Probable révision de la Constitution de Liège pour la RD Congo. Qu’est-ce qui étonne ? (JP Mbelu)

« Selon
nos sources, lit-on sur le site Internet de la RFI, la commission
réfléchit à un projet de modification de trois
dispositions constitutionnelles. La première viserait à renoncer à
mettre en place les 15 provinces supplémentaires prévues par la
Constitution d’ici le mois de mai prochain. La deuxième s’intéresse au
mandat présidentiel, il est actuellement fixé à 5 ans et renouvelable
une seule fois, il passerait à 7 ans et deviendrait illimité. Enfin, la
troisième modification permettrait au président de la République de
siéger au Conseil supérieur de la magistrature. » Et pourtant, « sur
ces deux derniers points, la Constitution interdit tout projet de
révision. L'article 220 est clair. Il stipule que le nombre et la durée
des mandats du président de la République et que l'indépendance du
pouvoir judiciaire ne peuvent faire l'objet d'aucune révision
constitutionnelle
. »

Ces
informations partagées par les Congolais(es) à travers leurs forums en
ligne sont données quelques jours après la présentation d’un ouvrage
collectif sur le Congo à Bruxelles. L’ouvrage est intitulé « Réforme au
Congo (RDC)-Attentes et désillusions ».

 

Le Congo de Kabila : un vaste laboratoire

 

Dans une interview accordée à Marie-France Cros du journal Belge La Libre Belgique, l’un des co-auteurs du livre en donne un petit résumé en ces  termes :
« Il (le livre) analyse les grands investissements effectués par la
communauté internationale depuis 2001 (Ndlr, arrivé au pouvoir de
Joseph Kabila) : réforme du secteur de la sécurité, de la justice, du
contrôle macro-économique, décentralisation, codes forestier et minier,
etc. Car depuis huit ans, le Congo est devenu un vaste
laboratoire où toutes les alchimies se rencontrent pour ressusciter un
cas d’école d’Etat failli
. » (Reconstruction : la désillusion. Entretiens avec Marie-France Cros, dans La Libre Belgique du vendredi 18 septembre 2009, p.14. Nous soulignons) L’un
des résultats des alchimies de ce vaste laboratoire est la Constitution
de Liège pour le Congo. Dans certaines de ses dispositions, elle a été
taillée sur mesure pour permettre aux « faiseurs de rois » d’aider « le
raïs » à se succéder à lui-même en 2005 moyennant une mascarade
électorale. Depuis cette dernière, plusieurs dispositions de la même
Constitution sont violées au vu et au su de tous. Plusieurs rapports
nationaux et internationaux mentionnant la violation des libertés
fondamentales au Congo en témoignent. Le dernier rapport de la FIDH
intitulé « République démocratique du Congo. La dérive autoritaire »
abonde dans le même sens. Comment en sommes-nous arrivés là ?

En
effet, cette Constitution n’a pas été « le résultat d’un travail sur
soi, des tractations internes d’un corps politique, gérant ses
conflits, ses contradictions, parvenant à des compromis et à des
« conventions collectives ». Elle a été adoptée ou produite à usage
externe pour  se faire reconnaître comme un Etat sur le
plan international. Au-dedans, cette loi fondamentale (…) ne
s’intériorise ni par le savoir ni par la pratique. » (Lire, F.
EBOUSSI-BOULAGA, La démocratie de transit au Cameroun, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 286-287).

Il
nous semble que tout le problème est là : une Constitution produite par
l’extérieur et pour la consommation extérieure peut subir autant de
tripatouillages que « les rois fabriqués de l’extérieur » veulent,
pourvu que les intérêts qu’elle sert soient garantis. Or, en plus du
fait que cet extérieur n’émet pas toujours sur une même longueur
d’ondes –« chaque acteur a sa logique, son agenda, son mode de
fonctionnement et il n’y a pas de cohésion entre eux. Pire : il y a
compétition et sabotage, confie Théodore Trefon à Marie-France Cros »-,
cet extérieur a transformé la politique en une valeur marchande.  La coopération au développement par exemple est devenue « un business ». Pourquoi ? Parce que « si l’Afrique
atteint le développement, des milliers de consultants et experts seront au chômage, confie Théodore Trefon. »

