LA ROUTE CARIBEENNE DE L’ESCLAVAGE : DES BANTU ONT AUSSI PEUPLE LES ANTILLES NEERLANDAISES


 

 Scellé sous un consistant volume de 652 pages,  la compilation de San Angel s’articule en une dizaine de chapitres dans lesquels les auteurs- contributeurs abordent, sous une démarche, préférentiellement, insulaire, la bruyante installation des mélano-africains à Cuba, la profonde influence des cultes congos dans la grande ile, l’évolution des niger en République Dominicaine, cette partie orientale de l’historique Espanola, l’ enracinement africain à Porto Rico, la particulière bi-nacion , le marquage civilisationnel noir des enchainés dans la très spirituelle Jamaïque, la définitive adaptation de la main d’œuvre noire dans les cinq iles
hollandaises des Caraïbes, Curacao, Bonnaire et apparentés, les, devenus, afro-guyanais et l’accommodation historique des afro-surinamiens.

 

 L’on
y note, avec beaucoup d’intérêt, la synthèse de Joël James Figarola
comparant la nature des liens linguistiques et anthropologiques qui
s’étaient établis entre Cuba et Haïti.

 

 L’on
y retrouve, parmi les spécialistes ayant proposé leurs analyses à cette
œuvre, mon excellent collègue, cubain, membre du nouveau Comité
Scientifique International du Projet de l’UNESCO «  La Route de l’Esclave », l’inévitable Miguel Barnet et la clairvoyante Lydia Milagros Gonzales de Porto Rico.

 

 Dans
son introduction à l’ouvrage, Maria Montiel rappelle, bien à propos,
que c’est l’expérience humaine et agricole de l’exploitation de la
précieuse canne à sucre à Sao Tomé, qui avait été appliquée dans
l’outre-Atlantique des plantations.

 

 En
effet, archipel découvert, inhabité, et se débattant avec un
sous-peuplement chronique, celui-ci fournira dans le nouveau continent
et l’ensemble insulaire, de contingents de forçats venus,
majoritairement, du voisin et partenaire Royaume du Kongo et la littorale enclave portugaise d’Angola.

 

 Ce
sont eux qui provoqueront, selon l’anthropologue mexicaine, divers
processus d’estampillage civilisationnel bantu dans l’ensemble ilien à
l’image de l’émergence des fameux cultes syncrétiques congocubanos ou palo mayombé, animés, à Cuba, par les mojigangas et à Porto Rico par les sectes mialas.

 

 Ils perpétueront, dans les iles tropicales du Nouveau Monde, la consommation de la malanga igname et de la quimbombo, banane plantain.

 

 Epicuriens, ils produiront la musique populaire de la grande ile, avec ses rythmes et danses lascifs, la rumba, la conga, la bembe et la calenda.

 

 PONCTIONS EXUTOIRES

 

 Ils reprendront, dans les Guyanes, leurs tambours du Congo et d’Angola.

 

 Ces rebelles, venus de la Colonie portugaise d’Angola ou embarqués à partir de « la desembocadura del Congo », conserveront leurs anthroponymes, tels que Lemba, en République Dominicaine.

 

 Rafael Duharte Jimenez indique, dans sa vigoureuse synthèse intitulée « L’Afrique à Cuba », l’installation à La Havane , dès le XVI ème siècle, des Engola, Embo, Congo, Casanga, Mozambique et Sao Tomé.

 

 Ceux-ci perpétueront les nkise fétiches dans le cadre des croyances mayombe, bien manipulées par les inévitables ngangas.

 

 Reprenant
le lexique résiduel d’origine africaine proposé par Sergio Valdés
Bernal, le contributeur cite, entre autres éléments, pour les mots de
filiation, visiblement, bantu, mambi , de mbi (épouvantable), bembé de bembo (lèvres), gandul de  wandu (petit pois), mambo de mambu (différend), marimba (xylophone) et tango de tanga (chanter).

