29.08.06 La dépréciation du Franc congolais : causes et perspectives (Le Potentiel)

L’un des canaux par lesquels se transmet et s’alimente l’inflation en RDC demeure la dépréciation de sa monnaie nationale, le « Franc congolais ». En effet, il ressort des analyses effectuées sur l’évolution de la conjoncture en République démocratique du Congo (au cours de ces trois dernières décennies (entre 1970-2000)), que les épisodes de dépréciation de la monnaie nationale (Zaïre, Nouveau-zaïre et/ou Franc congolais) correspondent très souvent à une accélération du rythme de formation des prix intérieurs, de même que les périodes de fortes tensions inflationnistes se caractérisent également par des pertes de vitesse de la monnaie nationale par rapport aux devises étrangères.

Il est clair que le sens de la causalité, dans ce cas, n’est pas unidirectionnel, mais que « taux de change » et « taux d’inflation » en RDC s’influencent mutuellement. Cependant, il convient de retenir que ce mariage « inflation – dépréciation » ou « dépréciation – inflation » demeure amplement dangereux d’autant plus (i) qu’il contient des germes d’appauvrissement de la population, de par les pertes du pouvoir d’achat et de change qu’il suscite et, pire, (ii) il s’auto-entretient et risque à la longue de dégénérer et de devenir grave. Telle était la situation en RDC dans les années 1990.

CYCLE « INFLATION-DEPRECIATION » EN 1990

La République démocratique du Congo vient de sortir d’une décennie amplement turbulente quant à la stabilité monétaire depuis les années 1990. Cette période s’est caractérisée, – en dehors des taux d’inflation très élevés, dont les pics de 4.651,7 % et 9.796,9 % atteints en 1993 et 1994 -, par des dévaluations et des dépréciations criantes de sa monnaie nationale au-delà de 80% pour certaines années.

Il s’est révélé, au cours de cette décennie 1990, une certaine spirale inflation – taux de change – inflation qui alimentait aisément l’instabilité du cadre macroéconomique et entretenait le cycle d’appauvrissement de la majorité de la population congolaise. Le développement « hyper-rapide » de l’inflation au cours de ladite période a conduit les agents économiques (ménages, entreprises, voire Etat) à acquérir massivement des devises étrangères (dollars américains) à même d’assurer la préservation du pouvoir d’achat. La monnaie nationale de l’époque (Zaïre et/ou Nouveau-zaïre) était devenue une « monnaie qui brûle les poches », c’est-à-dire que l’on a du mal à conserver longtemps par devers soi, craignant le risque qu’elle ne perde tout son pouvoir d’achat, vu l’évolution de l’inflation. Par conséquent, au cours de la décennie 1990, la demande des devises étrangères (Usd) s’était fortement accrue par rapport à la détention de la monnaie congolaise.

Mais alors, vu le fait que la Banque centrale du Congo s’est retrouvée dans l’incapacité d’honorer cette demande en constante expansion, le marché noir s’est développé rapidement et a pris le relais. C’est ainsi que la quasi-fixité du taux de change de la monnaie nationale, décrétée de pleine autorité par la BCC plusieurs fois au cours de cette décennie 1990 (par exemple entre 1998-2001) – dans un contexte d’absence totale des devises étrangères pour défendre la parité, sera purement et simplement balayée du revers de la main par les dépréciations scandaleuses constatées chaque jour sur le marché parallèle.

Par conséquent, le taux de change de référence (réel) était devenu celui de ce dernier marché où le dollar ne cessait de se raffermir, vu l’accroissement exponentiel de la demande qui y était adressée. Pour preuve, entre 1998-2001, alors que la Banque centrale administrait son taux de change avec des légers et rares réajustements, le taux du marché parallèle se dépréciait fortement et constamment : entre janvier-décembre 1999, 1 dollar US est passé de 2,45 Fc à 4,5 Fc sur le marché officiel, soit une dépréciation de 45%, alors qu’en réalité, au marché parallèle, il est passé de 3,2 Fc à 25,50 Fc le dollar Us, soit une baisse de plus de 87%. Les écarts étaient ainsi énormes entre ces deux taux au point qu’à fin 1998, celui-ci était de 50% ; et est passé à 466,7 et 182,0% en 1999 et 2001 avant que le gouvernement ne se décide finalement, au gré des événements, à aligner son taux à celui du parallèle en mai 2001. Ainsi, l’accroissement désordonné des prix sur les marchés des biens et services était défavorable à la monnaie congolaise qu’il envoyait facilement aux enfers, d’autant plus qu’il attisait la demande des devises étrangères (comme valeur refuge) dans un contexte hyperinflationniste.

