Le plagiat dans la musique congolaise (Le Potentiel)
Il est à noter que lutilisation dune œuvre nest pas synonyme de plagiat. « La loi précise que dans les cas dune chanson, on doit mentionner la source et selon le cas, lauteur, lartiste-interprète, le producteur ou le radiodiffuseur ». Le plagiat a des conséquences très graves. Il est donc important de bien comprendre ce que signifie lusage équitable de la citation et de connaître les droits des autres vis-à-vis du droit dauteur.
LE LAXISME DE LA LEGISLATION FACE AU PIRATAGE
Le plagiat est interdit bien que la Commission nationale de la censure des chansons et spectacle et la Sonéca (Société nationale déditeurs, compositeurs et auteurs) ny prêtent pas attention. Des diffuseurs se sont vu quelque fois, contraint de retirer vente un disque.
Rappelons que lutilisation des musiques et sons, ainsi que les textes (au sens le plus large), sont soumise à une autorisation écrite. Cest-à-dire, la reproduction de textes, ou de musiques protégés par les droits dauteur, doit faire lobjet dune autorisation préalable des titulaires de droits. Lauteur dune œuvre est le titulaire des droits dauteur.
Dans son article 8 au chapitre 2 de la loi n° 86-033 du 5 avril 1986, portant protection des droits dauteur, il est dit : « est présumé auteur de lœuvre, sauf contraire, la personne dont le nom ou le pseudonyme est mentionné sur lœuvre divulguée. Les droits dauteur, même portant sur une œuvre produite dans le cadre dun contrat de louage, appartiennent ». Quest ce quun auteur ? Selon Barthes, lauteur, cest le principe producteur et explicateur de lœuvre. Lauteur nest jamais rien de plus que celui qui écrit. Lauteur est la cause la plus évidente, la plus proche de lœuvre. Quelquun qui crée, qui fait une œuvre créatrice. La qualité dauteur appartient, sauf preuve du contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui lœuvre est divulguée.
LE PLAGIAT DANS LA CHANSON CONGOLAISE
Dans la musique congolaise, la notion dauteur est vague. Elle a des sens divers et ses réalités sont nombreuses. Les œuvres dautrui ne sont pas distinguées à ses propres œuvres. Les œuvres dart, la discothèque, la Soneca, le fichier auteur et le monde des musiciens congolais sont impensables sans les auteurs. Le nom dauteur est indispensable à toute classification discographique. Lauteur est une autorité, une valeur, un grand écrivain, pour ne pas dire un membre du canon artistique. Toute personne qui écrit ou a qui écrit nest pas un auteur, la différence étant celle du document et du monument. Les documents darchives ont eu des rédacteurs, les monuments survivent. Seul le rédacteur dont les écrits sont reconnus comme des monuments par la Soneca atteint lautorité de lauteur.
Aujourdhui, on parle confusément de père, roi, prince de la rumba congolaise ou du «ndombolo», etc. mais on ne parle jamais de lauteur de la rumba congolaise ou du «ndombolo». La notion dauteur est inséparable de celle dindividu. Il se peut même que lartiste soit non seulement lindividu par excellence, mais le modèle de lindividu. Le poète Rochereau Tabu Ley « seigneur », est considéré comme étant un grand artiste ; Simaro Lutumba «le Philosophe », grâce à ses œuvres philosophiques ; Koffi Olomide « le Réparateur des cœurs brisés », par rapport à ses œuvres qui adoucissent les amoureux déçus ; J.B Mpiana « le masseur », grâce à ses œuvres mélancoliques langoureuses, etc. En art, le rapport du texte et de lauteur est donc central et à peu près inévitable : « lunicité première, solide et fondamentale est celle de lauteur et de son œuvre ».
EXEMPLES DE PLAGIAT DANS LES ŒUVRES CONGOLAISES
Nous avons relevé quelques titres dans lesquels on retrouve des textes, des citations, des phrases, des mélodies et des rythmes dautrui. Ceux qui copient ou se dérobent pour composer leurs œuvres sont des véritables auteurs des transgressions, parce que nétant pas créateurs de leurs œuvres.
Le nom dauteur sassocie à la qualité doriginalité, et constitue une qualification possible de lécrivain, ou auteur des textes. Le fait de débaucher les textes ou les mots dautrui, et qui sapproprie une œuvre dautrui en son nom, est incontestablement lun des délits les plus graves qui puissent se commettre quand un artiste vend les pensées dun autre pour les siennes. Cela sappelle plagiat ou contrefaçon. Actuellement, le plagiat est considéré comme un phénomène de société. En réalité cest un acte illégal et qui est puni par la loi, le musicien qui plagie les œuvres dautrui aux lois de copyright est considéré comme un voleur et sexpose aux sanctions prévues par la loi à cet effet.
Dans notre canevas, nous avons relevé une trentaine dœuvres plagiées et aussi des chansons qui ont fait la gloire des musiciens congolais. Pourtant, ces derniers se sont appropriés les textes dautrui.