 

 Jimenez note, parmi les nombreux faits symptomatiques de l’influence bantu dans la « Gran Plantacion », la titularisation de films cubains sur l’esclavage ; l’une des productions sur ce thème ayant  été titrée Maluala, L’Offensé.

 

 Dans sa remarquable contribution, bien intitulée, «  La culture générée par le sucre »,
le tenace Miguel Barnet confirme que l’une des zones de provenance de
captifs introduits, clandestinement, après 1873, année d’enregistrement
officiel, de l’arrivée du dernier navire négrier dans un port cubain, a
été, dans «  en enorme proporcion, las regiones del Congo ».

 

 Pour lui, les terres kongo ont été «  una de las zonas màs devastadas » par les ponctions exutoires esclavagistes vers l’ile du septentrion antillais.

 

 Cela provoquera, naturellement, la rétention des ethnonymes tels Mayombe, Loango, Musundi, Ngola, Benguela et Kabinde ou des cultes tels que ceux liés aux kimbisa, esprits, la croyance à Nsambi ou Sambiampungo, , la vénération du Ntangu (soleil) et de la Mama Nkengue , Divinité androgène; la croyance aux endocui (sorciers) et au kandiempembe (diable), le endoqui malo l’entretien des munansos (temples) et la fabrication des kinfuiti , ngomas, matokos et makutas, tambours secrets, l’utilisation de mpaka menso (corbeilles à fétiches) et le respect pour la jupitérienne ensasi (foudre)

 

 L’on notera, dans la grande ile, la perpétuation anthropologique des convictions bantu sur la force divine injectant le vital menga, le sang et accordant l’intelligence par le nkuto, l’oreille.

 

 C’est
l’installation, massive, de la main-d’œuvre venue du « Pays de la
panthère » qui expliquera la multiplication, durant la période
coloniale, des cabildos congos ou Congos Reales. Ceux-ci furent très actifs dans les actuelles provinces de Las Villas et Matanzas ainsi dans la région de Colon.  

 

 La fameuse Sagua la Grande , à Las Villas, est la Grand ’ Place des Eshicongos, qu’ils considèrent comme leur kunalungo ou kunalumbu, du bantu, nlumbu, territoire. L’on y essaya de convaincre Barnet, que le Congo Reale de cette localité était le « Congo dia Ntotila de verdad ».

 

 CRISTALLISATION SYNONIMIQUE

 

 Le membre, reconduit, de l’instance de l’UNESCO reprend, bien à propos,  sa compatriote Lydia Cabrera, qui note une information datée du 28 janvier 17 99, sur l’organisation, dans la périphérie de La Havane , d’assourdissantes fêtes par les naciones congos. Celles6ci étaient animées par , notamment, les Basongo, les Mumboma, les Mundamba et les Mayaka.

 

 La significative et continuelle présence congo dans le territoire jouxtant le Golfe du Mexique provoquera la cristallisation synonymique avec le terme noir.

 

 En
effet, la désignation ethnonymique venue de la contre cote, de
l’Afrique centrale, s’appliquera, en véritable générique, à divers
éléments de la vie sociale cubaine. Tout devient congo.

 

  L’on affuble les autres communautés bantu, apparentés, de ce prédicatif.

 L’on y dénombre une trentaine d’attributions parmi lesquels congo ngola, congo muluanda, congo kisiamo, congo babundo, congo mbangala, congo kisenga, congo ambaka, congo motembo et congo makua.

 

 Le kisomba kia ngongo, visiblement kimbundu, devient fiestas de congos.

 

 Examinant la présence niger en République Dominicaine, Carlos Andujar Persinal identifie, comme l’une des principales provenances de bozales, l’Afrique centrale, dont le très actif noyau esclavagiste est constitué, pour l’essentiel, du solide bloc Congo/Angola et de son corollaire humain, Sao Tomé.

 

 Le
contributeur de Santo Domingo détaille cette provenance en se fondant
sur des statistiques historiques et divers éléments de nature
ethnonymique et toponymique.

