28.08.09 Congo1: Tintin au Congo
Congoone : Vous venez de soumettre à la réflexion
de la société Moulinsart et de différentes autorités politiques belges, un
texte qui sinscrit dans la perspective du rebondissement de laffaire
« Tintin au Congo » afin dattirer une fois de plus lattention sur
la nécessité de retirer du commerce et des bibliothèques cette bande dessinée
« raciste ». Pourriez-vous donner au lecteur loccasion den faire la
lecture en le mettant à la disposition de Congoone ?
Kalamba Nsapo : Bien sûr. Voici la substance du texte :
Limage
du Noir dans laventure de Tintin au Congo
Tintin
au Congo est peut-être
lune des littératures belges qui ont le plus marqué les esprits, du moins des
plus jeunes. Il sagit dun album de bande dessinée qui illustre la suprématie
naturelle du blanc et de son chien sur le noir (et ses bestiaux) réduit au
statut déternel enfant par lintelligence du leucoderme. On y retrouve le
mythe du bon sauvage cher à Montesquieu.
En Tintin et par Milou,
Hergé développe lidée de prise en charge du noir par le blanc, laissant
sous-entendre quun nègre na pas (encore) toutes les qualités requises pour
être un homme.
Ce nest pas dans les archives
quon trouve Tintin au Congo, mais dans la vie de tous les jours, dans
les librairies et les kiosques, dans les bibliothèques communales et autres. A
lheure où le Congo a du mal à se relever de ses chutes multiformes, cette
bande dessinée est donc susceptible de marquer aujourdhui limaginaire de
personnes (jeunes ou adultes) qui en font la lecture. Ainsi se trouve
sacrifiée – de lune ou de lautre façon – lhégémonie de lhomme blanc devant
nimporte quel Congolais. Ainsi paraît-il normal au Congolais de développer des
réflexes de subordination, de se reconnaître inférieur et de savouer incapable
à légard de tout civilisateur en route, tel un Tintin du XXIè siècle, vers les
terres obscures dont les gisements intéressent tout le monde.
Dès
lors, la tâche est rendue facile à ceux et celles qui aimeraient assurer le
contrôle de la pensée dun citoyen congolais. Comme le souligne à juste titre
Woodson, ‘‘si vous contrôlez la pensée dun individu, vous navez pas besoin de
vous inquiéter de ses actions. Lorsque vous déterminez la façon de penser dun
individu, vous navez pas besoin de vous préoccuper de ce quil fera. Si vous
parvenez à lui donner un complexe dinfériorité, vous naurez pas à le forcer à
accepter une position inférieure, car il recherchera cette position pour
lui-même. Si vous le convainquez quil est à juste raison subordonné, vous
navez pas besoin dexiger de lui quil passe par la porte de derrière. Il
passera par cette porte sans quon le lui demande; et sil ny a pas de porte
de derrière, sa nature même en exigera une.” (Woodson, C. G., The Mis-Education of
the Negro.
1933, p. 84-85).
Dans ce contexte, il faut agir si
lon veut construire un monde meilleur à habiter. Il importe de déformater
limaginaire des enfants, des jeunes et des adultes dont les comportements sont
manufacturés selon le modèle dominant. Il convient de développer toute la
dynamique de léloge de soi mise à mal par une bande raciste. Le futur du
projet interculturel est à ce prix.
Il nest pas possible de le promouvoir au moyen dun
matraquage et dun formatage des esprits quon ne cesse de nourrir au biberon
de Tintin au Congo sous prétexte que lhumanité serait devenue une seule famille globale et
indifférenciée (le racisme cest dépassé, cest du passé, les enjeux de
lhumanité sont autres). Cet album doit être retiré du commerce, des
bibliothèques et dautres lieux publics. Cest de cette façon quon peut
sinscrire dans la perspective dune véritable lutte contre le racisme et dun
engagement ferme susceptible de déboucher sur linterdiction de la consommation
de tout ce qui fait de lautre un sous-homme et entame lavenir de
linterculturalité.
Signataires :
– Dr Kalamba Nsapo : porte-parole (Belgique) (GSM : 0484 0620 43)
– Philippe Omotunde (Guadeloupe)
– Mezepo Salomon (France)
– Dr Bilolo Mubabinge (Allemagne)
–
Prof. Dr Ama Mazama (
– Prof. Dr Molefi Asante (USA)
– Jean-dadou Monya (Suède)
– Doumbi Fakoly (France)
– Serge Diantantu (France)
Congoone : Ne risquez-vous pas de vous retrouver
seul au moment où le dossier va probablement être classé dans les
tiroirs ?
