Participation citoyenne à la coopération internationale : Nouvelles pratiques solidaires ou populisme développeur ?
Présentation
Fin
2007, début 2008, l'affaire dite de « L'Arche de Zoé » a défrayé la
chronique en Europe et en Afrique. Au-delà des jugements souvent
péremptoires sur cette expérience maladroite et malheureuse, l'on peut
également souligner la dimension populaire voire
populiste d'une organisation qui a articulé sa démarche -contestable-
au sein du double cadre d'une critique de l'aide instituée et d'une
consécration de l'héroïsme humanitaire. Le scandale a ainsi mis en
visibilité l'existence d'une démarche certes singulière mais nullement
isolée dans le monde contemporain de la « solidarité internationale »[1].
Situées soit en marge soit partiellement associées aux acteurs
institués de l'aide internationale elles existent bel et bien. En
Belgique le terme généralement retenu pour les désigner est le
suivant : Initiatives Populaires de Solidarité Internationale (IPSI).
Elles n'entrainent pas forcément les mêmes conséquences que les
activités de L'Arche de Zoé et bénéficient rarement d'une visibilité
dépassant le cadre local.
Notre
séminaire visera donc à réunir acteurs de la coopération et chercheurs
afin de réfléchir sur la réalité de ces participations du « simple
citoyen » à la coopération internationale.
Pour
le chercheur, il n'est d'ailleurs pas toujours simple d'identifier ces
initiatives citoyennes, pourtant nombreuses. C'est que l'objet en
lui-même est difficile à cerner. Tout d'abord, une initiative
« populaire » ou « citoyenne » – formulée puis portée par un ou
plusieurs « simples individus » – peut très vite être relayée par
différents acteurs, se fondre dans une stratégie d'éducation au
développement d'une Organisation Non Gouvernementale (ONG) ayant pignon
sur rue, être soutenue par une municipalité en quête de pratiques
solidaires vers le Sud, etc. Cela peut entraîner une dilution de
l'identité « populaire » de ces initiatives. Celles-ci peuvent être
soutenues par des acteurs inscrits dans différents champs sociaux
(migrants, syndicats, écoles, « simple » citoyens et groupes d'amis…)
et constituer des acteurs de l'aide disposant de ressources inégales,
de niveaux de structuration différents et développant des stratégies et
des logiques d'action variables. Parfois, lorsque l'initiative
populaire s'inscrit dans la longue durée son histoire est réécrite par
ses membres, l'initiateur originel souvent absent ou même gommé de la
mémoire. Les IPSI peuvent ainsi être aussi étudiées en termes de
trajectoire solidaire. Ces IPSI peuvent dès lors être assimilées à une
période particulière d'une initiative qui fut – ou deviendra – plus
instituée (IPSI à l'origine d'une ONG ou IPSI comme forme déclinante
d'une structure jadis reconnue par le complexe développeur national).
En Belgique francophone, une institution publique chargée de soutenir ces initiatives citoyennes[2] a récemment répertorié plus de 800 activités de ce type (en Wallonie et à Bruxelles) dont
les initiateurs ont une origine variée : universités, écoles,
organisations syndicales ou mutuelles, mouvements de femmes ou de
jeunes, associations sans but lucratif, centre interculturels et
organisations de migrants, etc. Du côté néerlandophone du pays, le
concept de « 4e pilier » (« vierde pijler ») employé pour décrire ces initiatives connaît un succès important. Par
cette étiquette s'exprime une volonté de cerner voire de valoriser un
ensemble extrêmement hétéroclite d'acteurs rassemblés par une catégorie
définie par la négative : on traite alors d'un ensemble d'acteurs qui ne font pas partie des acteurs « habituels », institués, des trois premiers piliers de la coopération au développement (donc ni aide bilatérale, ni aide multilatérale, ni
secteur ONG). Cette catégorisation donne un côté fourre-tout qui ne
facilite pas l'étude. Le danger est alors de vouloir cerner les
dynamiques particulières de ce « quatrième pilier » tout en les
comprimant dans une catégorie définie trop largement (d'où une perte de
finesse dans l'analyse). Peut-on ainsi regrouper sous un seul label les
projets conduits par les services internationaux d'organisations
syndicales, les projets de co-développement d'associations de migrants,
les projets de coopération décentralisée au Bénin de la ville de Huy,
une animation de quartier mise sur pied par un groupe paroissial et
encadrée par une ONG de développement dans le cadre de ses pratiques
d'éducation au développement, etc. ?
