Mushaki Pager : Sur Laurent Nkunda
En
lançant une offensive conjointe dans lest du pays, Kigali et Kinshasa
ont décidé de mettre hors détat de nuire Laurent Nkunda, le président
du Congrès national pour la défense du peuple. Retour sur litinéraire
singulier de ce rebelle incontrôlable.
lançant une offensive conjointe dans lest du pays, Kigali et Kinshasa
ont décidé de mettre hors détat de nuire Laurent Nkunda, le président
du Congrès national pour la défense du peuple. Retour sur litinéraire
singulier de ce rebelle incontrôlable.
«Si Nkunda devenait un
problème pour le Rwanda, je saurais ce quil faut faire. » Cette petite
phrase de Paul Kagamé, lors dune interview à J.A. en mars 2008, prend
aujourdhui tout son sens. Lhyperréaliste président rwandais na pas
hésité une seconde avant dordonner larrestation, le 22 janvier peu
avant minuit, dun homme que lon a longtemps présenté – à tort et à
raison – comme étant sa propre « créature ». Victime dun spectaculaire
retournement dalliances concocté depuis plusieurs semaines sous
impulsion américaine et qui le dépasse totalement, Laurent Nkundabatware Mihigo,
41 ans, est désormais un chef de guerre déchu, placé en étroite
résidence surveillée à Gisenyi sur les rives du lac Kivu, dans
lattente dune éventuelle extradition vers Kinshasa où la justice
lattend – à moins que ce ne soit vers un lointain exil. Cest en
décembre 2008, au cours dune série de réunions secrètes entre
Congolais et Rwandais, que le sort du chef du Conseil national pour la
défense du peuple (CNDP) sest joué. En échange, si lon peut dire, de
la latitude accordée par Joseph Kabila aux Rwanda
Defense Forces (RDF) de pénétrer en territoire congolais pour
« nettoyer » les maquis des rebelles hutus, Paul Kagamé a offert à son
voisin son aide pour réoccuper les zones dites « libérées » par le
CNDP, ainsi que la neutralisation de son chef. Une sorte de mini-Yalta
des Grands Lacs, qui a complètement surpris Laurent Nkunda.
Lâché par la plupart de ses lieutenants et incapable daffronter les
bataillons de la nouvelle coalition rwando-congolaise, le « faucon
noir » du Kivu semble avoir dabord voulu fuir avec son dernier carré
de fidèles en Ouganda via le poste-frontiè re de Bunagana. Refoulée, la
petite troupe a alors pénétré en territoire rwandais au nord de
Gisenyi, avant dêtre encerclée et désarmée. Les états dâme nétant
pas de mise à Kigali, cétait pour Nkunda la fin (provisoire ?) de laventure.
problème pour le Rwanda, je saurais ce quil faut faire. » Cette petite
phrase de Paul Kagamé, lors dune interview à J.A. en mars 2008, prend
aujourdhui tout son sens. Lhyperréaliste président rwandais na pas
hésité une seconde avant dordonner larrestation, le 22 janvier peu
avant minuit, dun homme que lon a longtemps présenté – à tort et à
raison – comme étant sa propre « créature ». Victime dun spectaculaire
retournement dalliances concocté depuis plusieurs semaines sous
impulsion américaine et qui le dépasse totalement, Laurent Nkundabatware Mihigo,
41 ans, est désormais un chef de guerre déchu, placé en étroite
résidence surveillée à Gisenyi sur les rives du lac Kivu, dans
lattente dune éventuelle extradition vers Kinshasa où la justice
lattend – à moins que ce ne soit vers un lointain exil. Cest en
décembre 2008, au cours dune série de réunions secrètes entre
Congolais et Rwandais, que le sort du chef du Conseil national pour la
défense du peuple (CNDP) sest joué. En échange, si lon peut dire, de
la latitude accordée par Joseph Kabila aux Rwanda
Defense Forces (RDF) de pénétrer en territoire congolais pour
« nettoyer » les maquis des rebelles hutus, Paul Kagamé a offert à son
voisin son aide pour réoccuper les zones dites « libérées » par le
CNDP, ainsi que la neutralisation de son chef. Une sorte de mini-Yalta
des Grands Lacs, qui a complètement surpris Laurent Nkunda.
Lâché par la plupart de ses lieutenants et incapable daffronter les
bataillons de la nouvelle coalition rwando-congolaise, le « faucon
noir » du Kivu semble avoir dabord voulu fuir avec son dernier carré
de fidèles en Ouganda via le poste-frontiè re de Bunagana. Refoulée, la
petite troupe a alors pénétré en territoire rwandais au nord de
Gisenyi, avant dêtre encerclée et désarmée. Les états dâme nétant
pas de mise à Kigali, cétait pour Nkunda la fin (provisoire ?) de laventure.
