MIJI d'Emilie Flore Faignond, membre d'AFEDE


le 17/08/2009 – 10:26
par Maddy

"Maddy"

"MIJI.jpg"

Il est susceptible de réveiller bien de résonances enfouies au plus
profond du lecteur pour peu qu'il ait une connaissance de langues
congolaises.

L'intitulé – " Miji " que je traduis par " racines " – sans nul doute est programmatique.

Il évoque l'enracinement et laisse entrevoir en filigrane le déracinement.

Je
le comprends pour ma part à plusieurs niveaux ; je lui prête de ce fait
plusieurs significations. Il s'agit de prendre racine dans et par la
parole, et plus spécifiquement par l'écriture.

Cette écriture est sous-tendue par la volonté d'échapper à l'éphémère.
Méandres de la vie et de l'écriture ne font plus qu'un. Tout au moins,
c'est le but à atteindre.

" Miji " (au singulier " Muji ") mot emprunté à la langue luba, celle
de la grand-mère maternelle de l'auteur(e), renvoie à la sphère de
langues congolaises, dans une filiation linguistique et culturelle
qu'il convient de souligner, pour une meilleure compréhension du propos
de la poétesse Emilie Flore Flore Faignond.

C'est à une quête que le texte donne le branle : elle en est le point de départ et le but ultime.

Toutefois
" Miji " résonne comme l'aveu d'un manque. D'une perte de repères et
d'une dilution redoutée de pans entiers de la mémoire. Le livre tout
entier est comme une invitation à combler ce manque afin que
l'équilibre advienne et que chacun puisse baliser son chemin vers ses
racines.

Ce sera une investigation dans le passé mais sans passéisme. Une investigation davantage qu'une mythification.

Déjà dans son recueil poétique " Méandres " et dans son précédent récit
autobiographique " Afin que tu te souviennes ", notre auteur avait
abordé avec brio la question des mémoires multiples qui
s'entrechoquent, du panachage de cultures, qu'elle a reçues en héritage.

Son je éminemment subjectif lui permet de défricher des terreaux de
souvenirs sur lesquels pèse le silence des tabous, de fouiller dans les
recoins les plus intimes de sa vie de femme.

Si elle tire son inspiration du terreau biographique, Emilie Flore Faignond y apporte une dimension supplémentaire : la poésie.

Et bien davantage !

Cependant, elle s'adonne à une description très précise du contexte
historique, culturelle et sociologique où elle a tracé sa trajectoire
de vie avec ses étapes successives, ses figures marquantes, ses drames
et ses espoirs.

C'est ainsi que son je personnel transcende sans cesse l'univers
individuel pour témoigner de heurs et malheurs de l'Afrique centrale,
qu'elle aborde à l'aune de son expérience, comme un tout. Mais quel
tout ?

Un puzzle dont la restitution s'avère quasi impossible mais à laquelle, elle se consacre à la manière de Pénélope.

Elle revient dans ses moindres détails sur sa vie de jeune femme
mariée, laquelle a pour cadre le Zaïre de Mobutu. Elle en décline les
joies comme les aménités en faisant montre d'une mémoire fabuleuse, en
explore les coulisses, en décrit des aspects inattendus, en dévoile les
mœurs, enfilant des anecdotes pimentées sans passer sous silence les
côtés moins reluisants d'un homme hissé au rang de mythe. Le colonel
Mobutu s'attira tout d'abord la sympathie de son peuple désireux de
liquider les symboles coloniaux, avant de se muer en repoussoir, aux
yeux de son peuple qui l'avait naguère idolâtré.

Les ressources de l'humour donnent à ce retour sur le passé
une saveur et une valeur cathartique qui ne sont pas à minorer.
Et du reste certains épisodes, saisis sur le vif par notre auteur de la
folie mobutienne ne confortent-ils pas l'adage qui veut que la réalité,
à bien d'égards, dépasse la fiction ?

Toutefois l'auteur avec subtilité évite les jugements à l'emporte-pièce
: sa relecture du passé à travers la veine mémorialiste permet de
transcender l'autobiographique pour inscrire un destin de femme dans
une histoire qui aura laissé des marques dans son âme et dans sa chair.

C'est un signalé service rendu aux générations actuelles et celles à
venir qui pourront ainsi ; munis de clés, revisiter le monde bantou
d'hier, confronté à des valeurs et à des normes imposées de l'extérieur.

Ils pourront à bon escient se pencher sur ceux qu'on nomme
ordinairement les anonymes de l'histoire. Ils seront portés à les
apprécier non en fonction de leur " race " ou de leur statut sur
l'échiquier social, mais à l'aune des actes qu'ils auront posé afin
d'affirmer leurs valeurs personnelles, d'assumer avec courage des choix
qui vont à l'encontre des idées reçues.

En épousant une fille de Luebo, la grand-mère de l'auteur, son
grand-père, appartenant au microcosme des coloniaux, sortait à sa
manière du moule dans une colonie belge aux démarcations pigmentaires
bien nettes.

Douée d'une mémoire stupéfiante dont elle a livré en partie le secret
dans " Afin que tu te souviennes ", Flore s'avère une mémorialiste
lucide.

