16.02.09 Le Potentiel: Professeur Philippe Biyoya : «Le président ougandais a un projet de la grandeur de lOuganda à partir de la faiblesse de la RDC»
Il y a une chose qui paraît curieux dans le point de presse de
lambassadeur de Russie en RDC concernant le plan de balkanisation de
la RDC qui date de 1990. Il révèle que cest aux Nations unies quon
avait pensé que le Congo était grand et quil fallait le diviser.
Quelle est votre analyse à ce sujet ?
Je répondrai en deux temps. Dans un premier, par rapport à la
politique étrangère de la Russie, aujourdhui, qui prend les allures de
la guerre froide, ce pays se positionne dans le monde par rapport aux
Etats-Unis dAmérique. Et, partout où la Russie estime quelle peut
avoir la possibilité dasséner un coup aux Etats-Unis, elle le ferait.
Une dénonciation qui pourrait porter ombrage dune manière ou dune
autre à la diplomatie américaine. En faisant cette révélation, ce nest
pas dabord par amour pour les Congolais, mais il faut inscrire cette
déclaration dans la perspective de lantagonisme, de la rivalité
diplomatique entre ces deux grandes puissances qui se disputent, en
fait, le contrôle du monde. Cest de un. Et de deux : je crois que cela
nous permet aussi, une fois de plus, de savoir que le Congo doit
comprendre quil vit dans le monde et que son destin ne relève pas
seulement des Congolais. Parce que le Congo est lobjet de convoitises.
Et comme celles-ci proviennent de matières premières que les Congolais
ne savent pas les utiliser, tous ceux qui les consomment nattendent
pas que les Congolais se mettent daccord, les invitent pour venir.
Dans un second temps, revenons à lhistoire. Les Nations
unies ninterviennent pas au Congo pour la première fois. Je rappelle
le livre que Thomas Kanza a écrit en 1960. Thomas Kanza, premier
universitaire congolais, ambassadeur aux Nations unies, a écrit «Ata
ndele». Dans ce livre, il a dénoncé les Nations unies quil comparaît à
un serpent quon a fait entrer dans une maison et qui finirait par
mordre. Je vais appuyer ce livre par une déclaration de Mabika Kalanda
qui disait, analysant la première intervention de lOnu en 1960, que
lorsque lOnu est intervenue chez nous en 1960, elle voulait absolument
non seulement mettre le pays sous tutelle, mais aussi voulait que la
politique étrangère du Congo soit dirigée à partir de New York.
Nous ignorons aussi que la crise congolaise de 1960 a eu des
implications sur le plan international. Un secrétaire général des
Nations unies, Dag Hammarskjöld, est venu mourir au Congo. Les
Etats-Unis et lUnion soviétique, en pleine guerre froide, se sont
affrontés au Congo parce que des avions soviétiques sont arrivés sur
laéroport de NDjili. Lumumba qui les a appelés – je ne sais pas sil
était manipulé – a été accusé de communiste. La Belgique a été
condamnée par les Nations unies, le pays a été pratiquement désintégré
avec la sécession du Katanga. Nous avons vite oublié que cette guerre,
qui avait des implications du monde en 1960, a laissé des traces. Et on
na jamais vu exactement comment cette période de lhistoire a été
gérée convenablement pour que le Congo retrouve sa souveraineté. Je
pense quen nous référant déjà à notre propre histoire avec
lintervention de la communauté internationale en 1960, les traces dun
pays dont le destin échappe aux autochtones sont visibles. Et cela a
été dénoncé.
Alors, quon en ait encore parlé en 1990, je crois que nous
savons tous que Mobutu est parti si les Etats-Unis, qui lavaient placé
au pouvoir, ne sétaient pas fatigués de lui. Et cela non seulement
parce que la guerre froide était finie, mais parce quil y avait
dautres puissances en Afrique, notamment la nouvelle Afrique du Sud
post-apartheid qui émergeait et qui, désormais, pourrait, en fait,
développer les capacités de gérer les équilibres stratégiques en
Afrique. Et, à côté de lAfrique du Sud, il émergeait de nouvelles
élites dirigeantes dont on a vanté les capacités. Et toutes ces élites
nétaient pas congolaises. Il y avait Thabo Mbeki, Museveni, Paul
Kagame, le premier ministre éthiopien, le président de lErythrée,
Mugabe (à cette époque-là). Tout cela montre que la façon dont les
institutions congolaises fonctionnent ne donne pas satisfaction aux
autres et ne fait pas voir combien les Congolais sont responsables.
A vous entendre parler, cest comme si les Congolais ne
sont pas acteurs, mais subissent la loi de ceux qui convoitent leurs
richesses ? Etes-vous donc pessimiste pour lavenir de ce pays ?
