30.06.09 Nous sommes condamnés à vivre ensemble… (Interview de G. Nzinga avec la presse italienne).

 

 Question 1 : Nous italiens nous avons honte de
cette montée de xénophobie envers les étrangers, qu’en pensez-vous?

 

Ce que j’en
pense? Je crois fermement que cette peur devant l’inconnu est un sentiment qui
peut être partagé par quiconque. C’est sur cet inconnu que l’élite
intellectuelle italienne devra avoir la mission avant-guardiste de lever le
voile un tant soit peu et de mettre à nu son visage. Retenez que l’humanité
entière est en voie de prendre un tournant. Un grand tournant qui met sens
dessus dessous toute l’organisation
sociale antérieure. Le plus important est de savoir où nous en sommes
présentement et quelle direction nous sommes en train de prendre pour maintenir
le cap. Cette clairvoyance est
fondamentale. Elle résoud en partie le sentiment de la peur qui peut devenir
prémisse aux actes de violence sociale quant elle n’est pas éclairée. La honte
que vous ressentez devient un prologomenès comme disaient jadis les penseurs
grecs. Elle devient une aurore d’un jour nuveau. Elle annonce des nouveaux lendemains tant il est
vrai que ce n’est pas n’importe qui qui
a honte. J’ai toujours pensé que la honte est un sentiment noble que seuls les esprits supérieurs ont le pouvoir d’éprouver. Car en vérité, la
honte est un blâme implicite contre un acte moral commis puis jugé inexact et dans
ce sens une référence à peine voilée vers une valeur plus grande. Je pense donc
que votre honte prise dans cette optique est une ouverture vers un autre futur.

 

Question 2 : Mais dommage que  chez nous cette peur devient quasi aveugle!

 

C’est vrai
que cette peur dérange les bonnes consciences. C’est vrai que des politiciens
de bas étage en profitent pour pêcher en eau trouble et tenter de récolter les
voix électives. Mais pour ma part, j’ai la pleine conviction qu’il faut laisser
la panique aux gens qui choisissent de se voiler la face et essayer
d’interpréter votre peur comme un simple passage obligé. Faudra-t-il encore
parmi les européens que s’élèvent des fortes consciensces nouvelles et éclairées qui émettent un autre son de cloche
et posent une résistance farouche contre
ceux qui prêchent haine et xénophobie entre les autres races et les autres religions. L’Italie, comme d’ailleurs tant
d’autres pays du monde, a besoin de ce petit “ Reste” pour contaminer
positivement ceux et celles qui cherchent à comprendre pour mieux vivre avec
les autres. J’en ai déjà rencontré un grand nombre ça et là durant les débats à
notre université et à travers mes activités pastorales mais ce sont là des voix
isolées et timides.
Il faut qu’elles
prennent le mégaphone comme les autres le font  et qu’elles crient leur opinion sur les toits.
C’est ce choc des idées qui peut provoquer l’irruption des nouvelles lumières.
C’est aussi à ce moment précis que votre peur des autres que vous qualifiez d’aveugle commencera à avoir un regard plus sain,  une vue plus correcte et clairvoyante.

 

Question 3 : Jusque là nous ne parlons que de nous européens. Mais vous étrangers
victimes de la situation, comment réagissez-vous face à cette haine?

 

Avant de
vous répondre, je vous invite à faire un tour d’horizon sur la planète pour
vous apercevoir que ce n’est pas seulement en Europe qu’il y a problème
d’immigration et de la peur de l’étranger. Vous n’avez jamais réfléchi que mon
pays la République Démocratique du
Congo, à titre d’exemple, est resté “envahi”, passez-moi le terme, depuis la
Conférence internationale de Berlin tenue en 1885. Quand bien même  cette conférence a procédé à la répartition de toute l’Afrique
en 52 entités territoriales connues aujourd’hui, le sort réservé à mon pays est atypique.
De un, sa propriété est confiée non à la gestion politique et
économique d’un autre Etat comme ce fut le cas pour les 51 autres pays. Que
nenni! Sa gestion fut confiée aux mains d’un individu, Léopold II, l’alors illustre Roi des belges. De deux, pour obtenir telle faveur, ce Roi a
dû hypothéquer le respect intangible des frontières du Congo belge en faisant
du bassin du Congo, un large territoire ouvert
sans concession à toutes les autres puissances internationales.
C’est de là que chaque puissance se
sentira en droit de venir dans mon pays, de s’y installer et de faire ce
qu’elle veut sans rendre compte à personne ni se sentir en obligation de payer
des taxes ou impôts aux services publics
en place. De gré ou de force, mon peuple qui fête aujourd’hui son indépendance nominale, est resté et reste envahi par les autres populations dès les premières heures de son
existence. Après la guerre froide, la
situation s’est encore compliquée lorsque les puissances étrangères ont décidé
de donner une nouvelle direction à la marche du monde, vers un monde globalisé.
Le Congo-Kinshasa a vu alors venir tant d’étrangers. Dans ma ville natale, vous
y comptez beaucoup d’italiens, vos compatriotes; beaucoup d’européens,
d’américains ou encore d’asiatiques, en l’occurence les indo-pakistanais, les
libanais et depuis une dizaine d’années des chinois qui vont jusqu’à s’occuper
du petit commerce des baignets réservés aux mamans des quartiers pauvres.
Là aussi comme ici en Italie, la population locale s’interroge : que
devenons-nous? Que sera notre avenir et celui de nos enfants? Ces étrangers
sont-ils pour nous une chance ou une menace? C’est en comprenant la dimension
internationale de cette question que vous et moi, nous pourrions chercher
méthodiquement des solutions justes.

