25.08.09 W. Bern : Plus les sociétés deviennent inégalitaires, plus elles sont attachées à la diversité
Marianne2.fr : Pour
vous, le débat sur la diversité masque l'accroissement des inégalités
économiques?
Walter Benn
Michaels : Oui. Au cours des 30
dernières années, les pays comme la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le
Canada sont devenus de plus en plus inégalitaires, économiquement parlant. Et
plus ils sont devenus inégalitaires, plus ils se sont attachés à la diversité.
C'est comme si tout le monde avait senti que le fossé grandissant entre les
riches et les pauvres était acceptable du moment qu'une partie des riches sont
issus des minorités.
Vous considérez qu'il s'agit d'un écran de fumé
et qu'il est délibérément mis en place. Pourquoi et par qui?
Non, il n'y a pas
de complot ici. Je pense que les gens se sont de plus en plus attachés à un
modèle libéral de justice, dans lequel la discrimination — racisme, sexisme,
homophobie, etc. — est le pire de tous les maux. Si ça marche, c'est à la fois
parce que c'est vrai — la discrimination est évidemment une mauvaise chose — et
parce que ça ne mange pas de pain— le capitalisme n'a pas besoin de la
discrimination. Ce dont le capitalisme a besoin, c'est de l'exploitation.
Vous expliquez que la diversité ne réduit pas les inégalités, mais
permet seulement de les gérer. Que voulez-vous dire?
Eh bien, il est
évident que la diversité ne réduit pas les inégalités économiques. Si vous
prenez les 10% de gens les plus riches (ceux qui ont en fait tiré le plus de
bénéfices de l'explosion néolibérale des inégalités) et que vous vous assurez
qu'une proportion correcte d'entre eux sont noirs, musulmans, femmes ou gays,
vous n'avez pas généré plus d'égalité sociale. Vous avez juste créé une société
dans laquelle ceux qui tirent avantage des inégalités ne sont pas tous de la
même couleur ou du même sexe.
Les avantages en termes de gouvernance
sont assez évidents, eux aussi. L'objectif du néolibéralisme, c'est un monde où
les riches peuvent regarder les pauvres et leur affirmer (à raison) que personne
n'est victime de discrimination, leur affirmer (tout autant à raison) que leurs
identités sont respectées. Il ne s'agit pas, bien sûr, de les rendre moins
pauvres, mais de leur faire sentir que leur pauvreté n'est pas injuste.
Vous allez même plus loin puisque vous expliquez que le combat pour
la diversité a partie liée avec une logique néolibérale. Pourtant il a existé
des convergences, que vous évoquez dans le livre, entre luttes économiques et
revendications portées par des minorités. Pourquoi ces convergences ont-elles
disparu aujourd'hui?
La
convergence que vous évoquez entre la lutte contre la discrimination et le
combat contre l'exploitation n'était qu'une convergence temporaire. Ainsi, par
exemple, aux Etats-Unis, les Noirs radicaux se sont battus à la fois contre le
racisme et le capitalisme. Des gens comme le Black Panther Bobby Seale
ont toujours estimé qu'on ne peut pas combattre le capitalisme par le
capitalisme noir, mais par le socialisme. Mais avec l'ère du marché triomphant
débutée sous Reagan et Thatcher, l'antiracisme s'est déconnecté de
l'anticapitalisme et la célébration de la diversité a commencé. Bien entendu, il
n'y a rien d'anticapitaliste dans la diversité. Au contraire, tous les PDG
américains ont déjà eu l'occasion de vérifier ce que le patron de Pepsi a
déclaré dans le New York Times il y a peu: « La diversité permet à
notre entreprise d'enrichir les actionnaires ».
De fait,
l'antiracisme est devenu essentiel au capitalisme contemporain. Imaginez que
vous cherchiez quelqu'un pour prendre la tête du service des ventes de votre
entreprise et que vous deviez choisir entre un hétéro blanc et une lesbienne
noire. Imaginez aussi que la lesbienne noire est plus compétente que l'hétéro
blanc. Eh bien le racisme, le sexisme et l'homophobie vous souffleront de
choisir l'hétéro blanc tandis que le capitalisme vous dictera de prendre la
femme noire. Tout cela pour vous dire que même si certains capitalistes peuvent
être racistes, sexistes et homophobes, le capitalisme lui-même ne l'est pas. Si
dans les années 60 les Black Panthers pensaient qu'on ne pouvait pas combattre
le capitalisme par le capitalisme noir, aujourd'hui, dans la crise économique
actuelle, des gens comme Yazid Sabeg espèrent qu'on peut sauver le capitalisme
grâce au capitalisme « black-blanc-beur ».
