Fonds vautours : l’Afrique riposte ! (Renaud Vivien et Gaspard Denis)


La Facilité africaine de soutien juridique : nouvel
outil à la disposition des Etats « en danger »

La « Facilité
africaine de soutien juridique
 » (en anglais ALSF : African Legal Support
Facility
) désigne le Fonds international initié par le conseiller juridique
général de la BAD, Kalidou Gadio pour fournir l’assistance juridique aux Etats
attaqués par les fonds vautours. Elle a été constituée le 29 juin 2009 à Tunis
après deux ans de consultations et de négociations entre les États membres de la
BAD et les grands cabinets d’avocats de Londres, Paris et New York. Son budget
de départ est de 20 millions de dollars mais il pourrait rapidement monter à 30
millions de dollars.

Ce Fonds interviendra
essentiellement à deux niveaux contre les fonds vautours. En amont, il financera
la mise à disposition de
services juridiques à travers des cabinets d’avocats pour négocier une réduction
du montant de la créance réclamée par les fonds vautours. En cas d’échec des
négociations, il financera, en aval, l’aide juridique au cours des procès
intentés devant les tribunaux et les organes d’arbitrage. Ce financement prendra
la forme de
dons avec un plafond quant
au montant maximum à allouer à chaque pays.

Ce nouveau dispositif
n’est pas exclusivement destiné aux pays africains puisqu’il sera mis à la
disposition de tous les États membres de la BAD (77 au total dont 53 africains)
mais aussi aux pays non-membres qui en feraient la demande comme ceux d’Amérique
latine, victimes également des fonds vautours. Le continent sud-américain fut,
en effet, le premier terrain de chasse de ces « fonds-charognards ». En 1999, le
Pérou a été contraint par la Cour d’appel de New York à payer 58 millions de
dollars au fonds vautour Elliott Associates pour une dette rachetée
seulement à 11 millions de dollars. La même année, une juridiction étasunienne a
condamné le Nicaragua à payer 87 millions de dollars pour une dette rachetée par
le fonds Leucadia à 1,14 milliard de dollars, soit une plus-value de
7500% !

Enfin, la Facilité
africaine de soutien juridique financera une assistance juridique dans le cadre
de négociation de contrats commerciaux entre pays du Sud et transnationales
privées (prêts bancaire, concession minière, pétrolière ou forestière, un
contrat d’infrastructures… ). Dans ce cas, les aides constituent des avances qui
devront être remboursées par les Etats demandeurs selon des modalités qui
tiendront compte de leur situation économique. Ainsi, un pays à revenu
intermédiaire rembourserait 100% de l’avance consentie, alors qu’un pays sortant
de conflit ou un Etat fragile pourrait ne rembourser que 50% de l’avance
reçue.

L’Afrique s’organise
face aux fonds vautours : une nécessité dans un contexte de crise globale et de
future crise de la dette

Dans le contexte actuel de crise
systémique mondiale qui touchera le continent africain encore plus violemment
que les autres, l’initiative
de la BAD mérite d’être saluée. La Facilité africaine de soutien
juridique devrait, en effet, permettre de soulager les pays pris dans les
griffes des fonds vautours en réduisant les montants escomptés par ces derniers.
Dans le meilleur des cas, elle pourrait même aboutir à quelques décisions de
justice leur refusant le titre de créanciers (si les juges décident de
sanctionner des manœuvres de corruption prouvées, par exemple) et ainsi stopper
une longue série de victoires judiciaires remportées par les fonds vautours.

Le dernier exemple en date
opposait la RD Congo à FG Hemisphere, dont le siège se trouve dans l’Etat
américain du Delaware. L’affaire remonte à septembre 2004, date du rachat par ce
fonds vautour d’une créance de 18 millions de dollars envers la SNEL
(l’entreprise publique d’électricité de RD Congo). La dette de la SNEL datait
des années 1980 à l’époque de la dictature de Mobutu. En 2007, la justice
étasunienne oblige la RD Congo à payer 104 millions de dollars. Fort de cette
décision de justice, FG Hémisphère cherche à obtenir la saisie de biens
appartenant à l’Etat congolais pour se faire rembourser les 104 millions de
dollars. En janvier 2009, le tribunal sud-africain l’a finalement autorisé à
saisir pendant les 15 prochaines années les recettes escomptées par la SNEL sur
le courant vendu à l’Afrique du Sud, estimées à 105 millions de dollars.

