2004, 10 février: Discours de Joseph Kabila au Sénat belge

Discours prononcé par S.E.M. Joseph KABILA, Président de la République Démocratique du Congo

Monsieur le Président du Sénat,

Honorables Sénateurs,

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi d’abord de remercier Monsieur Armand De Decker,
Président du Sénat, pour nous avoir invité à évoquer, brièvement,
devant vous, la situation de la République Démocratique du Congo.

C’est pour nous un insigne honneur de nous adresser à votre auguste
Assemblée. En effet, pour la première fois dans l’histoire du Royaume
de Belgique, le Sénat a daigné accorder, à un Chef d’Etat congolais, un
moment d’écoute. Ce privilège exceptionnel est à la mesure de l’amitié
et de la considération que la Belgique attache à mon pays. Je ne peux
donc pas prendre la parole sans vous exprimer, solennellement, les
remerciements du Peuple congolais et de son Gouvernement pour ce geste
touchant. L’histoire de la République Démocratique du Congo, c’est
aussi celle des Belges, Missionnaires, Fonctionnaires et Entrepreneurs
qui crurent au rêve du Roi Léopold II de bâtir, au centre de l’Afrique,
un Etat. Nous voulons, à cet instant précis, rendre hommage à la
mémoire de tous ces pionniers.

Honorables Sénateurs,

A chaque génération le devoir d’assumer ses erreurs. Le passé, même
s’il peut, en quelque sorte, influer sur l’avenir, il ne le détermine
cependant pas. Il appartient aux femmes et aux hommes d’aujourd’hui de
poser des gestes qui démontrent qu’il suffit d’un rien pour que les
portes s’ouvrent, les plaies se cicatrisent, l’humanité avance d’un pas
décisif et l’histoire enregistre une page mémorable. Je ne voudrais ni
évoquer l’époque d’avant l’indépendance, ni les circonstances de
l’indépendance, encore moins la longue dictature qui aura été une nuit
sombre pour mon pays; j’aimerais plutôt parler de l’avenir, de mon
engagement personnel et celui du Gouvernement de transition à préserver
la paix, l’unité nationale et l’intégrité du territoire, pour que
s’organisent, dans le délai imparti par la Constitution, les élections
libres et démocratiques.

Mais, comment ne pas rappeler que, affaiblie par une guerre
d’agression inutilement dévastatrice, la République Démocratique du
Congo avait besoin d’une paix durable pour relancer son économie et
préserver les nombreuses vies humaines. Au moment où les hautes charges
de l’Etat nous furent confiées, nous prîmes l’engagement de rétablir la
paix, par la relance du Dialogue national, de normaliser la vie
politique, de rétablir l’autorité de l’Etat et de libéraliser
l’économie du pays.

C’est ainsi qu’au terme de longues négociations, destinées à
réaliser les objectifs ci-haut cités, toutes les parties en conflit se
mirent d’accord, sur insistance de la population congolaise et de la
Communauté Internationale, en vue de constituer un gouvernement
atypique, comprenant un Président de la République, quatre
Vice-Présidents, 61 Ministres et Vice-Ministres, 500 Députés et 120
Sénateurs. Nombreux étaient ceux qui n’accordaient aucune chance à cet
attelage, pariant ainsi sur la mort certaine de la République
Démocratique du Congo en tant qu’Etat. Heureusement pour nous, la
longue et dure épreuve que venait de connaître la nation a permis de
cimenter le sentiment national en privilégiant les valeurs
unificatrices, par la mise en place d’un Gouvernement de Transition.

Période éphémère, la transition a pour objectifs principaux: la
réunification, la pacification, la reconstruction du pays, la
restauration de l’intégrité territoriale, le rétablissement de
l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire national, sans
omettre la réconciliation nationale, la formation d’une armée nationale
restructurée et intégrée, l’organisation des élections libres et
transparentes et la mise en place des structures devant aboutir à un
nouvel ordre politique.