Kalamba Nsapo : Faux. Nous ne sommes pas seuls à mener un combat contre lhumiliation
du peuple congolais. Nous avons des alliés connus ou inconnus qui sont engagés
dans la lutte contre le racisme. Une librairie américaine vient de mettre sous
clé laventure « Tintin au Congo ». Tous ceux qui travaillent à la
destruction de la discrimination raciale sont avec nous. Les militants des
droits de lhomme, les martyres de lindépendance nationale, continentale et
intercontinentale nous entourent de leur soutien. Les ancêtres africains sont
avec nous… Sha-Ntu nous guide et veille sur nous.
Congoone : Resurgit
aujourdhui la question du contexte historique de « Tintin au
Congo ». On vous reproche de ne pas en tenir compte. Quen
pensez-vous ?
Kalamba
Nsapo : Le contexte historique auquel on fait allusion est
un contexte inacceptable. Il ny a jamais eu un contexte dans le monde qui
cautionne linjure et lannihilation de lautre. Jamais un postulat colonial ou
néo-colonial na été considéré comme étant quelque chose dacceptable. De quel
contexte parle-t-on ? Le contexte du « tout est permis » ?
Permis par qui ? Pourquoi ne peut-on pas soutenir que le nationalisme
congolais de lépoque et la résistance manifeste ici et là, font aussi partie
dun contexte dont il faut tenir compte ?
Conscient de limpact dune littérature réductrice
sur la psychologie humaine, on devrait aussi prendre en compte le contexte
actuel des droits de lhomme et de linterculturalité dans une société
multiculturelle. On devrait cesser de populariser une bande dessinée raciste. Pourquoi
ne le fait-on pas ?
Congoone : On vous demande
si vous savez qu'il existe d'autres écrits racistes. Alors on nen finira pas
dattaquer tout cela.
Kalamba
Nsapo : Dans les
pays dits du Nord, on nen finira pas de
lutter contre la corruption dont les formes sont variées. Nest-ce pas ? Tout
le monde encourage la lutte contre la fraude et linjustice. A ce propos, on ne
dit pas que cest trop de zèle inutile et ridicule.
Ceci dit, nous savons qu'il y a dautres textes
racistes sur le marché. Mais le cas de « Tintin au Congo » est pour
nous illustratif de tout ce à
quoi on doit sen prendre dans la mesure où le racisme refait surface. Aucun
cas dinhumanité ne peut être épargné. Mais nous ne pouvons pas tout faire.
Nous devons nous partager les tâches. Quon cesse dempêcher la conscience
congolaise de se rebeller contre linsupportable infligé à un peuple castré et
traumatisé par tant dannées de colonisation et de dictature. Quon ne profite
pas des problèmes alimentaires du Congolais en exil pour handicaper tout un
travail de mémoire qui simpose.
Congoone : Certains Congolais se
moquent de vous. Comment réagissez-vous ?
Kalamba Nsapo : Mieux vaut laisser parler le psychologue martiniquais
Frantz Fanon dans « Peau noire et masque blanc » dont lactualité ne
fait, à notre avis, lombre daucun doute.
« Il y a une constellation de données, une
série de propositions qui, lentement, sournoisement, à la faveur des écrits,
des journaux, de léducation, des livres scolaires, des affiches, du cinéma, de
la radio, pénètrent un individu en constituant la vision du monde de la collectivité
à laquelle il appartient.
Aux Antilles, cette vision du monde est blanche parce quaucune
expression noire nexiste (…).
Un européen, par exemple, au courant des manifestations poétiques
noires actuelles, serait étonné dapprendre que jusquen 1940 aucun antillais
nétait capable de se penser nègre. Cest seulement avec lapparition dAimé
Césaire quon a pu voir naître une revendication, une assomption de la
négritude (…) Quand les nègres abordent le monde blanc, il y a une certaine
action sensibilisante.
Si la structure psychique se révèle fragile, on assiste à un
écroulement du Moi. Le noir cesse de se comporter en individu actionnel. Le but
de son action sera autrui (sous la forme du blanc), car autrui seul peut le
valoriser ».
Et il faut que le
"Moi nègre" soit très solide pour résister à la pression :
« Nous conseillons lexpérience suivante à
ceux qui ne seraient pas convaincus : assister à la projection dun film
de Tarzan aux Antilles et en Europe. Aux Antilles, le jeune noir sidentifie de
facto à Tarzan contre les nègres." (cf. Africamaat).
Nous aborderons toutes ces questions au
colloque du CERDA au début du mois d'octobre 2009. Nous voudrions qu'il y ait alors
un débat de fond, sans complaisance. Car le moment est venu de montrer au monde
que le Congolais en exil n'est pas une force inconsistante qui dort sur le pain
quotidien et le hamburger. Il est et doit être sociologiquement capable de
changer la face de l'histoire dans le cadre du projet de construction d'un
nouvel ordre du monde.