La Facilité africaine de soutien
juridique est d’autant plus nécessaire qu’elle intervient au moment où une
nouvelle crise de la dette publique du Sud est sur le point d’exploser, comme
conséquence de la crise internationale initiée dans les pays du Nord en 2007. Dans les mois et les années
qui viennent, de nombreux pays vont, en effet, rencontrer de graves problèmes de
remboursement et risquent d’aggraver leur dépendance à l’égard du FMI et de la
Banque mondiale. En juillet 2009, les pays de l’Union économique et monétaire
ouest-africaine se sont d’ailleurs endettés à hauteur de 900 milliards de Francs
CFA (soit 1,3 milliard d’euros) auprès d’institutions multilatérales dont le
FMI rien que pour rembourser les arriérés sur leurs dettes
internes… La domination des IFI, renforcée depuis la première crise de la dette
de 1982 à travers les conditionnalités, risque donc de perdurer en Afrique et
dans les autres pays en développement.

La nouvelle crise de la dette en
gestation est très certainement une aubaine pour les fonds vautours, qui
continueront à racheter pour une bouchée de pain des créances impayées sur les
pays en développement et accroître leurs gains en les attaquant en justice, une
fois que ces pays auront retrouvé un peu d’oxygène financier. En effet, il y a
fort à parier que de nouveaux fonds vautours vont faire surface, tant ce
business de la dette est fructueux. Dans ces conditions, la Facilité africaine
de soutien juridique ne sera certainement pas en mesure de secourir tous les
pays tombés dans l’escarcelle des fonds vautours. Par conséquent, d’autres
mesures doivent être prises pour stopper l’hémorragie et enfin éradiquer ces
prédateurs.

Agir collectivement contre les fonds vautours en adoptant des lois
fermes

La lutte contre les fonds
vautours doit se mener partout, au Sud comme au Nord. Pour être efficace, les
Etats ont intérêt d’adopter immédiatement des lois visant à enrayer leur actions
mortifères. A cet égard, la Belgique, après avoir été elle-même victime d’un
fonds vautours, a ouvert la voie en se
dotant en janvier 2008 d’une loi avec pour article unique une disposition très
forte pour lutter contre les fonds vautours : « Les sommes et les biens
destinés à la coopération internationale belge ainsi que les
sommes et les biens destinés à l’aide publique belge au
développement – autres que ceux relevant de la coopération internationale belge
– sont insaisissables et incessibles
».

Bien évidemment, cette loi ne
concerne que les fonds belges et ne bloque donc que très partiellement l’action
des fonds vautours, qui n’ont qu’à se tourner vers les autres pays pour saisir
d’autres biens au vol. Ce type de loi doit donc être généralisé à l’ensemble des
pays pour être totalement efficace. En effet, les codes de bonne conduite prônés
par les bailleurs de fonds internationaux ne peuvent pas régler la situation.
Dès lors, il est de la responsabilité des législateurs d’adopter des lois qui
luttent contre les pratiques des fonds vautours. Une autre piste intéressante se
trouve en France où une proposition de loi, déposée en septembre 2007, vise à
rejeter toute action judiciaire intentée par un fonds vautours devant les
tribunaux français. Malheureusement, cette
proposition législative n’est toujours pas à l’ordre du jour de l’Assemblée
nationale.

Enfin, les Etats-Unis et le
Royaume-Uni nous fournissent un dernier exemple d’initiative législative
possible contre les fonds vautours, puisque deux propositions sont actuellement
entre les mains du législateur, l’une aux Etats-Unis et l’autre au Royaume-uni. Le fait que ces deux Etats
prennent enfin des mesures est très important pour plusieurs raisons : les fonds
vautours utilisent exclusivement le droit anglo-saxon pour fonder leurs
réclamations, saisissent très majoritairement les organes judiciaires et
arbitrales situés dans ces pays et nombre d’entre eux sont basés sur leurs
territoires (Debt Advisory International, Elliott Associates L.P, FG Hemisphere,
Kensington International…). Toutefois, la portée de
ces deux textes de loi est malheureusement très limitée, puisqu’ils se
contentent de réduire le montant des réclamations et ne concernent qu’un nombre
très limité de pays décidés par la Banque mondiale.