Non. Jai montré que, du point de vue historique, toutes crises et
guerres intervenues au Congo ont toujours cet inconvénient dimpliquer
la communauté internationale, les puissances du monde. Mais lorsque
celles-ci viennent, ce nest pas par amour pour le Congo. Mais pour
occuper et gérer lespace. En 1960, on redoutait la possibilité de
transfert du pouvoir de Kinshasa à New York. En 2000, le pouvoir est
non seulement allé à New York, mais nous avons eu le Comité
international daccompagnement de la transition (Ciat). Ce qui est
intéressant ici, ce nest pas dêtre pessimiste, mais de constater que
nous sommes oublieux ou négligents. Nous pensons que lintervention de
la communauté internationale lorsquil y a guerre au Congo témoigne la
sympathie et la compassion de celle-ci envers les Congolais. Et que,
dès quon dit que la guerre est finie, il ny a plus de problèmes. Nous
nétudions pas, en fait, les effets de la guerre qui se définissent
comme une autre manière de poursuivre une politique.
Toutes les guerres nous sont imposées. Elles sont des
véhicules de politiques, de volontés des gens qui sont à la base de ces
guerres. Il ny a de paix que par rapport aux objectifs pour lesquels
on a fait la guerre. Sil est question du contrôle des ressources, de
la partition du pays, les objectifs ne disparaissent pas parce quon a
signé un protocole daccord. Les Congolais se contentent de signer des
protocoles daccord, de partager le pouvoir. Mais ne prennent pas en
compte les conséquences en termes de prix à payer, telles les factures
de guerre quil faut honorer après. Tout cela nous arrive parce que les
gens saperçoivent, en fait, que nous avons une dimension politique
très peu élaborée. Je pense que cest le président Bongo qui la dit.
Et «Jeune Afrique» avait fait échos de cela. Pourquoi a-t-on créé mille
institutions ? Pourquoi a-t-on donné le rang de ministre même à ceux
qui géraient les institutions citoyennes ? Parce quon a dit que les
Congolais ne savent pas faire la politique. Mais au Congo, tout le
monde sait faire la politique. Cest une faiblesse. Et nous voulons
faire la politique avec les paroles, avec les passions.
Nous aimons le pays mais nous navons pas une pensée
concrète. Nous ne savons pas comment utiliser nos ressources. Et quand
les autres voient cela, ils considèrent que cest une faiblesse fatale
pour reprendre le titre du livre de Léon Daba «République démocratique
du Congo, Etat et Nation : des faiblesses fatales». Il ne voit pas
comment, depuis 1960, nous développons les capacités déviter les
pièges que lhistoire …
Oui, mais quelles capacités développer pour que lhistoire ne se répète pas ?
On ne mettrait pas fin à cela par une conception personnelle,
individuelle. Aujourdhui, nous avons des institutions qui gèrent
lEtat. Il faudrait que leurs dirigeants se montrent plus responsables.
Ils doivent comprendre que les guerres sont des entreprises très
difficiles. Et il ne faut pas chercher seulement leur fin, mais il faut
maîtriser leur logique de paix. Parce que chaque guerre a sa
rationalité, sa motivation. Et lorsque les guerres se multiplient,
comme on la vu chez nous au Kivu avec des guerres externes,
interethniques, de pillages économiques, il faut beaucoup de temps, de
persévérance, de sagesse et dintelligence pour éviter de tomber dans
le piège. Je crois quil faut développer une capacité de gouvernance
qui soit différente de ce que nous pensons aujourdhui. Il faut que la
paix et la gestion de la Nation viennent de la responsabilité générale
de tout le monde. Cela signifie quil ne faut pas seulement donner
linformation à la radio. Mais faire en sorte quon responsabilise
chacun dans le pays. Et si jai bien lu linterview de lambassadeur de
Russie en RDC, on a dit que ce pays était trop grand. Cela veut dire
quon pose le problème de structures administratives. Or, la
Constitution parle de la décentralisation. Pourquoi cela ne réussit
pas ? Les Congolais disent quil faut faire une fédération. Pourquoi ce
projet qui devait montrer la capacité à prendre en charge les
provinces, les territoires et autres entités territoriales ne réussit
pas ? Faut-il le concours des Nations unies pour sa concrétisation ? Or
aujourdhui, la décentralisation est faite sur conseils du Programme
des Nations unies pour le développement (Pnud). Elle est donc faites
sur base des conseils des gens qui viennent dailleurs. Au ministère de
la Décentralisation, on a recruté un expert français. Peut-on réussir
cette décentralisation par ce genre dattitude ? On recourt à
létranger en refusant de développer soi-même ses capacités. En tout
cas, si votre maison brûle, si vous y avez des problèmes, ce nest pas
par les conseils des parents que vous vous tirerez daffaire. Mais vous
devriez chercher vous-même à les résoudre. La responsabilité nous
incombe. Pour cela, nous devons chercher à nous organiser autrement
pour être capables de gérer notre Etat, même dans les limites qui sont
les nôtres. Est-ce quil est dit que, pour que léconomie congolaise se
développe, il faut nécessairement produire des mines ? Est-ce que les
Congolais mangent des mines, en vivent ? Quest-ce qui explique que,
depuis 40 ou 50 ans, nous pensons développer notre économie
essentiellement autour de mines dont le contrôle et la production nous
échappent.