Vous ne semblez pas
être un fervent partisan de la politique de discrimination positive telle
qu'elle est menée actuellement aux Etats-Unis. Que préconiseriez-vous afin de
rendre moins inégalitaire le système éducatif américain ?
Ces quarante
dernières années, les étudiants des universités américaines ont changé, et de
deux façons. Premièrement, ils se sont beaucoup diversifiés. Deuxièmement, ils
sont toujours plus riches. Cela signifie qu'alors que les universités
américaines se sont autoproclamées de plus en plus ouvertes (à la diversité),
elles se sont en réalité de plus en plus fermées. Ça ne veut pas seulement dire
que les jeunes issus de milieux modestes ont du mal à payer leur scolarité, ça
signifie aussi qu'ils ont reçu un enseignement si bas de gamme dans le primaire
et le secondaire qu'ils n'arrivent pas à passer les examens d'entrée à
l'université.
Donc, la première chose à faire lorsqu'on décide de mettre
en place une politique de discrimination positive, c'est de le faire par classes
et non par races. La seconde — mais de loin la plus importante — chose à faire
serait de commencer à réduire les inégalités du système éducatif américain dès
le primaire. Tant que ça ne sera pas fait, les meilleurs universités américaines
continueront à être réservées aux enfants de l'élite comme le sont, pour
l'essentiel, les meilleures grandes écoles françaises. Même si, bien sûr, vos
grandes écoles ainsi que vos universités les plus sélectives, puisqu'elles sont
gratuites ou bien moins chères que leurs homologues américaines, apportent un
avantage supplémentaire aux riches — c'est une redistribution des richesses,
mais à lenvers.
Barack Obama est présenté, en France, comme un
produit de la discrimination positive. Comment interprétez-vous sa victoire
électorale et l'engouement qu'elle a pu susciter ?
Sa victoire, c'est
le triomphe totale de l'idéologie néolibérale aux Etats-Unis, le triomphe de la
diversité et en même temps celui des marchés. Ce n'est pas un hasard si des
économistes démocrates conservateurs comme Larry Summers ou Tim Geithner sont
ses conseillers les plus proches. Si ce que vous voulez, c'est sauver le système
économique néolibéral de la crise, c'est une bonne chose. Nous savons tous que
l'administration Bush était trop distraite par ses lubies impérialistes du XXe
siècle pour s'apercevoir que Wall Street avait plus besoin d'aide que l'Irak.
Obama ne fera pas cette erreur. Mais si vous voulez que le système change
fondamentalement, ne comptez pas sur les Démocrates. Du point de vue de la
justice économique, Obama, c'est juste un Sarkozy noir. Bien sûr, ce n'est pas
un problème pour Sarkozy, mais c'est un problème pour tous les gens qui se
disent de gauche, qui aiment Obama et pensent que l'engagement dans la diversité
dont il est le produit va également produire une société plus égalitaire.
Le thème central de La diversité contre l'égalité, c'est qu'ils
se trompent ; la diversité est au service du néolibéralisme, et non son ennemie.
Ce n'est pas une adresse à Sarkozy — il sait déjà qu'une élite diversifiée est
une élite plus heureuse, plus autosatisfaite. Cela s'adresse à la gauche, à ceux
qui préfèrent s'opposer au néolibéralisme, plutôt que l'améliorer.
Source : Marianne2.fr (le
titre et le chapo ont été rédigés par la rédaction de l'Observatoire du
communautarisme)
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4ème de couverture
:
A la télévision comme dans les entreprises, au Parti socialiste
comme à l'Elysée, à Sciences Po comme à l'armée résonne un nouveau mot d'ordre:
Vive la diversité ! Avec l'élection de Barack Obama, le bruissement s'est changé
en clameur. Désormais, chacun devrait se mobiliser pour que les femmes et les
"minorités visibles" occupent la place qui Leur revient au sein des élites. Mais
une société dont les classes dirigeantes reflètent la diversité a-t-elle
vraiment progressé sur le chemin de la justice sociale ? A cette question jamais
posée, Walter Benn Michaels répond par la négative. La promotion incessante de
la diversité et la célébration des " identités culturelles " permettent au
mieux, selon lui, de diversifier la couleur de peau et le sexe des maîtres. Sans
remettre en cause la domination qui traverse toutes les autres : celle des
riches sur les pauvres. A l'aide d'exemples tirés de la littérature, de
l'histoire et de l'actualité, ce livre montre comment la question sociale se
trouve désamorcée lorsqu'elle est reformulée en termes ethnico-culturels. Plus
fondamentalement, il s'interroge sur l'objectif d'une politique de gauche:
s'agit-il de répartir les inégalités sans discrimination d'origine et de sexe,
ou de les supprimer ?
Biographie de l'auteur
:
Walter Benn Michaels est professeur de Littérature à l'université
de l'Illinois à Chicago.