Par ailleurs, la soudaine
empathie des Etats-Unis et du Royaume-Uni à l’égard des pays du Sud victimes de
fonds vautours ne doit pas nous faire oublier qu’ils participent, d’une part, à
la bonne marche des affaires de ces fonds d’investissement puisqu’ils leur
offrent discrétion et avantages fiscaux à travers les paradis fiscaux qu’ils
abritent. D’autre part, ces deux Etats exigent, aux côtés des autres riches
créanciers, le remboursement annuel du service de la dette externe, obligeant
ainsi les pays du Sud à sacrifier les budgets sociaux. A titre d’exemple, le
Liban consacrait, en 2005, 52% de son budget au remboursement du service de la
dette contre seulement 23,1% pour l’éducation et la santé ! Au sein des IFI, ils
imposent également aux pays du Sud mais aussi d’Europe de l’est des
conditionnalités qui violent les droits humains fondamentaux. Sous la pression
du FMI, la Lettonie a imposé en janvier 2009 une baisse de 15% des revenus des
fonctionnaires, la Hongrie leur a supprimé le 13e mois (après avoir réduit les
retraites dans le cadre d’un accord antérieur). Autre continent, même
recette : l’accord Stand by conclu entre le FMI et le Pakistan en
novembre 2008 impose notamment la fin des subsides pour le combustible et
l’électricité, la poursuite des privatisations et des coupes dans les dépenses
sociales. La liste des pays soumis à ces conditionnalités est encore longue…Face
à l’hypocrisie des grands argentiers du monde, les pays du Sud ont tout intérêt
de prendre immédiatement les devants et récupérer leur souveraineté en
soumettant les litiges avec les fonds vautours à leurs juridictions nationales,
conformément à la doctrine Calvo.

Réhabiliter la doctrine Calvo
pour pallier à l’absence de juridiction supra-nationale sur la dette
externe

Les
fonds vautours tiennent leur victoire de l’application du droit anglo-saxon très
favorable aux créanciers, qui régit la majorité des contrats de prêts
internationaux. Ces contrats contiennent des clauses dangereuses pour les pays
débiteurs : la cession de la créance est totalement libre par le créancier, le
droit applicable en cas de litige est le droit anglo-saxon qui ne tient pas
compte des circonstances externes au contrat de prêt; les tribunaux compétents
sont situés aux États-Unis ou au Royaume-Uni; la levée d’immunité (sur les biens
de l’État emprunteur ou garant) en cas d’impayés est
prévue…

Le juge ou l’arbitre saisi par un fonds vautours est
donc obligé d’appliquer le droit anglo-saxon sans prendre en compte les
principes généraux du droit international (l’équité, l’abus, la bonne foi….).
Face à cette situation où le droit commercial prévaut et où l’obligation de
rembourser une dette est considérée comme absolue, la création d’un tribunal
international sur la dette appliquant les normes du droit international public
(contenues dans l’article 38 du statut de la Cour Internationale de Justice)
constituerait une réelle entrave à l’action des fonds vautours. Mais en
attendant la création d’une telle juridiction, les pays du tiers-monde devraient
se saisir de la doctrine Calvo
pour confier les litiges sur la dette publique extérieure à leurs tribunaux
nationaux.
Selon
cette doctrine, tous
les biens, corporels,
incorporels, matériels et immatériels, sont soumis à la loi de l’Etat souverain
et en cas de différends, ce sont les tribunaux nationaux qui sont compétents.
C’est ce qu’à fait l’Argentine en 2000 avec la sentence Olmos
, qui a déclaré l’illégalité des dettes contractées par
la junte militaire. Le droit d’auditer la dette publique et de la répudier est
également une compétence souveraine des Etats.

L’audit de la dette : une outil à la
disposition des Etats pour remettre en cause les créances des fonds vautours

La
plupart des contrats de prêt léonins, sur lesquels se basent les fonds vautours
pour agir en justice, ont été signés sous des dictatures. C’est le cas par
exemple de la dette de la République Démocratique du Congo (RDC) à
l’égard du fonds FG Hemisphere. La RDC aurait donc
pu invoquer la doctrine de la dette odieuse pour remettre en cause la
légalité de la dette réclamée par le fonds vautour. Il en va de même pour la
Zambie par rapport à la dette réclamée en 2007 par le fonds Donegal
International .

