08.08.09 | LE MONDE | Alain Le Roy : "Les casques bleus ne doivent pas être un substitut à l'action politique"

Vous
avez alerté à plusieurs reprises le Conseil de sécurité sur le manque
de moyens de certaines de vos missions. Êtes-vous submergé par les
demandes ?

 L'ONU est victime du succès d'un grand nombre de
ses opérations récentes et de l'instabilité grandissante. En moins de
dix ans, nous sommes passés de 20 000 à 113 000 casques bleus, déployés
dans quinze missions. On nous demande d'aller où personne d'autre ne
veut aller. Après une telle croissance, il est normal de faire de
l'introspection pour s'assurer que nous avons les capacités de remplir
des missions plus complexes et plus robustes.

Quelles missions vous inquiètent le plus ?
La
République démocratique du Congo (RDC) et le Darfour, une région vaste
comme deux fois la France. Nous n'avons pas toujours les capacités de
faire face. Nous dépendons de la communauté internationale. Quand il y
a une volonté politique forte, comme au Liban, les équipements les plus
performants sont déployés. Mais la plupart de nos forces sont moins
bien équipées. Il est très important, lorsque le Conseil de sécurité
adopte des mandats, qu'il s'assure que nous aurons les capacités
requises.

Les missions qui vous sont confiées sont-elles plus dangereuses ?
Traditionnellement,
l'ONU s'interposait entre des armées, comme sur le Golan ou à Chypre.
Aujourd'hui, nous devons protéger des civils dans des zones de guerre.
C'est très compliqué. Les forces à notre disposition sont entraînées à
faire la guerre, pas à protéger des civils. Comment protéger au mieux
10 millions de personnes, dans les Kivus (Est de la RDC), avec
10 000 casques bleus, au milieu de combats incessants ? Chaque jour
nous inventons de nouvelles méthodes. Par exemple, nous avons remis des
téléphones portables aux chefs de villages pour nous alerter, avec un
temps de réaction de nos troupes de moins de 8 minutes. Nous avons fait
beaucoup de progrès. Et n'oubliez pas que dans la plupart de ses
opérations, l'ONU a protégé des millions de civils et transformé des
millions de vies.

A-t-on parfois trop vite recours aux casques bleus ?

Les opérations de maintien de la paix ne devraient pas être un
substitut à l'action politique. On a parfois le sentiment que c'est le
cas. Les opérations qui réussissent sont pourtant celles qui ont un
soutien politique continu. En RDC, nous sommes un peu seuls. Au
Darfour, le processus de paix est très lent. Heureusement qu'en
Somalie, le Conseil de sécurité n'a finalement pas envoyé une mission
onusienne de maintien de la paix. Cela aurait pu être le même désastre
qu'en 1994. Il aurait fallu une force multinationale, mais personne
n'est candidat…

Êtes-vous affecté par la crise financière ?

Bien sûr. Notre budget dépasse les 7,5 milliards de dollars. Des pays
comme le Japon ou les pays européens, qui financent la majorité de nos
opérations, ont souhaité réduire les coûts. C'est compréhensible. Mais
comme l'a noté le Brésil, notre budget reste modeste face aux 1 400
milliards de dollars annuels que les États dépensent en matière
d'armement. Et une étude de la Cour des comptes américaine a montré que
si les Américains se substituaient à nous, cela coûterait entre 3 fois
et 10 fois plus cher.

Sentez-vous une différence d'attitude depuis que Barack Obama est à Washington ?
Absolument.
Lorsque le secrétaire général de l'ONU l'a rencontré, il a été très
clair dans sa volonté de soutenir l'ONU et nos opérations de maintien
de la paix. Il a jugé notre contribution à la paix et la sécurité
mondiale "inestimable". Ces paroles ont été suivies d'effets.
Malgré la crise financière, il a fait voter par le Congrès le
remboursement de presque tous les arriérés américains dus à nos
opérations de maintien de la paix. Les Américains nous ont aussi dit
qu'ils étaient prêts à nous fournir des équipements, des observateurs
militaires, des policiers ou des officiers. Pour les troupes, cela
prendra plus de temps, compte tenu de leur priorité pour l'Afghanistan.
Mais ils envisagent de le faire.

Les pays occidentaux font-ils
preuve d'hypocrisie en vous confiant des missions toujours plus
complexes mais sans fournir d'hommes ?
I
ls financent la
majeure partie de ces opérations, et donc ils y participent. Et la
France est très présente au Liban. Mais à terme, il faudra mieux
partager le fardeau dans la fourniture de troupes. Les pays les plus
développés doivent revenir en nombre plus significatif dans nos
opérations. Ils ont tous en tête les tragédies des années 1990 ; la
Bosnie, le Rwanda, la Somalie. Et ils veulent s'assurer qu'elles ne se
reproduiront pas.

L'expansion des missions de maintien de la paix va-t-elle continuer ?

Nous ne le souhaitons pas, car cela voudrait dire qu'il y a encore plus
d'instabilité. Mais avec la crise financière, dans certains pays le
risque de troubles sociaux et donc politiques s'accroît. Les autres
grands acteurs sont accaparés dans des conflits comme l'Afghanistan.
C'est donc à l'ONU qu'on risque encore de faire appel.

Propos recueillis par Philippe Bolopion


Nouveaux espoirs de paix dans l'est de la RDC

Les
chefs d'Etat du Rwanda, Paul Kagamé, et de la République démocratique
du Congo (RDC, ex-Zaïre), Joseph Kabila, se sont rencontrés à la
frontière commune entre les deux pays, jeudi 6 août. "Cela aurait dû avoir lieu avant (mais) c'est un premier pas de géant", a fait valoir M. Kabila à la presse.

Ce
rapprochement conforte les espoirs de paix dans l'est de la RDC où les
armées rwandaise et congolaise ont mené au début de l'année, avec le
soutien logistique des casques bleus de l'ONU, des opérations
conjointes contre un groupe rebelle hutu comptant parmi eux des
"génocidaires". Les deux chefs d'Etat doivent se revoir à Kinshasa, la
capitale de la RDC, en octobre ou novembre. – (AFP ; Reuters.)

Article paru dans l'édition du 08.08.09

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