ENFANCE STUDIEUSE
Itinéraire
singulier que celui de cet homme ambitieux et mystique, combattant
apatride passant dune guerre civile à une autre sans considération de
nationalité et qui faillit devenir pasteur avant que le maelström des
haines ethniques dans la région des Grands Lacs le rattrape et le
happe. Né dans le Nord-Kivu, territoire de Rutshuru, au sein dune
famille aisée et respectée déleveurs tutsis installés sur les collines
depuis trois générations, Laurent Nkunda a connu une
enfance aussi studieuse que tumultueuse. Élève brillant, bachelier en
1985 au lycée de Katwe, disciple fervent de lÉglise adventiste, il est
aussi un adepte des sports de combat et un meneur dhommes. Nkunda na
pas 17 ans quand, à la tête dune horde de huit cents collégiens, il
prend dassaut un poste de police pour libérer un professeur
injustement arrêté. Sur fond de vives tensions foncières entre
agriculteurs et éleveurs, Tutsis et Banandes, « Banyamulenges » et
« autochtones », son caractère se forge. En même temps que croît chez
lui un sentiment victimaire de plus en plus marqué: celui dêtre un
Zaïrois de deuxième zone, discriminé parce que tutsi.
singulier que celui de cet homme ambitieux et mystique, combattant
apatride passant dune guerre civile à une autre sans considération de
nationalité et qui faillit devenir pasteur avant que le maelström des
haines ethniques dans la région des Grands Lacs le rattrape et le
happe. Né dans le Nord-Kivu, territoire de Rutshuru, au sein dune
famille aisée et respectée déleveurs tutsis installés sur les collines
depuis trois générations, Laurent Nkunda a connu une
enfance aussi studieuse que tumultueuse. Élève brillant, bachelier en
1985 au lycée de Katwe, disciple fervent de lÉglise adventiste, il est
aussi un adepte des sports de combat et un meneur dhommes. Nkunda na
pas 17 ans quand, à la tête dune horde de huit cents collégiens, il
prend dassaut un poste de police pour libérer un professeur
injustement arrêté. Sur fond de vives tensions foncières entre
agriculteurs et éleveurs, Tutsis et Banandes, « Banyamulenges » et
« autochtones », son caractère se forge. En même temps que croît chez
lui un sentiment victimaire de plus en plus marqué: celui dêtre un
Zaïrois de deuxième zone, discriminé parce que tutsi.
Étudiant en psychologie à Kisangani, capitale de la Province orientale et troisième ville du pays, loin de son Nord-Kivu natal, Laurent Nkunda
vit mal lexclusion et le racisme de ceux qui sen prennent volontiers
à son physique longiligne de nilotique. Il ny reste guère, retourne
bientôt dans la ferme familiale et sadonne un moment au business de
carburant avec lOuganda voisin. En 1988, encouragé par son père, Nkunda
reprend ses études, au Rwanda cette fois, où il se sent plus à laise.
Inscrit à luniversité adventiste de Mudende, il se prépare à devenir
pasteur. Ses enseignants sy opposent : pieux certes,
mais incontrôlable. Un échec dont il se remettra mal. Le 1er octobre
1990, il est par chance à Goma lorsquil apprend à la fois léclatement
de la rébellion du Front patriotique rwandais de Fred Rwigyema et Paul Kagamé,
et le massacre, le même jour, détudiants et de professeurs tutsis au
sein même de luniversité de Mudende. Le choc est terrible. Jusquici
peu attiré par la politique, Nkunda bascule: il se battra pour la cause de sa communauté.
vit mal lexclusion et le racisme de ceux qui sen prennent volontiers
à son physique longiligne de nilotique. Il ny reste guère, retourne
bientôt dans la ferme familiale et sadonne un moment au business de
carburant avec lOuganda voisin. En 1988, encouragé par son père, Nkunda
reprend ses études, au Rwanda cette fois, où il se sent plus à laise.
Inscrit à luniversité adventiste de Mudende, il se prépare à devenir
pasteur. Ses enseignants sy opposent : pieux certes,
mais incontrôlable. Un échec dont il se remettra mal. Le 1er octobre
1990, il est par chance à Goma lorsquil apprend à la fois léclatement
de la rébellion du Front patriotique rwandais de Fred Rwigyema et Paul Kagamé,
et le massacre, le même jour, détudiants et de professeurs tutsis au
sein même de luniversité de Mudende. Le choc est terrible. Jusquici
peu attiré par la politique, Nkunda bascule: il se battra pour la cause de sa communauté.