Le grand défi qui reste à relever est celui de réaliser, dans le
délai imparti, tous ces objectifs et, en même temps, remettre le Peuple
au travail, car même si l’apport extérieur est nécessaire, le Peuple
congolais sait qu’il doit s’investir profondément dans le travail pour
changer sa condition actuelle. Dans cette perspective, nous avons donc
besoin du soutien de tous les amis du Congo dont la Belgique pour que
les efforts de démocratisation soient accompagnés d’une amélioration
sensible sur le plan social et économique, car le Peuple n’attendra pas
l’organisation des élections pour aspirer au bonheur.

Honorables Sénateurs,

Depuis 2001, nous avons entrepris l’assainissement du cadre
macro-économique par des mesures courageuses qui nous ont permis de
renouer avec les institutions financières internationales. Mais, tant
que les promesses faites par les bailleurs ne connaîtront pas un début
de concrétisation, il sera difficile d’expliquer, à la population, le
sens des sacrifices consentis. Aussi, l’appui institutionnel nous
paraît-il nécessaire pour l’établissement d’un Etat de droit.

De même, les réformes économiques amorcées depuis 2001 dont,
notamment, la promulgation du nouveau Code des Investissements qui
accorde une sécurité juridique plus accrue aux investisseurs ainsi qu’à
leurs investissements, le Code Minier, le Code Forestier et les
Tribunaux de Commerce, sont là les instruments qui traduisent, sans
équivoque, notre option d’une économie libérale à visage humain. Comme
la confiance est revenue, les entrepreneurs ont besoin d’un signal fort
de la classe politique afin de prendre des risques en étant sûr qu’ils
font un bon choix. Le moment est venu de les rassurer afin qu’ils
sachent l’importance que le Congo attache à la propriété privée et à
toutes les mesures prises pour assainir l’environnement économique.

D’autre part, on ne saurait véritablement instaurer un Etat de droit
sans restaurer au préalable une justice indépendante qui intensifierait
la lutte contre la corruption, la fraude fiscale, le clientélisme et
toute forme d’impunité. La justice indépendante règlera également la
plupart des litiges nés de la guerre et favorisera la réconciliation
nationale, en jugeant les auteurs des crimes de guerre, des crimes de
génocide et des crimes contre l’humanité pour que le Congo ne soit pas
une terre d’impunité.

Evidemment, il importe de parvenir à la réconciliation afin que le
passé ne constitue un handicap pour l’avenir, mais, s’il faut tout
pardonner, le sentiment d’injustice peut compromettre l’unité nationale
que nous devons sauvegarder à tout prix. C’est pourquoi la justice doit
jouer pleinement son rôle.

Honorable Sénateurs,

Le rétablissement de la paix en République Démocratique du Congo
passe aussi par la normalisation des relations avec les pays voisins.
C’est pourquoi, la Conférence Internationale sur la paix, la sécurité
et le développement des pays de la région des Grands Lacs et d’Afrique
centrale augure des jours meilleurs pour les peuples et les Etats
concernés.

Les attentes des Congolais, s’agissant de cette conférence, sont
connues. Il importe en premier lieu de rechercher les raisons profondes
du mal afin que les uns et les autres reconnaissent leur tort et
réparent les préjudices causés. En second lieu, il est question de
rétablir la sécurité réciproque par le respect du principe de
l’intangibilité des frontières. De la sorte, les relations de bon
voisinage, basées sur le respect mutuel et la dignité, ouvriront une
ère nouvelle de paix et de concorde dans la Sous-Région. C’est à mon
sens, l’unique manière de regarder autrement le passé pour bâtir,
ensemble, une nouvelle Afrique Centrale capable d’offrir l’accès aux
soins de santé à la population, l’éducation et le travail à la jeunesse
et la sécurité à tous.