Parallèlement, il convient de souligner que ces pertes de valeur de la monnaie nationale entraînaient à leur tour des conséquences néfastes sur l’évolution du rythme général de formation des prix intérieurs. Et cela, d’autant plus que la majeure partie des biens vendus sur le marché intérieur congolais sont de nature « importés ». Il est dès lors assez évident que leurs prix en Franc congolais soientt indexés sur l’évolution du dollar Us et/ou d’autres devises étrangères. Dans ce cas, toute dépréciation du Franc congolais, et donc, toute appréciation du dollar Us entraîne automatiquement des réajustements à la hausse des prix intérieurs. C’est ainsi qu’au cours de cette période de 1990, les dévaluations et dépréciations de la monnaie congolaise ont contribué à leur tour au raffermissement des tensions inflationnistes sur le marché des biens et services. On comprend, dès lors, que vers les années 1990, les mouvements à la hausse (les turbulences) des prix intérieurs influaient négativement sur le taux de change de la monnaie nationale ; tandis qu’à leur tour, les dépréciations de cette dernière (la monnaie congolaise) causaient des réajustements inflationnistes (ceteris paribus) créant une spirale pernicieuse. Qu’en est-il aujourd’hui du Franc congolais ?

DECENTE AUX ENFERS

On ne cessera jamais de le dire, depuis le début de cette année 2006, que le Franc congolais côte déport et affiche une santé très précaire : pas un seul mois, la monnaie congolaise n’a pu s’apprécier (voir tableau n° 1 ci-dessous). Sa valeur baisse constamment face aux monnaies étrangères qui circulent dans l’espace monétaire national (dollar, euro…), alors que la politique de change de la Banque centrale du Congo semble s’être essoufflée, autant qu’elle n’arrive plus à produire un résultat probant.

De l’analyse du tableau n°1, il appert que le Franc congolais est en perte de vitesse par rapport au dollar Us. La monnaie congolaise s’est dépréciée de 0,40 % au mois de janvier 2006 ; de 0,68 % en mars ; de 1,96 % en mai 2006 et de 3,04% au mois de juillet. Considéré par rapport à fin décembre 2005, le Franc congolais a perdu 6,7% de sa valeur face au dollar américain. L’évolution de la situation du change au mois d’août 2006 laisse présager une dépréciation plus accrue (du Fc) qu’au cours des mois précédents, vu qu’au 20 août 2006, le dollar serait déjà dans les voisinages de 480 Fc.

Ce qui est pourtant l’objectif prévu en matière de taux de change pour 2006 (480 Fc/1 Usd). Par là, la RDC tend à manquer ce repère du Programme Relais de consolidation (PRC), qui est pourtant une bouée de sauvetage lui lancée gracieusement par les institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale), afin de pouvoir le récupérer et l’aider à se repositionner après l’échec cuisant du PEG.

Cependant, l’ironie dans cette évolution maladive du Franc congolais demeure le « grand paradoxe » qui subsiste entre l’évolution des volumes des offres et demandes des devises étrangères sur le marché officiel (tels que livrés par la BCC), qui contraste très fortement avec celle du taux de change. En effet, il ressort des données de l’institut d’émission congolais que, globalement, depuis le début de cette année 2006, l’offre serait supérieure à la demande des devises sur le marché des changes. Autrement dit, le Franc congolais devait logiquement afficher une appréciation. Or, le cours indicatif de la BCC traduit une profonde dépréciation du FC depuis le début 2006. Pourquoi ? Il appartient à la BCC d’éclairer l’opinion sur ce point. Cependant, nous pensons que la BCC se passerait sûrement de son taux, calculé selon ses données et méthodes, qui ne reflèterait pas la réalité, pour afficher carrément celui du marché parallèle où, visiblement, le Franc congolais régresse.

Face à cette situation, la politique de change de la BCC demeure impuissante pour deux raisons essentiellement : i) l’excès d’offre sur la demande des devises sur le marché des changes officiel rend caduque toute intervention de la BCC ; ii) cette politique risque d’entamer les réserves de l’institut d’émission et, partant, rendre difficile le respect du critère sur le « plancher des avoirs extérieurs nets » qui demeure important pour le PRC.

BENOÎT KUDINGA, ASS/UNIKIN

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