Début 1991,
Laurent Nkunda adhère au FPR à Goma, en tant que recruteur et
collecteur de fonds. Un an plus tard, il intègre lAPR (lArmée
patriotique rwandaise), la branche armée du Front, et suit une
formation militaire en Ouganda avant de se voir affecté, en 1993, aux
« opérations spéciales » les plus secrètes. En pleine guerre, il
multiplie les navettes entre le Kivu, le Rwanda et lOuganda – une
période de sa vie sur laquelle, aujourdhui encore, on ne sait rien,
mais dont on imagine quelle ne fut pas un dîner de gala. Sergent de
lAPR lors de la libération de Kigali, en juillet 1994, et membre des
services de renseignements, Nkunda retourne bientôt dans le Nord-Kivu
pour y recruter des Tutsis congolais. Sa région est alors en plein
drame, les réfugiés hutus rwandais, anciens miliciens Interahamwes et
militaires en déroute de larmée du régime déchu, multiplient les
exactions contre les Banyamulenges. En juin 1995, 51 membres de la
famille de Laurent Nkunda sont ainsi assassinés à Mirangi. Sa mère, son
fils et ses sœurs ne doivent leur survie quà une fuite éperdue à
travers la forêt. Cest donc tout naturellement que Nkunda, nommé
commandant dans larmée rwandaise, participe à la chevauchée
fantastique de 1996 et 1997 qui aboutit à la chute de Mobutu et à
laccession au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila. Il
nira pas jusquà Kinshasa, toutefois. Affecté à Kisangani après la
prise de cette ville, il se voit un moment chargé de veiller à la
sécurité dun jeune homme discret, qui loge à lhôtel Palm Beach et
auquel le destin va, dix ans plus tard, le confronter : Joseph Kabila, le fils du Mzee [1]…
Laurent Nkunda adhère au FPR à Goma, en tant que recruteur et
collecteur de fonds. Un an plus tard, il intègre lAPR (lArmée
patriotique rwandaise), la branche armée du Front, et suit une
formation militaire en Ouganda avant de se voir affecté, en 1993, aux
« opérations spéciales » les plus secrètes. En pleine guerre, il
multiplie les navettes entre le Kivu, le Rwanda et lOuganda – une
période de sa vie sur laquelle, aujourdhui encore, on ne sait rien,
mais dont on imagine quelle ne fut pas un dîner de gala. Sergent de
lAPR lors de la libération de Kigali, en juillet 1994, et membre des
services de renseignements, Nkunda retourne bientôt dans le Nord-Kivu
pour y recruter des Tutsis congolais. Sa région est alors en plein
drame, les réfugiés hutus rwandais, anciens miliciens Interahamwes et
militaires en déroute de larmée du régime déchu, multiplient les
exactions contre les Banyamulenges. En juin 1995, 51 membres de la
famille de Laurent Nkunda sont ainsi assassinés à Mirangi. Sa mère, son
fils et ses sœurs ne doivent leur survie quà une fuite éperdue à
travers la forêt. Cest donc tout naturellement que Nkunda, nommé
commandant dans larmée rwandaise, participe à la chevauchée
fantastique de 1996 et 1997 qui aboutit à la chute de Mobutu et à
laccession au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila. Il
nira pas jusquà Kinshasa, toutefois. Affecté à Kisangani après la
prise de cette ville, il se voit un moment chargé de veiller à la
sécurité dun jeune homme discret, qui loge à lhôtel Palm Beach et
auquel le destin va, dix ans plus tard, le confronter : Joseph Kabila, le fils du Mzee [1]…
PREMIER « CRIME DE GUERRE »
La fusion entre les Kadogos de Kabila et les soldats de Kagamé
étant totale, tous les militaires qui ont participé à la « libération »
du Congo sont sans distinction dorigine reversés dans la nouvelle
armée congolaise, laquelle est placée sous le commandement du général
(rwandais) James Kabarebe. Congolais dorigine, puis officier rwandais, Laurent Nkunda
devient donc, ipso facto, commandant des FAC (Forces armées
congolaises) . Mais cette situation ne dure guère. En août 1998, cest
la rupture entre Kabila et Kagamé et
léclatement de la deuxième guerre. Dans les casernes du pays, les
soldats congolais se soulèvent contre les Rwandais et leurs frères
tutsis du Kivu. Laurent Nkunda, qui se trouve alors en
plein territoire de Walikale, prend de son propre chef la tête dune
brigade pour délivrer ses camarades assiégés dans Kisangani. À marche
forcée, il parvient dans les faubourgs de la ville et met en fuite les
assaillants. Cest son premier fait darmes. Nommé commandant de la
7e brigade des FAC (qui na de congolaise que le nom, car elle est sous
influence directe de Kigali), avec le grade de colonel, Nkunda,
qui a effectué entre-temps un stage militaire à Gabiro, au Rwanda, et
participé aux sanglants affrontements contre les ex-alliés ougandais à
Kisangani, assiste de loin à la conclusion des accords de paix
inter-congolais de Pretoria, en décembre 2002. Il est vrai quil vient
de vivre quelques semaines délicates en matant dans le sang une
mutinerie en plein cœur de Kisangani – ce qui lui vaut ses premières
accusations de « crimes de guerre » de la part dONG. Il est vrai
surtout quil ne se sent pas concerné par des accords qui, selon lui,
ne tiennent aucun compte de « la cause du Kivu ».