Dernièrement, le président ougandais Museveni a, dans une
déclaration sur le Nord-Kivu, fait remarquer que les troupes armées de
son pays sont dans la province Orientale. A travers cette déclaration,
on a limpression quil a dévoilé les plans «anglo-saxon», Cohen et
Sarkozy …
Je ne sais pas si ce que le président Museveni a dit est
anglo-saxon. Je dis que cest ougandais. Je reviens, une fois de plus,
à lhistoire de guerres. Les Congolais ont-ils déjà oublié que
lAlliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFL) a
été appuyée par le Rwanda et lOuganda ? Quil y a eu guerre ? Que nous
avions signé lAccord de Lusaka ? Et que les Rwandais et les Ougandais
se sont battus à Kisangani à trois reprises ? Cest lorsquon a
condamné ces affrontements que Museveni a créé la province de
Kibalo-Ituri. Cest ce qui a provoqué tout le drame que connaît
lIturi. Jai toujours regretté larrestation de Thomas Lubanga et
autres. Ils nauraient même pas créé des milices si Museveni ne sétait
pas intéressé à déstabiliser le district de lIturi. Il a voulu
soustraire cette partie de la Province Orientale et celle de la
frontière de lEst qui fait frontière avec lOuganda pour les mettre
sous son contrôle. Cest là que Museveni a laissé entretenir les
rebelles ougandais pour que cela serve de prétextes à son intervention
au Congo. Aujourdhui, à quoi lOuganda est-il intéressé ? Le premier
protocole daccord que lOuganda a signé avec lAFDL est commercial. Et
il faut lire ce protocole ! Il sest intéressé à lAFDL pour des
raisons économiques : le bois, lor, le pétrole dans lIturi. Museveni
a des ambitions de leadership. Je lai dit à une certaine époque mais
les gens ne voulaient pas croire. Museveni a un pouvoir à maintenir en
Ouganda. Il est contesté parce quil est minoritaire. Mais, pour quil
simpose, il faut quil offre au pays les possibilités dun
développement, de croissance économique. Sil peut avoir, à bout de
bras, de quoi ramener dans son pays, des richesses qui chôment et que
personne ne contrôle, il le fait volontiers. Je pense quil ne faut pas
dabord voir des Anglo-saxons. Cest un projet à 100 % ougandais qui
est conforme au leadership de Museveni. Qui, dailleurs, nhésite pas
de demander la création de la Communauté des pays de lEst africain. Il
veut une communauté est-africaine qui intègre la RDC, alors quil
existe déjà le Marché commun de lAfrique de lEst et australe
(Comesa). Museveni a compris que la guerre a une rationalité et quil
peut utiliser les faiblesses du Congo pour construire la puissance de
lOuganda. Et qui sait ? Aujourdhui, il peut aussi agir autrement.
Mais singérer dans les affaires du Congo sans soutenir le Rwanda. Qui
ne sait pas que le Front patriotique rwandais qui a installé Kagame au
pouvoir a été soutenu par Museveni ? Celui-ci a même envoyé Kagame dans
une académie militaire. Donc, le président ougandais est un homme qui a
un projet de la grandeur de lOuganda à partir de la faiblesse de la
RDC. De façon méthodique. Et je ne pense pas que cela soit sans raison
que Museveni soppose à la création de lUnion africaine. Il sait que
sil entre dans le projet de lUnion africaine, il sera condamné pour
ce quil est en train de faire en RDC. Il dirait adieu à ses
prétentions. Mais il voudrait être un grand. Je ne sais pas sil faut
appeler cela folie. Je voudrais quon comprenne cela dabord comme un
projet ougandais auquel nous devons apporter des réponses appropriées.
Ensuite, il est possible que Museveni, anglo-saxon, membre du
Commonwealth, soit au service dun dessein anglo-saxon. Mais celui-ci
ne peut pas, en fait, triompher dans le cadre de la configuration des
rapports de forces, aujourdhui. Parce que, pour que les Anglais ou les
Anglo-saxons arrivent à modifier les frontières, ils doivent, au jour
daujourdhui, avec le soutien de tous les membres des Nations unies.
Or, déjà, la déclaration de lambassadeur de Russie en RDC montre que
tout le monde ne sintéresse pas à ce dossier aux Nations unies.
Regardez toutes les résolutions des Nations unies sur la Monuc
commencent par réaffirmer lintégrité du territoire du Congo. Nous
devons quand même nous méfier de ces velléités anglo-saxonnes. A moins
quils ne tiennent pas leur parole, les résolutions des Nations unies
reçoivent aussi le suffrage des anglo-saxons. On ne peut occulter les
enjeux régionaux et internationaux auxquels il faut ajouter la rapacité
des groupes dintérêts, daffaires et de multinationales.
Interview réalisée par Freddy Mulumba Kabuayi Retranscrit par Olivier Dioso