LE PLAGIAT DANS LES DECENNIES 70 ET 80
Au début des années 70, lorchestre Thu Zaina a piqué « Damsoda » de Lucie Eyenga, dans la chanson « Kulumama ». « Mwambe », ouevre dEbengo Dewayon, a été plagié, en 1970 par Siongo Bavon Marie-Marie, à travers sa chanson « Mabe ya mbila », dans laquelle il chante « Ngai mabe ya mbila elengi se mosaka ».
Cinq ans plus tard, la prélude de cette même œuvre fut une fois de plus plagiée par Papa Wemba. « Lisolo ya mbangu mbangu ebongaka te moninga Yala ye oh ! Yala ye oh ! Yala ye oh ! Oya », chante-t-il dans « Amazone », qui serait en le texte de Vadio Mabenga, lauteur de « Tambula malembe ».
On peut aussi citer le cas de Manuel DOliveira. Les textes de ses chansons ont été plagiées en 1975, par Freddy Mayaula Mayoni, dans son hit « Bondowe ».
Il avait plagié « Chérie Bondowe, ndumba ya Matadi », œuvre de DOliveira. Dans son hit « Fièvre Mondo », Evoloko Joker avait reprit quelques paroles de «Tout le monde samedi soir », oeuvre dAdou Elenga, datant des années 40. Il a fait la même chose en 1986 dans sa chanson « Rose de Paris », dans laquelle il a piqué une partie du texte de « Makambo mibale », œuvre de Mountouari dit Kosmos de lorchestre Bantou de la Capitale.
En 1982, « Parapluie », œuvre dauteur Erico qui avait opposé Papa Wemba et Djanana. Elle était sortie en deux versions et au même moment, par Djanana et le Langa Langa Stars et par Papa Wemba et Viva La Musica. Cétait la confusion. En effet lauteur avait cédé aux deux interprètes le même texte. Et ce nétait pas la première fois que sétait produit ce genre de télescopage sur le marché du disque. Ce qui pose crûment le problème de la protection des œuvres surtout avec la nouvelle génération des musiciens.
La même année, toujours dans Langa Langa Stars, Roxy Tshimpaka sest approprié le titre et le texte dune vielle chanson, qui a constitué le refrain de sa chanson « Mokili ngonga ».
LA FLAGRANCE DE MADILU, KOFFI, EMENEYA, PAPA WEMBA, ETC.
Le manque de créativité est aussi lune des principales causes du plagiat dans la musique congolaise. Dans son premier album, lorchestre Wenge Musica avait repris les paroles de DOliveira « Lokumu ya muasi ndako ya libala mama …».
Kester Emeneya a, qunt à lui, pris la manière de présenter ses musiciens comme lavait fait Tabu Ley en 1972, dans la chanson « Afrisa », où il présente les Michelino, Lokasa, Deyesse, Modero, Vieux Biolo, etc. Dans « Longue histoire », il a plagié le texte des œuvres de DOliveira et dautres pionniers de la musique congolaise. Par exemple quand il chante « Basi nionso tapale » du pionnier Manuel DOliveira dans la mélodie « Ngoya ngoya ngoya ngoya ngoya eloba ba mongo ngoya ngoya », sans mentionner lauteur. Une autre œuvre de ce dernier a été plagiée dans lalbum « KO spécial » du groupe Jolino dans la chanson « Elvir », où on chante « Mama abota yo ayebi kobota muana… ».
Le cas Madilu Système et Koffi Olomide est alarmant. Prenons lexemple de « Cele » de Madilu. Dans cette chanson, ce dernier plagie les textes et les mélodies de « Mongali » et « Nganda Diallo », œuvres de Rochereau Tabu Ley, sans faire allusion à son auteur. De même pour la mélodie de la chanson « Ntoto Mabele » de Lutumba que Madilu avait reprit dans son album « Bonheur » : « Eloko oyo bolingo ezanga miso/ Moto oyo okolinga alinga yo te/ Oyo okoboya akolanda yo mingi …», quil chante dans lune de ses chansons ne lui appartenait pas. Et dans ses albums « Leau », « Pouvoir » et « Bonheur », il sest approprier les textes et mélodies des autres artistes-musiciens, en négligeant de mentionner ou de citer les noms des créateurs des passages quil a emprunté. Cela constitue une infraction de contrefaçon. Sa chanson « Double zéro », est une copie mélodique de « Mbongo » de Simaro Lutumba. Dans cette même chanson, il a joué le Soum djoum dAfrisa, en ajoutant les paroles de « Bokozela trop » de Lutumba et de « Tailleur » de Franco. Et écoutant la chanson, les avertis comprennent facilement que la chanson nest pas lœuvre de Madilu, mais de Simaro Lutumba, Rochereau Tabu Ley, etc. Curieusement, la Commission national de censure des chansons et spectacles, lui a donné quil est lauteur et le compositeur de lœuvre.
JEANNOT NE NZAU DIOP