étant totale, tous les militaires qui ont participé à la « libération »
du Congo sont sans distinction dorigine reversés dans la nouvelle
armée congolaise, laquelle est placée sous le commandement du général
(rwandais) James Kabarebe. Congolais dorigine, puis officier rwandais, Laurent Nkunda
devient donc, ipso facto, commandant des FAC (Forces armées
congolaises) . Mais cette situation ne dure guère. En août 1998, cest
la rupture entre Kabila et Kagamé et
léclatement de la deuxième guerre. Dans les casernes du pays, les
soldats congolais se soulèvent contre les Rwandais et leurs frères
tutsis du Kivu. Laurent Nkunda, qui se trouve alors en
plein territoire de Walikale, prend de son propre chef la tête dune
brigade pour délivrer ses camarades assiégés dans Kisangani. À marche
forcée, il parvient dans les faubourgs de la ville et met en fuite les
assaillants. Cest son premier fait darmes. Nommé commandant de la
7e brigade des FAC (qui na de congolaise que le nom, car elle est sous
influence directe de Kigali), avec le grade de colonel, Nkunda,
qui a effectué entre-temps un stage militaire à Gabiro, au Rwanda, et
participé aux sanglants affrontements contre les ex-alliés ougandais à
Kisangani, assiste de loin à la conclusion des accords de paix
inter-congolais de Pretoria, en décembre 2002. Il est vrai quil vient
de vivre quelques semaines délicates en matant dans le sang une
mutinerie en plein cœur de Kisangani – ce qui lui vaut ses premières
accusations de « crimes de guerre » de la part dONG. Il est vrai
surtout quil ne se sent pas concerné par des accords qui, selon lui,
ne tiennent aucun compte de « la cause du Kivu ».
Dès lors, la voie qui mène à la rébellion est ouverte. Laurent Nkunda
refuse de prêter serment au nouveau gouvernement congolais issu des
accords de Pretoria et ne se rend pas à la convocation de la Cour
militaire de Kinshasa, qui exige de lui des explications. Ni sa
nomination au grade de général de brigade, ni le poste de commandant de
la région du Nord-Kivu quon lui propose – et quil décline – ne le
font changer davis. À la mi-2003, il crée lassociation « Synergie
nationale », qui se dote dune branche armée, l« Anti-Genocide Team ». Un an plus tard, à la tête de huit cents hommes, il vient en aide au général tutsi Mutebusi en révolte à Bukavu contre les FAC de Kabila.
Il occupe la ville pendant quatre jours, puis se retire. Quatre jours
de pillages et dexactions. Kinshasa le déchoit de son grade et lance
contre lui un mandat darrêt international, tandis que le Conseil de
sécurité de lONU le place sur la liste noire des interdits de voyage.
Mais Nkunda nen a cure. En décembre 2004, le gouvernement congolais lance contre lui sa première grande offensive : lopération Bima. Dix mille hommes sont mobilisés contre les deux mille combattants de Nkunda.
Cest un échec cuisant. Le 25 août 2005, celui que lon nappelle plus
à Kinshasa que sous le label de « général renégat » crée le Congrès
national pour la défense du peuple (CNDP), un mouvement structuré,
relativement discipliné, qui sappuie à la fois sur le culte du chef,
sur le mysticisme adventiste (une doctrine que Nkunda
qualifie de « justicisme chrétien ») et sur lexaltation du sacrifice.
En exergue du « code de conduite opérationnelle » du CNDP, le « chairman » Nkunda fait figurer cette phrase de Franz Fanon:
« Avoir un fusil et être membre dune armée de libération, cest la
seule chance qui nous reste de donner un sens à notre mort. »
refuse de prêter serment au nouveau gouvernement congolais issu des
accords de Pretoria et ne se rend pas à la convocation de la Cour
militaire de Kinshasa, qui exige de lui des explications. Ni sa
nomination au grade de général de brigade, ni le poste de commandant de
la région du Nord-Kivu quon lui propose – et quil décline – ne le
font changer davis. À la mi-2003, il crée lassociation « Synergie
nationale », qui se dote dune branche armée, l« Anti-Genocide Team ». Un an plus tard, à la tête de huit cents hommes, il vient en aide au général tutsi Mutebusi en révolte à Bukavu contre les FAC de Kabila.