 

 Il note, entre 1547 et 1821, l’arrivée à Espanola, de groupes de captifs bantu d’ethnies ambo,
anacasuanga, anero, angola arle, mingola, mondongo, mutema, quisama,
banguela ou pangela, bamba, camba, enbuyla, loango , maricongo, malemba
, kabenda, matamba
et mongongo,

 

 Il
signale, entre autres faits historiques symptomatiques du significatif
peuplement bantu de ce territoire ilien baigné par la Mer des Caraïbes,
la mort, en 1547, du leader cimarron , bien nommé, Sebastian Lemba et l’arrestation, en 1796, après la courageuse insurrection de Boca de Nigua, de divers meneurs d’origine congo et mundongo.

 

 Illustrant
la forte influence de l’incontournable agrégat Congo/Angola dans le
très chrétien Saint Domingue, Persinal met en relief le gayumba, l’arc musical, le marimba( xylophone), et les tambours congo-atabales.

 

 L’examen
de la carte toponymique de l’Orient de l’Espanola, permet à l’ancien
chercheur du dynamique Musée de l’Homme Dominicain de retrouver les
désignations Angola, au sud de l’ile, El Congo, dans diverses régions du pays, Fula et Lemba.

 

 Les
afro-dominicains ont conservé, au niveau du corps humain, centre de
préservation linguistique, par excellence, comme leurs frères
afro-cubains, le terme bantu bemba pour lèvres.

 

 La
très appliquée Lydia Milagros Gonzalez s’est, naturellement, chargée de
son pays, qui selon elle, a reçu, un peuplement majoritairement bantu. Elle affirme, à ce sujet, que « haber sido el grupo de mayor influencia en Puerto Rico ».

 Et, l’on retiendra, parmi les bantouismes que le chercheur de San Juan cite, termes qui se sont cristallisés dans le sacré « Habla ganga » ou dans l’Espagnol Populaire Portoricain, le tambour bomba ou ngoma et le macanda , fétiche.

 

 Le chapitre consacré à la présence africaine dans les Antilles Néerlandaises est signé par Rose Mary Allen.

 

 MONO- IMPORTATION

 

 Elle propose comme première marque d’identité historique du groupe ilien, le créole guéné,
aujourd’hui éteint. Cette langue résume bien l’histoire de l’expansion,
de la déportation d’esclaves et de la colonisation hollandaises en
Afrique, dans les Amériques et les Caraïbes.

 

 Constituant
l’une des puissances maritimes et financières, mercantilistes, parmi
les plus actives d’Europe, au XVII éme siècle, les Provinces Unies,
grandes rivales des jumeaux ibériques, avec son puissant instrument de
négoce et de colonisation, la célèbre Compagnie des Indes Occidentales,
occupera, à partir de 1629, et cela durant une vingtaine d’années, la
stratégique Pernambouco – Alagoas inclus – mais aussi , d’autres
régions de l’immense colonie portugaise du Brésil, grande consommatrice
des congos, ngolas et mozambiques.

 

 En
effet, les troupes hollandaises contrôleront Itamaraca, Paraíba et Rio
Grande do Nord. L’on parle, alors, d’un Brésil hollandais !

 

 C’est
dans ce sous-continent que la Compagnie des Indes Occidentales va
gérer, pour la première fois, un grand nombre de mélano-africains. En
1630, la Capitainerie de Pernambouco y recense plus de 45 000
travailleurs noirs.

 

 La
Hollande continuera à occuper, parallèlement, de territoires sur le
continent, notamment à Tobago et au Surinam et son bouquet ilien dans
les Caraïbes.

 

 Boulimique, Amsterdam osera s’emparer, sur la cote occidentale de l’Afrique, entre autres centres esclavagistes, Sao Tomé et surtout, de 1640 à 1648, la précieuse Sao Paulo de Loanda.

 

 En effet, cette ville est une bonne prise, parce que le pénible voyage entre « Les Ports de la Mer  » loandais et les cotes brésiliennes était moins long.

 L’on
estime que durant les sept années qu’elle occupera le principal centre
de la Colonie d’Angola, la Hollande transporta plus de 12 000 captifs ngolas, mundongos, matambas e congos.