Depuis sa plus tendre jeunesse, n'a t'elle pas pris le pli de consigner
son vécu dans des carnets intimes. La mémorialiste s'est sustentée plus
qu'à son tour de leur contenu. Mais ce n'est là qu'une explication de
sa mémoire phénoménale.

Cependant par-delà son vécu, Emilie Flore Faignond a créé une véritable galerie de personnages aussi riche que contrastée.

De cette comédie humaine se détache, entre autres, Lucas l'ex mari.
C'est un type, un caractère au sens très précis que La bruyère donne à
ce terme et qu'on retrouve dans l'anglais character. C'est une créature
fictionnelle à part entière. C'est le mâle par excellence, le coq de
tropiques avec son essaim de poules, le macho impénitent qui sévit sur
les deux rives du Congo, le père d'une tribu innombrable d'enfants dont
il n'a cure, le tombeur insatiable de vierges, le briseur de cœurs
multirécidiviste, l'éternel play-boy acclamé par sa cour de
lèche-bottes et des béni-oui-oui. Il inspire à l'auteur moult
expressions et images inspirées ; il est en effet : " l'homme géniteur
" ; le père irresponsable à " l'amour paternel écliptique " ou encore "
l'aristocrate sans un zeste d'aristocratie ".

L'auteur met en citation des mélodies en lingala, parler " aux
inflexions chantantes et aux paroles imagées ", tirées du répertoire de
la rumba congolaise ; c'est le signe de son enracinement dans une
culture avec ses valeurs spécifiques qu'elle se plaît à magnifier : la
vie communautaire, antidote de l'individualisme à l'occidental avec ses
dérives ; c'est ce qu'elle nomme " boboto ya Afrika ". Elle revendique
l'Afrique comme étant " la quintessence de son être ", la part
inaliénable d'elle-même. Le voyage au Congo (alors Zaïre), " pays de
quatre saisons ", en compagnie de Jean-Claude, son deuxième mari et de
ses enfants constitue un véritable retour aux sources qu'elle narre
d'une plume affriolante.

Ce retour sur les lieux de son enfance, sur les traces d'un passé au
visage balafré mais qui survit par-delà " les frontières de la mort "
est tout imprégné du souvenir de la grand-mère Bajana (koko Bajana),
des images grandioses du fleuve Congo aux rives magiques :

" Le fleuve est la plus belle création du Bon Dieu sur notre
terre congolaise. Il est là depuis la nuit des temps. Il est notre
mémoire, notre passé, notre avenir. "

Cette tirade de l'aïeule qui hante Flore, revenue " sous le
firmament de Kinshasa ", est un maillon vivace d'une chaîne
générationnelle dont l'écriture constitue un prolongement.

Cette mémoire est liée aussi à des lieux, à des espaces et même à des
arbres. Comme ce manguier planté dans la parcelle de feue Bajana,
véritable défi à l'oubli.

Le style est délié et donne parfois l'impression -fausse- d'une déconcertante facilité.

La
plume de Flore Faignond sait rendre les reflets mordorés d'un coucher
de soleil sous les tropiques. Sa parole, bercée par le flux pérenne du
fleuve, prend par moments les allures d'une véritable palabre avec sa
trame bruissant de mots et d'accents du cru, tissage de détails, à
première vue futiles. C'est sous le signe du manguier planté dans la
parcelle de sa grand-mère que se déroule le récit si riche et si
évocateur. Nul hasard à cela, ce n'est pas la vengeance ou même la
volonté d'en découdre qui motive l'auteur ; ni la haine de ceux qui
l'ont blessé dans son cœur et dans sa chair.

Sa démarche se veut une contribution à l'érection d'une société qui
tout en se réclamant de ses racines est ouverture à l'autre. Sur le
chemin qui conduit vers l'autre, vers tous les autres, " Miji " est un
signe de connivence et non un label forgé sur l'enclume de l'exclusion.

C'est le refus de la tentation des ghettos identitaires et des
manichéismes fallacieux qui ont alimenté tant des conflits en Afrique
centrale et ailleurs.

C'est une contribution insigne à la mémoire collective d'autant plus
remarquable qu'elle se nourrit des symboles qui ont traversés les temps
malgré les bourrasques de l'histoire : l'arbre comme point névralgique
de la société, lieu de paroles réparatrices et de la reconnaissance de
chacun. Mais il y a t-il d'arbre sans racines ?

Autobiographie ou littérature ? Poser la question en ces termes paraît
peu judicieux dans la mesure où la littérature ne réfute pas en
principe l'autobiographie.

La prose de Faignond est celle d'un poète ; ceux ou celles qui ont lu
les poèmes de " Méandres " ne pourront que se réjouir de retrouver ici
sa fluidité, son goût des images et son phrasé vibrant, ses épithètes
finement choisis, avec en prime des touches d'humour.

Quel plus beau pied de nez au désespoir de " la noiraude " mal aimée
d'une mère victime des mirages de la société coloniale, de la candide
livrée au lépidoptère de la savane, femme trompée, revenue de tout !

Antoine Tshitungu Kongolo

Docteur ès lettres

Où trouver cet ouvrage :

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