Il occupe la ville pendant quatre jours, puis se retire. Quatre jours
de pillages et dexactions. Kinshasa le déchoit de son grade et lance
contre lui un mandat darrêt international, tandis que le Conseil de
sécurité de lONU le place sur la liste noire des interdits de voyage.
Mais Nkunda nen a cure. En décembre 2004, le gouvernement congolais lance contre lui sa première grande offensive : lopération Bima. Dix mille hommes sont mobilisés contre les deux mille combattants de Nkunda.
Cest un échec cuisant. Le 25 août 2005, celui que lon nappelle plus
à Kinshasa que sous le label de « général renégat » crée le Congrès
national pour la défense du peuple (CNDP), un mouvement structuré,
relativement discipliné, qui sappuie à la fois sur le culte du chef,
sur le mysticisme adventiste (une doctrine que Nkunda
qualifie de « justicisme chrétien ») et sur lexaltation du sacrifice.
En exergue du « code de conduite opérationnelle » du CNDP, le « chairman » Nkunda fait figurer cette phrase de Franz Fanon:
« Avoir un fusil et être membre dune armée de libération, cest la
seule chance qui nous reste de donner un sens à notre mort. »
Dans
les zones quil contrôle dans le Nord-Kivu – essentiellement les
territoires de Rutshuru et de Masisi –, le Congrès se finance sur la
bête. Le poste-frontiè re de Bunagana, les barrages routiers, les taxes
prélevées sur le bétail, le soutien de quelques gros commerçants
banyamulenges, mais aussi quelques mines de coltan et de cassitérite
lautorisent à une certaine aisance de fonctionnement. Le CNDP ouvre
trois sites sur lInternet et crée des cellules de sympathisants en
Europe, aux États-Unis et en Afrique du Sud. À partir de 2006 et de la
première tentative manquée de semparer de Goma, défendue par les
Casques bleus de la Monuc, Nkunda recrute à tout-va. Le
CNDP compte bientôt sept mille à huit mille hommes aux uniformes
propres mais dont la conduite face aux civils – pillages, racket et
parfois viols – est aléatoire. De lIturi, où ils ont combattu avec Thomas Lubanga, Laurent Nkunda fait venir des chefs de guerre aussi redoutés que peu recommandables: le général Kakokele et surtout Bosco Ntabanga, alias Terminator.
Ce Tutsi du Nord-Kivu est sous le coup dun mandat darrêt de la Cour
pénale internationale, qui souhaite le voir comparaître à La Haye aux
côtés de Lubanga. Motif: recrutement denfants-soldats et crimes de guerre. Nkunda
le sait, mais il estime avoir besoin des compétences militaires réelles
de ce prédateur adoré de ses hommes, à qui il permet tout ou presque.
Il ne va pas tarder à sen repentir. En cette année 2006, pourtant, ce
père de quatre enfants qui a épousé une Shi du Sud-Kivu commence à
rêver dun destin national. Il soutient discrètement Jean-Pierre Bemba
lors de lélection présidentielle, lance des appels du pied à Étienne Tshisekedi
et prend contact avec les irrédentistes du Bundu dia Kongo. Surtout, il
se sent sûr de ses appuis rwandais. Trop sans doute, car il ne
saperçoit pas que Paul Kagamé, très conscient de
limage sulfureuse du chef du CNDP auprès de la communauté
internationale et agacé par ses ambitions quil sait irréalistes,
commence à se poser des questions. Et si Nkunda, qui na jamais entretenu avec Kigali de simples rapports de sujétion, devenait plus encombrant quutile?
les zones quil contrôle dans le Nord-Kivu – essentiellement les
territoires de Rutshuru et de Masisi –, le Congrès se finance sur la
bête. Le poste-frontiè re de Bunagana, les barrages routiers, les taxes
prélevées sur le bétail, le soutien de quelques gros commerçants
banyamulenges, mais aussi quelques mines de coltan et de cassitérite
lautorisent à une certaine aisance de fonctionnement. Le CNDP ouvre
trois sites sur lInternet et crée des cellules de sympathisants en
Europe, aux États-Unis et en Afrique du Sud. À partir de 2006 et de la
première tentative manquée de semparer de Goma, défendue par les
Casques bleus de la Monuc, Nkunda recrute à tout-va. Le
CNDP compte bientôt sept mille à huit mille hommes aux uniformes
propres mais dont la conduite face aux civils – pillages, racket et
parfois viols – est aléatoire. De lIturi, où ils ont combattu avec Thomas Lubanga, Laurent Nkunda fait venir des chefs de guerre aussi redoutés que peu recommandables: le général Kakokele et surtout Bosco Ntabanga, alias Terminator.
