrement dit, à penser luniversel à partir de ses seuls postulats et à travers ses catégories propres» (lire le Discours sur la négritude).
Le colloque dhommage à Aimé Césaire a donné aux participants – aussi nombreux dans lavant-midi que dans laprès-midi du 25 octobre dernier – loccasion de réfléchir sur ces fondamentaux de la négritude et de voir – à travers échanges et débats – comment il peut être possible de se les approprier dans un contexte parfois inhospitalier où le statut de la femme immigrée ne cesse dinterpeller.
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