 

Question 4 : Vous ne nous dites toujours pas
votre mode de réagir

 

J’y arrive.
J’ai posé des prémisses et les conclusions ne tarderont pas à venir,
croyez-moi. Notre réaction devra alors être triple. De un, les immigrés comme ceux
qui les accueillent doivent comprendre que l’humanité tout entière a amorcé une
nouvelle marche vers des cieux nouveaux
et une terre nouvelle. Cette terre nouvelle, c’est le village planétaire où
nous devenons tous citoyens d’un même pays. Ceux qui ont eu à concevoir ce
méga-projet de globalisation ont eu justement l’intention de supprimer les
frontières qui séparaient les peuples. Nous devenons tous citoyens d’une même
entité. Nous partageons désormais tous le même destin. Nous sommes tous
embarqués dans la même barque. N’importe
quel ouragan menace désormais la vie de
tous. La fièvre porcine déclenchée il y a quelques mois au Mexique et qui s’est
répandue dans le monde entier à la vitesse lumière donne raison au propos que
je suis en train de tenir. Désormais nous souffrirons ensemble, nous rirons
ensemble. Il est hors de question d’agir
seul. On interagit.  C’est cette nouvelle
logique que beaucoup ne veulent pas encore accepter et qu’ils seront forcés
d’assumer dans les prochains jours. Laissez-moi vous le répéter : nous sommes
condamnés à vivre ensemble, à devenir responsables de la joie et de la
souffrance de la personne qui est à ses côtés, quelle que soit la couleur de sa
peau ou la différence de sa culture.

 

Question 5 : Et l’autre volet de réaction?

 

De deux, il
faudra s’entraîner désormais aux lois d’adaptation sociale. Gabriel
Tarde peut nous être ici d’une grande utilité. Un immigré doit avoir le devoir
d’imiter les valeurs positives et surtout de s’inculquer les lois du pays hôte
et de les mettre en application. Le respect de la législation locale favorise
l’intégration, la convivialité et l’acceptation mutuelle. Si malgré tous ces
efforts d’adaptation et de respect de coutumes locales, surgit quand même la haine, monte le climat
de l’intolérance, alors j’annonce à ceux et celles qui
partagent mon sort d’immigré ou qui le
sont dans mon pays qui serait leur hôte,
j’annonce la troisième règle d’or : celle de réagir avec les armes spirituelles de l’Evangile de Jésus. En termes
clairs, il nous faudra répondre à la haine par l’amour illimité; à
l’intolérance par l’attention; à la violence des paroles et des actes par la
douceur poussée à l’extrême; à l’incompréhension par la patience que le temps
vienne éclairer les côtés incompris; au manque de moyens matériels par la
volonté affichée de vouloir travailler et manger à la sueur de son front. Seul
l’amour enseigné par le Maître, l’Amour reçu et donné en partage, peut venir à bout de cette peur et remettre nos pas sur des nouvelles pistes d’une nouvelle société
réconciliée, juste et pacifiée.

 

Question 6 : Y a-t-il en vous un espoir pour les prochains jours?

 

Je l’ai déjà dit, c’est
l’espoir que nourrissait le sacré-cœur  de mon doux Jésus. C’est le rêve du prophète
Isaïe rendu concret par mon Maître et Seigneur Jésus-Christ. Derrière ses pas,
moi aussi en toute humilité,  je rêve de
cette nouvelle société où le loup habitera avec l’agneau, où le plus fort et le
plus faible pactiseront, le riche et le pauvre mangeront à la même table.
Je rêve de cette nouvelle société où
les êtres humains ne seront plus jugés par la couleur de leur peau mais
uniquement par leur dignité humaine et leur valeur personnelle. Je rêve de
respirer de mon vivant l’air frais de ce village planétaire où les humains auront
fini d’apprendre qu’ils sont tous fils d’un même Père qui les appelle à s’aimer
et à s’estimer sans tenir plus compte d’aucune barrière tracée par les forces
négatives. Je rêve de ces cieux nouveaux et de cette terre nouvelle où d’un
coeur unanime nous chanterons et louerons la gloire de l’Eternel.

 

Question :Merci père pour ce riche partage

 

Tout le
plaisir a été pour moi. Soyez tous bénis.

 

 

 De Rome,Père Germain NZINGA MAKITU 

 

 

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