Ce Tutsi du Nord-Kivu est sous le coup dun mandat darrêt de la Cour
pénale internationale, qui souhaite le voir comparaître à La Haye aux
côtés de Lubanga. Motif: recrutement denfants-soldats et crimes de guerre. Nkunda
le sait, mais il estime avoir besoin des compétences militaires réelles
de ce prédateur adoré de ses hommes, à qui il permet tout ou presque.
Il ne va pas tarder à sen repentir. En cette année 2006, pourtant, ce
père de quatre enfants qui a épousé une Shi du Sud-Kivu commence à
rêver dun destin national. Il soutient discrètement Jean-Pierre Bemba
lors de lélection présidentielle, lance des appels du pied à Étienne Tshisekedi
et prend contact avec les irrédentistes du Bundu dia Kongo. Surtout, il
se sent sûr de ses appuis rwandais. Trop sans doute, car il ne
saperçoit pas que Paul Kagamé, très conscient de
limage sulfureuse du chef du CNDP auprès de la communauté
internationale et agacé par ses ambitions quil sait irréalistes,
commence à se poser des questions. Et si Nkunda, qui na jamais entretenu avec Kigali de simples rapports de sujétion, devenait plus encombrant quutile?
Laura – si ce nest la popularité – de Laurent Nkunda
ne cesse de sétendre en 2007, alors quil résiste victorieusement,
entre août et novembre, à une nouvelle offensive de larmée congolaise.
Cette dernière aligne contre lui trente mille hommes, plus quelques
centaines de rebelles hutus, avec le soutien logistique de la Monuc. Le
CNDP, qui bénéficie du renfort de militaires rwandais démobilisés, plie
mais ne rompt pas. Un raid dévastateur sur le camp militaire congolais
de Kikuku et lanéantissement de la 14e brigade des FARDC à Mushaki
mettent un terme aux combats. Cest en quasi-héros que Nkunda
envoie ses émissaires à la conférence de paix de Goma en janvier 2008.
Et cest un homme transfiguré qui, deux mois plus tard, annonce quil
ne se sent en rien lié par les conclusions de cette même conférence.
Son objectif est clair désormais: il veut, dit-il, « prendre le
pouvoir » à Kinshasa. En dautres mots: renverser Joseph Kabila.
Aussi, quand la guerre recommence en août 2008, Nkunda nest pas loin
de penser quelle ne sarrêtera plus avant quelle nait atteint les
rives occidentales du fleuve Congo. Le scénario se répète: larmée
congolaise recule en désordre et le CNDP prend une à une les villes du
Nord-Kivu. Rumangabo et son camp militaire, Rutshuru et Kibumba
tombent. Fin octobre, les hommes de Nkunda campent devant Goma… Et Nkunda
tombe malade. Il est alors contraint de laisser pendant quelques
semaines le commandement des opérations à son chef détat-major, Bosco Ntabanga,
dont il se méfie mais quil a toujours protégé des poursuites de la
CPI. Erreur fatale. Les 4 et 5 novembre, le massacre des villageois de
Kiwanja, manifestement commis par des miliciens du CNDP, fait le tour
du monde. Surtout, Ntabanga, sans doute soucieux de
prolonger ainsi son sursis dimpunité, prend langue en secret avec
larmée congolaise au sein de laquelle il demande sa réintégration. Il
fera office de cheval de Troie. Sous forte pression internationale – et
sans doute rwandaise –, Nkunda, rétabli, doit renoncer à semparer de Goma. Dès lors, ses jours sont comptés.
ne cesse de sétendre en 2007, alors quil résiste victorieusement,
entre août et novembre, à une nouvelle offensive de larmée congolaise.
Cette dernière aligne contre lui trente mille hommes, plus quelques
centaines de rebelles hutus, avec le soutien logistique de la Monuc. Le
CNDP, qui bénéficie du renfort de militaires rwandais démobilisés, plie
mais ne rompt pas. Un raid dévastateur sur le camp militaire congolais
de Kikuku et lanéantissement de la 14e brigade des FARDC à Mushaki
mettent un terme aux combats. Cest en quasi-héros que Nkunda
envoie ses émissaires à la conférence de paix de Goma en janvier 2008.