En France, ce travail préliminaire de recension n'a quasiment pas été entrepris.
Au
plan des politiques de l'aide au développement, il est certainement
urgent de comprendre ces acteurs qui agissent dans le cadre d'une
solidarité internationale au sein de réseaux peu ou pas du tout
intégrés dans la stratégie d'aide des institutions publiques. Il est
utile de mesurer l'apport de tous ces acteurs, d'identifier leur
éventuelle plus-value et les problèmes potentiels qu'ils peuvent causer
(notamment en perturbant des relations politico-diplomatiques ou les
stratégies des agences de coopération plus institutionnalisées).
Sur
un plan scientifique, il n'est pas certain que cette catégorisation
large soit bénéfique car les éléments de proximité entre ces acteurs et
activités nous semblent pour l'instant moins nombreux que ce qui les
distingue. Un travail initial doit dès lors être entrepris pour cerner
les contours de cet objet.
Trois axes de travail
L'un
des premiers axes de réflexion de ce séminaire cherchera à clarifier
les contours de ces initiatives non instituées. Quelles sont ces
initiatives ? Qui sont les acteurs sociaux à l'origine de ces
initiatives ? Quelles sont leurs motivations ? En quoi consistent ces
initiatives ? Quelle forme de participation à la solidarité
internationale autorisent-elles ? Quelles sont leur
réalité ici en Europe mais aussi dans les pays du Sud ? Quelles sont
les forces et les faiblesses, les opportunités et les limites de ces
initiatives ? Mais aussi quelles en sont les racines historiques ? En
quoi s'agirait-il d'une innovation sociale dans les pratiques
d'engagement vers le Sud ?
D'aucun
ont critiqué le caractère naïf, mal préparé ou amateur des démarches
entreprises par les membres de l'Arche de Zoé dès la phase de
préparation jusqu'à la débâcle de la campagne de récupération d'enfants
« orphelins » du Darfour au Tchad. Mais en Belgique, par exemple, des
ONG comme Volens, Solidarité Socialiste ou encore Entraide et
Fraternité encadrent plusieurs centaines de « groupes de solidarité »,
organisations assez peu structurées, fréquemment fondées sur une base
familiale autour d'un(e) ex-coopérant ou travailleur humanitaire et
mobilisées autour d'un projet de développement (dans différents
domaines : santé, éducation, infrastructures…). Ce séminaire envisagera
aussi l'importance de cet encadrement comme mécanisme de régulation de
ces initiatives populaires et surtout de prévention des dérives type
Arche de Zoé. Quelles sont les relations entre ces initiatives et les
acteurs institués (pouvoirs publics, institutions internationales,
ONG…) de l'aide au développement ?
Enfin,
un dernier axe de réflexion possible pouvant alimenter nos travaux
portera sur les conditions d'impulsion de ces initiatives. On peut se
demander en effet jusqu'à quel point l'émergence d'initiatives
populaires de solidarité internationale participe, même en creux, d'une
remise en cause des mécanismes de l'aide tels qu'ils existent jusqu'à
présent. Quelles sont les représentations de la coopération au
développement qui animent ces initiatives ? Sur base de quelle
légitimité fondent-elles leur mobilisation au Nord et leurs
interventions au Sud ? En quoi les politiques contemporaines de
coopération au développement (déclaration de Paris, OMD, consensus de
Monterrey) marquées par une volonté de recentrage de
l'aide sur certains pays, la recherche d'une plus grande efficacité et
d'une plus grande cohérence de l'aide ainsi qu'un alignement des
stratégies des bailleurs limitent ou, au contraire, alimentent (comme
un contrecoup) ces initiatives ?
Informations pratiques
Ce séminaire est organisé par le CRPS (Paris I) et le Pôle Liégeois des Sociétés Urbaines en Développement (POLE SUD – ISHS/ Université de Liège)
Il se tiendra les 26 et 27 février 2010 à la Sorbonne.
Les langues de travail seront principalement le français et l'anglais.
Les propositions de communication (4000 caractères maximum espaces compris) sont attendues pour le 1er novembre 2009 et doivent être simultanément transmises à :
Gautier PIROTTE : Gautier.Pirotte@ulg.ac.be
Philippe RYFMAN : cabinet.ryfman@free.fr