09.04.09 JA/ Le Potentiel : Cinq questions à Malek Chebel


1. Comment expliquer le décalage entre le conservatisme des sociétés
musulmanes et le texte sacré, qui aborde le plaisir, l’amour et la
sexualité?

Cela s’explique par une perte de valeurs et de confiance en soi. Le
sexe n’est pas détaché du contexte sodo-historique. Mais,
fondamentalement, ce conservatisme: remonte à assez tôt. Dès l’instant
où : les théologiens ont codifié le droit musulman et gravé dans le
marbre: les critères de la charia, ils ont aussi codifié le rapport au
sexe, à la femme, et à l’intime. Cela remonte à la fin du VIème et au
début du Xème siècle, même si depuis il y a eu des soubresauts, des
réveils, des jaillissements, notamment d’auteurs, qui ont essayé de
réaffirmer le primat du bien-vivre.

2. Peut-on dire que ce mouvement conservateur trahit la parole du Prophète?

On ne peut pas répondre à cette question de façon frontale. Les
deux tendances ont toujours coexisté. Celle du bien-vivre, de la
jouissance, de la convivialité – une sorte d’islam des Lumières fondé
sur un héritage, très riche, notamment chez les Arabes et les Persans.
Et puis il y a la deuxième mécanique, dogmatique, puissante, et
caractérisée par une orthodoxie très active. Aujourd’hui, les
théologiens réactionnaires l’emportent largement, impriment leur vision
du monde et imposent leurs axiomes. Malgré tout, certains groupes
sociaux ou des personnalités – des rebelles – n’ont pas été
domestiqués. Ce sont le plus souvent des créateurs, des jeunes et des
femmes qui continuent de militer pour une autre dimension de l’islam.

3. Mais n’est-ce pas plutôt des facteurs sociologiques
qui sont à l’œuvre, avec par exemple le patriarcat, qu’une affaire
religieuse?

En terre d’islam, on ne peut pas distinguer le patriarcat pur,
préislamique, de sa translation religieuse dans l’appareil des lois. Un
certain nombre d’items, nés en Arabie ancienne chez
les Bédouins, ont été repris et recommandés par l’islam. Exemple avec
la circoncision.

4. Quel peut être le rôle des femmes pour une libération des mœurs?

Elles jouent déjà une partition singulière puisqu’elles sont
porteuses de vie. Mais, pour le reste, elles subissent les prédicats
machistes et patriarcaux. Elles sont notamment les mères de garçons
tout puissants… Oui. Mais parce qu’elles sont conditionnées par la
société misogyne, régie par des règles phallocratiques qui décident du
bien et du mal. Quand elles transmettent le primat de la virginité à
leur fille, elles reconduisent un schéma, mais elles n’ont pas
d’alternative.
Les tabous sont si forts qu’en les transgressant on prend le risque
d’être mis au ban de la société. Les conséquences peuvent être
cataclysmiques pour la fille, la famille, le groupe. Pour faire bouger
cette infrastructure qui s’est cristallisée, l’individu seul ne peut
rien. Faire éclater un archaïsme demande une énergie surhumaine.
L’immobilité est la règle.

5. Pour renouer avec un islam des Lumières, un soutien extérieur est¬il alors nécessaire?

La télévision, la mondialisation, le métissage, le village
planétaire, les voyages… font qu’un jour ou l’autre l’exogène sera
tellement proche qu’il deviendra endogène. Il faut s’attendre à une
évolution, même superficielle, par le voisinage et le contact avec les
autres. Pour autant, cette impulsion venue d’ailleurs ne doit pas trop
secouer les choses au risque de déclencher une hostilité brutale. Ce
fut le cas avec le mouvement d’émancipation des femmes. Il y a aussi le
risque d’une déculturation. Tout changement provoque des
transformations, parfois définitives et qui peuvent être
déstructurantes. I.’individualisme forcené de l’Occident pourrait par
exemple détruire quelque chose de précieux, le primat de la famille et
la solidarité au sein du groupe. L’individu ne peut remplacer la
solidarité coutumière.

TIREES DE JEUNE AFRIQUE

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