LES MIGRATIONS INTERNES DES BOMBOMA SELON L'ABBE SIMON BOLOMBA

A.
Simon Bolomba et Professeur Mopondi

Au sujet de Migration

        Beaucoup d’historiens,
parmi lesquels nous trouvons notre “Grand” Joseph Ki-Zerbo, qui s’est éteint le
4 décembre 2006 à Ouagadougou, font savoir que presque tous les peuples ont
connu des migrations, c’est à-dire des déplacements quasi définitifs des
populations d’un territoire (milieu géographique) à l’autre pour s’y établir.
Ainsi, les grandes entités comme les Bantou sont partis du nord de l’Afrique
vers le centre ; les Bochimans et les Hottentots du centre de l’Afrique vers le
sud.  


 

Des petits groupements humains ont
connu aussi ces déplacements ; c’est le cas d’une composante de peuple Bomboma,
les Motuba, dont je veux parler ici, avec en partie, leurs frères de Bokonzi.
Dans le récit, on parle de « kalakala » (depuis très longtemps). Du récit que
j’ai entendu, il m’est difficile de situer ce « depuis très longtemps ». Les
Motuba viennent de l’autre côté de l’Ubangi, Après avoir traversé l’affluent,
l’ancêtre des « MOTUBA » s’est établi, avec tous les siens, à Imese. C’était une
grande famille conduite par un « Pater familias ». Le récit ne précise pas si
Motuba était le nom d’une personne ou celui d’un groupe. On mentionne, dans le
récit, le nom de  NYAMALENGE entendu soit comme la mère du groupe émigrant soit
comme le nom du village d’origine d’où est sorti le groupe.

 

Les autres composantes des Bomboma
connaissent les Motuba sous cette expression : « Motuba mwâ Nyamalenge, mwâ boma ndumu na likponzo la
mokete
 » (littéralement : Motuba
[fils?] de Nyamalenge, qui a battu [joué] le tam-tam en utilisant l’os de
l’antilope
). À l’époque, un homme respectable devait avoir une
dizaine de femmes au moins, car certains en avaient plus. On raconte que chez
les voisins des Motuba, les Bozaba, un homme qui répondait au nom de LOBANGA en
avait 80. Imaginez-vous quelqu’un qui se déplace avec 80 femmes et des enfants ;
c’est tout un village, ou mieux, tout un peuple qui se déplace ! Le principe
était d’avoir un chiffre élevé des femmes, même si le mari ne pouvait pas faire
régulièrement le lit avec chacune d’elles ; toutes, sauf la favorite, dite
« Nkonde », étaient à la disposition des frères cadets ou des cousins du mari.
Les enfants qui naissaient étaient fils du mari,  « propriétaire » de la femme,
parce que c’est lui qui versait la dot.

 

Revenons à l’ancêtre des Motuba et sa
famille. L’ancêtre ne se plaisait pas à Imese (Limese), il a poursuivi sa marche
pour s’éloigner le plus possible de son territoire d’origine, Imese (Limese)
 étant à la frontière, et arriva à Mokusi. Ici, il a passé plusieurs saisons,
c’était devenu son village ; mais il avait aussi l’esprit de conquête, il a
progressé jusqu’à atteindre le territoire qu’occupent aujourd’hui les Motuba.
Sur le trajet de Mokusi à Motuba, certains membres de ces émigrants se sont
établis : les uns sont restés à Mokusi, les autres aux villages actuels de
Kombe, Ngbanza, d’autres encore à Likpangbala. Les Motuba et les Likpangbala
sont restés jusqu’aujourd’hui frontaliers quant à la possession des forêts. De
ceux qui ont continué la marche, émerge le nom de « Gbe » comme fondateur du
village actuel des Motuba.

 

On trouve aujourd’hui à Motuba un
clan, très large, qui s’appelle Bo (so)-Gbe, le clan fondateur du village. De
Mokusi, ils ont atteint la forêt de Saba-Saba et se sont établis le long de la
rivière Nyafanga. Ils vivaient de
pêche et de chasse. Le fait de s’établir le long de la rivière montre qu’ils
étaient des riverains et, aujourd’hui, une des principales activités des Motuba
reste bien la pêche.

 

Un jour, un chasseur a trouvé un peu
loin, dans la forêt où les Motuba s’étaient établis, un petit village. Il l’a
épié et est allé rapporter au village qu’il y avait des ennemis dans leur forêt:
les Motuba se sont organisés, ils ont attaqué les occupants et ils les ont
chassés. On raconte que c’était les Lobala. Cet endroit a pris le nom de
« Bokuleleka ». Le terme contient deux mots : « Bokuli et Eleka » qui signifient
respectivement, la force et la valeur (l’honneur). Alors « Bokuli- eleka »
signifie « la force est une valeur (un honneur) ». Aujourd’hui, Bokuleleka est
resté le nom d’un petit ruisseau qui coule à cet
endroit.