Et cest un homme transfiguré qui, deux mois plus tard, annonce quil
ne se sent en rien lié par les conclusions de cette même conférence.
Son objectif est clair désormais: il veut, dit-il, « prendre le
pouvoir » à Kinshasa. En dautres mots: renverser Joseph Kabila.
Aussi, quand la guerre recommence en août 2008, Nkunda nest pas loin
de penser quelle ne sarrêtera plus avant quelle nait atteint les
rives occidentales du fleuve Congo. Le scénario se répète: larmée
congolaise recule en désordre et le CNDP prend une à une les villes du
Nord-Kivu. Rumangabo et son camp militaire, Rutshuru et Kibumba
tombent. Fin octobre, les hommes de Nkunda campent devant Goma… Et Nkunda
tombe malade. Il est alors contraint de laisser pendant quelques
semaines le commandement des opérations à son chef détat-major, Bosco Ntabanga,
dont il se méfie mais quil a toujours protégé des poursuites de la
CPI. Erreur fatale. Les 4 et 5 novembre, le massacre des villageois de
Kiwanja, manifestement commis par des miliciens du CNDP, fait le tour
du monde. Surtout, Ntabanga, sans doute soucieux de
prolonger ainsi son sursis dimpunité, prend langue en secret avec
larmée congolaise au sein de laquelle il demande sa réintégration. Il
fera office de cheval de Troie. Sous forte pression internationale – et
sans doute rwandaise –, Nkunda, rétabli, doit renoncer à semparer de Goma. Dès lors, ses jours sont comptés.
Le 5 janvier 2009, Bosco Ntabanga
tente un putsch à la tête du CNDP. Le 16, il est rejoint par une bonne
partie des officiers du mouvement, et le 20, lopération conjointe
rwando-congolaise commence. Cen est fini du « faucon noir ». Reste à savoir maintenant ce que Paul Kagamé va faire de lui.
tente un putsch à la tête du CNDP. Le 16, il est rejoint par une bonne
partie des officiers du mouvement, et le 20, lopération conjointe
rwando-congolaise commence. Cen est fini du « faucon noir ». Reste à savoir maintenant ce que Paul Kagamé va faire de lui.
LES CHERS AMIS DE LAURENT NKUNDA. |
Le
Congolais Katebe Katoto et le Rwandais Tribert Rujugiro sont mis en
cause par le rapport dexperts sur la guerre dans lEst publié le
12 décembre par lONU.
Congolais Katebe Katoto et le Rwandais Tribert Rujugiro sont mis en
cause par le rapport dexperts sur la guerre dans lEst publié le
12 décembre par lONU.
Tribert Rujugiro et Katebe Katoto
ont beaucoup de points communs: ils sont tous les deux hommes
daffaires, réputés « richissimes », sexagénaires et… cités dans un
rapport sur la guerre en RD Congo publié le 12 décembre par lONU. Leur
nom apparaît à la rubrique « Particuliers finançant le CNDP », le
Conseil national pour la défense du peuple, le mouvement du rebelle Laurent Nkunda, qui, depuis le 28 août dernier, affronte les Forces armées de la RD Congo.
ont beaucoup de points communs: ils sont tous les deux hommes
daffaires, réputés « richissimes », sexagénaires et… cités dans un
rapport sur la guerre en RD Congo publié le 12 décembre par lONU. Leur
nom apparaît à la rubrique « Particuliers finançant le CNDP », le
Conseil national pour la défense du peuple, le mouvement du rebelle Laurent Nkunda, qui, depuis le 28 août dernier, affronte les Forces armées de la RD Congo.
Rwandais, Tribert Rujugiro,
67 ans, père de six enfants, a fait fortune dans lindustrie du tabac,
les brasseries, le secteur bancaire. Fondateur, en 2006, du « Rwanda
Investment Group », il dispose dintérêts au Botswana, en Afrique du
Sud, en Côte dIvoire, au Togo, au Kenya, en Ouganda… Daprès les
experts des Nations unies, cet ancien bailleur de fonds du Front
patriotique rwandais (FPR), le parti au pouvoir au Rwanda, possède
aussi plusieurs fermes dans le Masisi, territoire contrôlé par le CNDP.
Dans lune delles, à Kirolirwe, il aurait régulièrement reçu des
dignitaires du mouvement, dont Laurent Nkunda, en 2006. Le 28 août 2007, il aurait envoyé un mail à lun de ses employés à Dubaï, lui demandant de mettre 120.000 dollars
à la disposition des « gens de notre ami Laurent N ». Le 6 juin 2008,
poursuit le document, il aurait reçu un mail du colonel Gahizi,
« lun des commandants les plus influents du CNDP », linformant que
« les gens sont prêts » et lui rappelant denvoyer « lengin » comme il
lavait promis. Sollicité par Jeune Afrique, Tribert Rujugiro
na pas réagi à ces mises en cause. Il est actuellement à Londres, en
liberté provisoire depuis octobre dernier, après la délivrance dun
mandat par lAfrique du Sud pour fraude fiscale.