Monsieur le Président,

Honorables Sénateurs,

J’ai décrit, brièvement, la situation de la République Démocratique
du Congo ainsi que les perspectives d’avenir. Je serai incomplet si je
ne mentionne pas, dans le registre des défis à relever, outre les
infrastructures de base qui conditionnent la reconstruction du pays,
également toutes les opérations préalables aux élections: le
recensement, l’identification des nationaux, l’émission de la carte
d’identité et l’enregistrement des électeurs.

Pour soutenir cet effort, l’appui technique et financier de la
Communauté internationale pourrait permettre de rattraper le retard
enregistré eu égard aux échéances à venir. J’ai insisté sur le
rétablissement de l’autorité de l’Etat en vue de mieux sécuriser les
personnes et leurs biens. C’est une opération de longue haleine qui est
conditionnée par l’accélération de la mise en place d’une armée
nationale restructurée et intégrée. L’Etat congolais veillera, de
manière particulière, à la condition sociale de toutes les forces de
l’ordre.

Dans le même ordre d’idées, le Gouvernement de transition adresse
ses remerciements à la Belgique pour l’assistance apportée dans la
formation de la Brigade qui devra sécuriser l’Ituri. J’ai parlé des
efforts entrepris, pour assainir l’environnement économique par des
lois incitatives en vue de rendre le pays compétitif et poser les bases
d’un décollage économique. J’ai défini les contours de nouvelles
relations à bâtir dans la Sous-Région des Grands Lacs, afin que
l’intégration économique procure la paix et le bonheur à la population.

Je me suis étendu sur les rapports d’un type nouveau entre Belges et
Congolais, pour que les humeurs des gouvernants ne servent plus de
trame, mais plutôt l’intérêt de deux peuples. C’est ce que j’appelle le
partenariat positif. J’ai exprimé les attentes du peuple congolais afin
que le processus de démocratisation que nous avons entrepris aboutisse
de manière heureuse. J’ai apprécié le concours apporté par la
Communauté Internationale, et particulièrement la Belgique, pour que la
République Démocratique du Congo retrouve la paix et l’intégrité
territoriale.

Monsieur le Président,

Honorable Sénateurs,

Comment ne pas vous remercier, non seulement pour l’attention
soutenue que vous m’avez accordée, mais aussi et surtout pour l’espoir
suscité que vous serez de véritables défenseurs de la cause de mon pays
afin de bâtir un Etat de droit, protecteur de l’égalité dans la
diversité. L’histoire de chaque peuple connaît toujours les hauts et
les bas. Ce qui importe, c’est de savoir, à tout moment, quel est
l’idéal commun à atteindre et de quelle manière procéder en préservant
la cohésion sociale qui constitue le cœur de la nation.

Sans doute, dans sa marche vers le développement économique et
social, le Congo a-t-il trébuché, mais le plus important, c’est de
savoir se relever. Puisqu’il n’est plus possible de vivre en autarcie,
aujourd’hui, la République Démocratique du Congo entend renaître pour
imprimer une dynamique nouvelle à la région de l’Afrique centrale en
vue de changer la perception négative que certains pessimistes ont
encore de l’Afrique. Et cela, avec l’effort de tous les Congolais et
l’appui des pays amis.

Tel est le sens de mon message que je considère comme un appel
pathétique pour un plan de développement qui doit intégrer les
richesses du passé et les incertitudes de l’avenir pour un Congo
stable, hospitalier et solidaire du reste de l’humanité. Notre vision
est celle d’un Congo plus beau qu’avant, oasis de paix, modèle de
démocratie et moteur du développement économique et social en Afrique
centrale sinon dans toute l’Afrique. C’est à cette œuvre exceptionnelle
de reconstruction que j’invite la Belgique à participer activement. Car
si le présent ne prépare pas l’avenir, demain ne portera pas les
marques d’aujourd’hui.

Honorables Sénateurs,

Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie.

Commenraie de F. Mulongo, Réveil FM, le 1° septembre 2009.

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