 

Gbe était probablement l’aîné de
plusieurs frères. Une forte difficulté a surgi entre deux frères dont le nom
bien connu est celui de KELEGBA. Un autre frère perdait des enfants à bas âges.
Sur le toit de son habitation, la nuit, un hibou venait souvent hululer. Dans ce
hululement, on entendait des paroles telles que « mboka, mboka
bokuli
 » pour dire que ce village t’est difficile pour vivre. Ce
frère endeuillé accusait son frère Kelegba d’être le « mangeur » occulte de ses
enfants, alors que Kelegba se déclarait innocent. La solution était que ces deux
frères se séparent. L’endeuillé a décidé de quitter le pays et s’en aller chez
les Bomboli. En route avec ses femmes, le hibou continuait à hululer. À un
certain endroit, il a exigé à chacune de ses femmes de défaire ses bagages. Il
trouve qu’une femme avait dans son bagage le fameux hibou sorcier, couvert entre
deux pots, les « mabango »: les choses se sont révélé que c’était la femme qui
était la cause de décès des enfants. L’émigrant a rebroussé chemin. Il est
arrivé au village, il a relaté le fait en demandant pardon à son frère Kelegba ;
il a tué la femme-sorcière, et a repris sa route parce qu’il avait honte de
rester dans la famille avec tout ce qui s’est passé. Il est allé s’établir dans
un village des Bomboli appelé MUNYANGI. Kelegba de sa part n’a pas voulu rester
au village, il a émigré lui aussi au-delà de la rivière Monzo qui sépare
aujourd’hui les groupements Motuba et Nzumbele. À l’époque, les Nzumbele
n’habitaient pas là où ils sont maintenant, parce que les Motuba les avaient
chassés. Kelegba est arrivé au village de Konzi où il a trouvé hospitalité ; il
était accompagné de sa sœur NYABISENZO. Celle-ci devait faciliter son éventuel
mariage avec une fille de Boso-Konzi, car la coutume était que – et je pense
qu’elle est encore en vigueur – l’homme qui allait épouser une femme dans une
famille donnée, devait verser la dot et en plus, donner aussi sa sœur ou sa
cousine ou une femme qu’on lui avait échangée au mariage de sa sœur et qu’il ne
veut pas épouser lui-même.

 

Ainsi  Kelegba, lorsqu’il a pu
épouser une femme de Boso-Konzi, il a laissé en échange sa sœur  Nyabisenzo.
Celle-ci est l’Ascendante du clan Bosolo, d’où est sorti Epondo, le père de
Jules Boboy dont nous connaissons les enfants : Thomas Togba et ses frères.
Comme nous sommes du régime patrilinéaire, le nom de Nyabisenzo a disparu,
tandis que de Kelegba est issu tout un clan chez le village de Konzi : Bo
(so)-Kelegba. À Bokonzi même, le clan Bokelegba est connu aussi sous
l’appellation « Bogbe », exactement comme à Motuba, le clan Bogbe auquel
appartient ma mère, qui s’appelait « Nyabisenzo ». Aujourd’hui quelques noms 
sont les mêmes à Bogbe (Motuba) et à Bokelegba (Bokonzi), comme par exemple :
Mokpelembembe, Mongai, Monyele, Manzanga, Eseka,
Koko…

 

Je désire terminer ce récit par cette
exhortation: nous sommes condamnés à vivre en frères parce que, qu’on le veuille
ou non, nous descendons du même sang. Quand j’ai été ordonné prêtre à ma
paroisse Saint Joseph de Bokonzi, les Pères Gaston et Georges m’avaient établi
un programme pour aller célébrer l’Eucharistie avec des paroissiens dans des
villages : Motuba, Bokonzi, Makengo, Bomboma, Boso-Kololo, Moliba, Dongo,
Comuele et Gosuma, Imese, Enyele… J’ai quitté Dongo pour aller à Gosuma. À
Gosuma, je suis arrivé un jour plus tard que prévu parce qu’on m’a arrêté à
Ngbanza. Les fidèles ont caché ma valise-chapelle pour m’obliger de célébrer
chez eux, bien que ce ne fût pas prévu. Ils donnaient comme argument qu’ils
étaient non seulement les paroissiens de Bokonzi, mais bien plus « parents de
nouvel ordonné ». Les Ngbanza se disent cousins des Motuba, et surtout  qu’ils
savaient que j’étais fils de Nyabisenzo, une descendante de « Gbe », ancêtre
commun des Motuba et des Ngbanza.

 

Nous devons arriver à cette
conviction. Ceci nous permettra de nous engager pour une cause commune et nous
ouvrir la voie au développement, car la culture, c’est la base de tout
développement intégral.

 

A. Simon Bolomba
Wa Ngboka.

            Cagliari (Italie), le 15
février 2008

 

*Ce texte, très
intéressant et riche à la fois, a été initialement transmis au Conseiller
Culturel d’ACUBO pour le journal des Bomboma (n° 3 et 4 à paraître sous peu). Le
sous-titre a été ajouté par le Secrétaire général d’ACUBO. On peut s’adresser  à
l’auteur en écrivant à  giltem@bomboma.org qui fera
suivre.

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