Plus généralement, les
pays en développement pourraient réaliser l’audit de toutes leur dettes
publiques, comme l’a fait l’Equateur en 2007-2008, afin d’identifier et déclarer
nulles toutes les dettes illicites. La répudiation est, rappelons-le, un acte
unilatéral reconnu en droit international qui ramènerait un peu de
justice face au pillage des ressources du tiers-monde.

Gaspard Denis (CNCD) et
Renaud Vivien (CADTM) sont les coauteurs du rapport de la plateforme Dette et
développement et du CNCD-11.11.11, intitulé Un vautour peut en cacher un
autre : ou comment nos lois encouragent les prédateurs des pays pauvres
endettés
, juin 2009. Les autres auteurs sont Jean Merckaert et Yvanne
Thobie (CCFD-Terre Solidaire) et Marie Yared (World Vision France).

Lire l’intégralité de rapport sur http://www.cncd.be/IMG/pdf/RAPPORT_FONDS_VAUTOURS_2009.pdf

Si le rapport 2008 du FMI sur
l’initiative PPTE avance le chiffre de 1,168 milliard de dollars, l’édition de
2006 du même rapport évoquait un montant proche de 2 milliards de dollars.

Ibid

Page 15 du Rapport de la
Plateforme française Dette et développement et du CNCD (Centre
national de coopération au développement) intitulé Un vautour peut en cacher
un autre : ou comment nos lois encouragent les prédateurs des pays pauvres
endettés
, juin 2009

« Afrique : Un continent
touché plus que d’autres par la crise financière » http://www.dia-afrique.org/suite.php?newsid=12031

Kensington
International, filiale du fonds vautour Elliott Associates, a pu faire saisir à
deux reprises
près de 12
millions d’euros issus de la coopération belge au développement au
Congo-Brazzaville.

www.senate.be (doc. nº 4-482/4)

 ASSEMBLÉE NATIONALE, août 2007, "Proposition de loi
visant à lutter contre l'action des fonds financiers dits 'fonds vautours
'",
N°131.
"Il ne peut être
prononcé aucune condamnation ni donné aucun effet en France à un jugement
étranger
 prononcé contre un débiteur … lorsqu'il
apparaît au vu des circonstances que l'acquisition de la créance procède d'une
spéculation sur les procédures susceptibles d'être intentées contre le cédé et
les tiers et non sur la valeur de marché de la créance et son
évolution

Page 8 du Rapport de la Plateforme française Dette et
développement et du CNCD (Centre national de coopération au développement)
intitulé Un vautour peut en cacher un autre : ou comment nos lois encouragent
les prédateurs des pays pauvres endettés , juin 2009

A noter que dans le cas de la proposition de loi déposée
aux Etats-Unis, il appartiendra en dernier ressort au Trésor des Etats-Unis de
dresser la liste des Etats pouvant bénéficier des dispositions de la loi http://www.jubileeusa.org/vulturefunds/leavebehindpacket.html

Cette
doctrine de droit international, établie en 1863 par le juriste et
diplomate argentin Carlos Calvo, prévoit que les personnes physiques ou morales
étrangères doivent se soumettre à la juridiction des tribunaux locaux pour les
empêcher d’avoir recours aux pressions diplomatiques de leur Etat ou
gouvernement. Cette doctrine s'est matérialisée dans du droit positif, par
exemple la résolution 1803 sur les ressources naturelles de 1962
(souveraineté permanente sur les ressources naturelles) ou encore dans la
Charte des droits et devoirs économiques des États de
1974.

Alexander Sack, 1927 Les
Effets des Transformations des Etats sur leurs dettes publiques et autres
obligations financières
 . « Si un pouvoir despotique contracte une dette
non pas pour les besoins et dans les intérêts de l’État, mais pour fortifier son
régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, etc., cette dette
est odieuse pour la population de l’Etat entier (…). Cette dette n’est pas
obligatoire pour la nation ; c’est une dette de régime, dette personnelle du
pouvoir qui l’a contractée, par conséquent elle tombe avec la chute de ce
pouvoir
 »

Page 18 du Rapport de la
Plateforme française Dette et développement et du CNCD (Centre
national de coopération au développement) intitulé Un vautour peut en cacher
un autre : ou comment nos lois encouragent les prédateurs des pays pauvres
endettés
, juin 2009

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