67 ans, père de six enfants, a fait fortune dans lindustrie du tabac,
les brasseries, le secteur bancaire. Fondateur, en 2006, du « Rwanda
Investment Group », il dispose dintérêts au Botswana, en Afrique du
Sud, en Côte dIvoire, au Togo, au Kenya, en Ouganda… Daprès les
experts des Nations unies, cet ancien bailleur de fonds du Front
patriotique rwandais (FPR), le parti au pouvoir au Rwanda, possède
aussi plusieurs fermes dans le Masisi, territoire contrôlé par le CNDP.
Dans lune delles, à Kirolirwe, il aurait régulièrement reçu des
dignitaires du mouvement, dont Laurent Nkunda, en 2006. Le 28 août 2007, il aurait envoyé un mail à lun de ses employés à Dubaï, lui demandant de mettre 120.000 dollars
à la disposition des « gens de notre ami Laurent N ». Le 6 juin 2008,
poursuit le document, il aurait reçu un mail du colonel Gahizi,
« lun des commandants les plus influents du CNDP », linformant que
« les gens sont prêts » et lui rappelant denvoyer « lengin » comme il
lavait promis. Sollicité par Jeune Afrique, Tribert Rujugiro
na pas réagi à ces mises en cause. Il est actuellement à Londres, en
liberté provisoire depuis octobre dernier, après la délivrance dun
mandat par lAfrique du Sud pour fraude fiscale.
Nettement plus disert, Katebe Katoto,
lui, dénonce les « affabulations » dont il fait lobjet et assure
navoir jamais été contacté par les auteurs du rapport. Natif du
Katanga, cet ancien professeur de mathématiques âgé de 64 ans et père
de cinq enfants est devenu un magnat de la pêche dans la région des
Grands Lacs. Établi à Bruges, en Belgique – il a la nationalité belge
–, il explique ainsi le virement de 250.000 dollars mentionné par le rapport, effectué le 7 février 2006 entre le compte de son épouse et celui dÉlisabeth Uwasse, lépouse de Laurent Nkunda: « Je cherchais une maison à Goma, cest très joli. Nkunda
ma dit, “cest madame qui a les contacts pour la maison ». Je lui ai
donc envoyé un acompte. » Avant de rappeler quà la date du virement le
CNDP nexistait pas encore.
lui, dénonce les « affabulations » dont il fait lobjet et assure
navoir jamais été contacté par les auteurs du rapport. Natif du
Katanga, cet ancien professeur de mathématiques âgé de 64 ans et père
de cinq enfants est devenu un magnat de la pêche dans la région des
Grands Lacs. Établi à Bruges, en Belgique – il a la nationalité belge
–, il explique ainsi le virement de 250.000 dollars mentionné par le rapport, effectué le 7 février 2006 entre le compte de son épouse et celui dÉlisabeth Uwasse, lépouse de Laurent Nkunda: « Je cherchais une maison à Goma, cest très joli. Nkunda
ma dit, “cest madame qui a les contacts pour la maison ». Je lui ai
donc envoyé un acompte. » Avant de rappeler quà la date du virement le
CNDP nexistait pas encore.
Laurent Nkunda, Katebe Katoto
la connu pour avoir été, en 2003, vice-président du Rassemblement
congolais pour la démocratie (RCD), qui, à lépoque, comptait le
général dissident dans ses rangs. Mais daprès lintéressé, leur
dernier contact, « au téléphone », remonte à 2006. Aujourdhui
retraité, Katebe Katoto préside lUnion des libéraux pour la démocratie (ULD), un parti dopposition sans députés ni sénateurs. Frère aîné de Moïse Katumbi, gouverneur du Katanga, lancien fournisseur en poissons de la Gécamines assure ne pas « mélanger la politique et la famille ».
la connu pour avoir été, en 2003, vice-président du Rassemblement
congolais pour la démocratie (RCD), qui, à lépoque, comptait le
général dissident dans ses rangs. Mais daprès lintéressé, leur
dernier contact, « au téléphone », remonte à 2006. Aujourdhui
retraité, Katebe Katoto préside lUnion des libéraux pour la démocratie (ULD), un parti dopposition sans députés ni sénateurs. Frère aîné de Moïse Katumbi, gouverneur du Katanga, lancien fournisseur en poissons de la Gécamines assure ne pas « mélanger la politique et la famille ».