La
politique transformée en une marchandise et fondée sur la logique de la
compétitivité bannit toute éthique dialogique et toute possibilité
d’alternance. La logique de la compétitivité est rivalitaire. Elle nie
à l’autre toute valeur humaine en le réduisant à un moyen pour
atteindre les fins marchandes ou en un ennemi à écraser. Pour tout
prendre, l’alchimie et les tripatouillages constitutionnels révèlent
quelque chose de fondamental : la perte  du sens même de
la politique dans un monde parvenu à un niveau d’incompétence morale
très avancée. (Une lecture attentive de l’un des derniers essais d’Amin
Maalouf intitulé Le dérèglement du monde. Quand nos civilisations s’épuisent, Paris, Grasset, 2009 peut être d’un
secours certain pour comprendre ce qui se passe chez nous.)

Cette perte de sens de la politique s’accentue là où « les rois fabriqués de l’extérieur »  et
les citoyens victimes de leur extraversion n’ont pas la maîtrise de
trois instruments politiques par excellence : le savoir-lire, le
savoir-écrire et le savoir-parler. (Ce triple savoir est culturel. Il
n’a rien à voir avec les diplômes accumulés.)

 

Sécuriser le Rwanda et l’Angola

 

Du point de vue régional, les tripatouillages de la Constitution de Liège pour le Congo, s’ils permettent à Joseph Kabila
de rester à la tête du Congo le plus longtemps que possible, ils
pourront « sécuriser » le Rwanda et l’Angola. Kagame et « ses bandits »
sont sous le coup des mandats d’arrêts internationaux. Dès que le
maître de Kigali ne sera pas au pouvoir, ils devront répondre, lui et
« ses amis »,  de leurs crimes devant des juridictions internationales.

Partisans
de la guerre d’usure, ils souhaiteront que « leur pot », Joseph Kabila,
soit éternellement au pouvoir au Congo. L’Angola ayant souffert de la
complicité de Mobutu avec Jonas Savimbi pendant la guerre que ce
dernier menée au pouvoir actuel aurait peur d’un retournement de
situation au Congo ; qu’un ex-mobutiste n’accède au pouvoir.

La question de
la décentralisation a un aspect interne et un autre externe. « L’union
européenne est (…) en faveur de la décentralisation prévue par la
constitution congolaise, la Banque mondiale est contre. » (Lire
l’entretien déjà cité) Dépendants à plus de 50% du budget des IFI et
ayant moult difficultés à rétrocéder les 40% de recettes produites par
les provinces aux provinces, les gouvernants actuels estimeraient qu’il
serait réalistes de s’en tenir aux 11 provinces actuelles.

Pour
les Congolais et les Congolaises éveillés, l’étonnement de certains
compatriotes eu égard au projet de la révision de la Constitution
étonne. Cela pour une raison simple. Ces compatriotes n’ont pas encore
compris que les gouvernants actuels, toutes tendances confondues,
participent du plan d’occupation du Congo et qu’ils ne peuvent rien
faire pour desserrer l’étau. Et qu’ils n’ont jamais eu, dans leur
course au pouvoir, le souci de partager les valeurs démocratiques.
Plusieurs livres témoignent aujourd’hui de la haine des gouvernants
actuels pour la démocratie. Les plus sceptiques d’entre nous peuvent aller lire Guerre et droits de l’homme en République Démocratique du Congo. Regard du
Groupe Justice et Libération
,
Paris, L’Harmattan, 2009. Hélas ! Comme plusieurs de nos compatriotes
ne lisent plus, ils s’étonnent de tout. Maîtriser le savoir-lire, le
savoir-écrire et le savoir-parler comme instruments politiques par
excellence nous sera indispensable pour l’avènement d’un autre
leadership chez nous. Tel est l’un des défis qui devrait nous mobiliser
davantage.

 

J.-P. Mbelu

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.