07.03.09 Le Potentiel: Cinq questions au professeur Nyabirungu

1.
Quelles sont, selon vous, les origines profondes de la crise et de
toutes ces guerres récurrentes dans les provinces du Kivu ?

Pour comprendre les origines de la guerre actuelle, on ne peut pas
se passer de remonter dans le temps; de remonter au déluge, au moins
d’observer la situation du Congo à partir du 30 Juin 1960. Il y a deux
facteurs majeurs qu’il faut souligner: il y a d’une part
l’impréparation du Congo à l’indépendance. Cela a été souligné par tous
les historiens. Le Congo n’avait pas des élites suffisantes pour
prendre la relève de la colonisation. L’autre dimension, c’est la
guerre froide qui opposait l’Occident dirigé par les Etats-Unis à
l’Union Soviétique avec ses satellites. Cela a eu un impact chez nous.
Cela a divisé bien sûr nos leaders qui se rangeaient tantôt en partisan
de l’Ouest, tantôt en communistes. Lumumba sera malheureusement
étiqueté, calomnié comme un communiste qu’il n’était pas. Cela a rendu
notre pays ingouvernable jusqu’au coup d’Etat de Mobutu. Quand ce
denier arrive, il instaure un pouvoir fort avec succès d’ailleurs, et
nous avons connu une accalmie quand même relative mais n’oubliez pas
que des gens sont restés dans les maquis, comme les gens de Hewa Bora.
Cette période, nous pouvons dire qu’elle va se terminer avec le
génocide rwandais. C’est le génocide rwandais qui va déverser deux
millions de personnes sur notre territoire; les réfugiés. Depuis 1994,
la nature du conflit au Kivu a radicalement changé. Il y a un régime
mono ethnique qui s’installe. Le FPR (Front patriotique rwandais) prend
le pouvoir à Kigali…

2. On a souvent entendu dire cela mais la question que
l’on peut tout de même se poser est celle de savoir si ces
multinationales-là ne peuvent pas venir directement négocier des
contrats en bonne et due forme avec le gouvernement central de la RDC.

Quand les Etats sont mus par leurs intérêts, ils peuvent parfois
recourir à des méthodes de brutalité, ils peuvent être pressés
d’atteindre leurs buts, parfois en se trompant. Il n’est pas dit qu’en
faisant ce qu’ils font ils utilisent la meilleure méthode. Je suis
persuadé qu’ils font de mauvaises analyses puisqu’ils peuvent accéder
aux mêmes richesses dans des conditions plus favorables. C’est là aussi
que je souligne de temps en temps la faiblesse de notre propre Etat et
de notre diplomatie. Faiblesses qu’il faut rattacher à l’impréparation,
aux ca­rences initiales.

3. Mais aujourd’hui, vous êtes là, le pays dispose d’une grande élite…

Dieu merci et nous pouvons tenter ce genre d’analyses. C’est exact.
Le pays a aujourd’hui une élite. Mais elle n’est pas au-dessus des
critiques. Il y a des carences, des faiblesses énormes à signaler,
surtout au niveau de notre diplomatie qui, parfois, ne favorisent pas
qu’un dialogue franc et efficace avec les puissances étrangères
s’instaure. Nous devons être en me­sure de dire à ces puissances que
nous sommes conscients que les richesses de la RDC c’est aussi un
patrimoine commun de l’humanité. Bien sûr nous en avons la
souveraineté, c’est nous les premiers responsables, les premiers
gérants, les premiers administrateurs. Mais nous sommes conscients que
les Etats doivent vivre dans des rapports d’intérêt mutuel, de
coopération et que ceux-là qui pensent que les ressources que nous
détenons les intéressent peuvent venir négocier, ce sera toujours moins
cher que de verser le sang de cinq ou six millions de Congolais.

4. Vous parliez du régime militariste de Kigali, de la
nouvelle donne depuis 1994, mais le comportement de ce régime est-ce
que ce n’est pas un comportement de survie d’une minorité ethnique qui
se sent menacée ? Est-ce que ce n’est pas aussi un problème de
minorité, des gens qui se sentent menacés, qui ne sont pas rassurés par
d’autres communautés ?

C’est une grave erreur de transposer les conflits du Rwanda au Kivu
ou au Congo. Au Rwanda, vous avez deux tribus qui se sont toujours
affrontées, qui se retrouvent toujours face-à-face, ces deux tribus
auxquelles il faut ajouter une minorité Ntwa, pygmées, mais
fondamentalement, on a deux tribus qui se sont toujours regardées comme
des chiens de faïence. L’histoire du Rwanda c’est une histoire de
violence. Violence pour accéder au pouvoir et le garder. Et puis ces
violences sont cycliques. De­puis des siècles, des clans ont accédé au
pouvoir par la violence. Quand il a fallu mettre fin au régime féodal
tutsi rwandais en 1959, ce fut de la violence. En 1963, il y a eu des
violences ethniques qui ont eu tous les aspects prémonitoires du
génocide de 1994. En 1973, il y a eu des violences. La victoire du FPR
en 1994, c’est une guerre qui avait été déclarée en 1990 des Tutsi
contre le régime Hutu de Habyarimana. Cette histoire là, on ne peut pas
la transposer au Congo…

5. Mais aujourd’hui, à la lumière de votre analyse et de
ce que nous observons, c’est pratiquement ce qui est en train de se
faire. Le problème de Nkunda au Kivu, à Rutshuru, dans le Masisi est-ce
que ce n’est pas la même transposition finalement?

Précisément. C’est pour cela que je condamne Nkunda, ses
commanditaires et ses complices. Ils ne peuvent pas amener la guerre du
Rwanda chez nous. Ils se trompent, ils sont dans l’erreur. Ils ne
peuvent arriver à aucun résultat. Dire qu’au Congo les Tutsi sont
victimes d’exclusion est une aberration. Les Tutsi ont accédé à tous
les postes de responsabilité: que ce soit l’armée, que ce soit les
entreprises publiques, ils sont reçus, acceptés comme des compatriotes.
Mais c’est plutôt certains d’entre eux comme Nkunda qui, en se
comportant comme ils le font, en faisant allégeance à un pays étranger,
donnent à certains esprits l’occasion de stigmatiser les Tutsi. Mais
les Tutsi sont acceptés, sont dans leur pays comme toutes les autres
minorités ethniques de la ROC, c’est-à-dire comme toutes les tribus car
il n’y a aucune tribu majoritaire au Congo.

Tirées de Lubila, n°002, février 2009

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