 

 Agacé
par la mono – importation négrière, le Hof van Politie de Pernambouco
communiquera, le 26 juillet 16 30, à la Compagnie des Indes
Occidentales qu’un navire venait d’accoster avec, uniquement, « de la chair humaine noire ».

 

 C’est
ce positionnement géostratégique qui permettra, pour l’essentiel, aux
négriers néerlandais d’introduire d’importants contingents de negros de agua salada
(des noirs ayant traversé l’eau salée) dans ces possessions
antillaises, directement, donc, de la contre cote ou via le Brésil.

 

 L’on
estime que la Hollande a transporté près de 10% de mélano-africains
ayant traversé l’Atlantique. L’une de ses régions de ravitaillement en
bois d’ébène fut la cote Loango/Angola.

 

 Cet
approvisionnement humain se reflétera, naturellement, à Curazao. C’est
ainsi que le livre des baptêmes, daté de 1755, de l’Eglise de Santa
Ana, contient d’intéressantes indications sur les origines ethniques ou
les anthroponymes des mères des enfants récipiendaires. En effet, l’on
y retrouve les mentions telles que congo, canga, jamba, loango, angora, macamba et macambi.

 

 Cette ascendance sera aussi attestée dans certaines expressions, souvent dépréciatives, du papiamento, le créole de l’ile.

 

 Mary Allen utilise, à ce sujet, entre autres sources, l’irremplaçable ouvrage du Père Brenneker « Sambumbu, Volkskunde van Curacao… » .et propose une dizaine de chants en créole.

 

 Ainsi, ce parler a, définitivement, fixé :

 

 la sentence « Bisti manera un luango » (porter de vêtements de couleurs brillantes) ;

 la comparaison papia luango, (parler à tors et à travers);

 et le dicton «  E ku bo wela luango a sina bo awe, di mi criojo a sinami kaba », (ce que ton aïeul luango t’a enseigné, mon ancêtre créole me l’a aussi enseigné).

 

 Retrouvée et utilisée par les Loango, la plante anti-diarrhéique Stemodia maritima, porte, désormais, l’appellation courante de puta luango.

 

 Les toponymes kanga et mondongo indiquent bien des liens historiques avec les anciens Kongo et Ndongo.

 

 L’on s’inspirera du kimbundu , guéné , pour l’éponymisation de l’ancien idiome créolisé de l’ile.

 

 Ce terme deviendra générique et sera appliqué à divers aspects de la vie sociale. kantika di guéné signifiant cantiques chantés en créole, kantika de makamba, chants d’amitié et l’inévitable galina guéné, le coq local sensé protéger les cases contre le mauvais esprit, le mal airu. 

 

 L’on notera que l’un des aliments de base des iliens est le funche à base de mais.

 

 Le chapitre sur le Surinam niger est proposé par Wim Hoogbergen et l’on y retrouve comme l’un des principales régions d’origine des afro-surinamiens, le Loango /Angola.

 

 L’un des faits confirmant la forte présence des Bantu au Suriname est la fameuse gravure « Famille loango » insérée dans l’ouvrage de John G. Stedman, publié en 1796.

 

 Terre d’interminables insurrections, les annales ont conservé les noms de certains leaders tels que Pambu, Musinga ; Makamaka, et Sambo.

 

 Ouvrage bien utile Presencia africana en el Caribe
permet de disposer dans un seul volume, des éléments sur le cadre de
l’évolution historique, de la cristallisation des créoles et des
perpétuations anthropologiques africaines dans l’ensemble insulaire.

 

 Il
permet, également, d’apprécier les similitudes de cette trame, surtout
dans sa déclinaison bantu, qui constitue, incontestablement, une des
bases de l’identité historique caribéenne et un des fondements
facilitant la transversalité culturelle dans cette région, où le
dialogue des civilisations a été, finalement, libérateur.

 

Simao SOUINDOULA

Vice Président du Comité Scientifique International

du Projet de l’UNESCO « La Route de l’Esclave »

C.P. 2313

Luanda

(Angola)

 

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.