15.10.09 Les Afriques.ch: Deo Hakizimana: «Il faudra bien un jour crever l’abcès des frontières imposées par Berlin»

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Déo Hakizimana : « Combien
savent-ils, en l’occurrence, que la spécificité de la donne
intra-burundaise a largement contribué à consommer l’échec du plan
Nkunda et que tous les calculs qui font fi de cette évidence sont voués
au même échec ?
 »

Les
Afriques : Que pensez-vous de la proposition de Nicolas Sarkozy
(*) concernant un rapprochement économique Rwanda RDC ?

Deo Hakizimana :
La déclaration du président français et les réactions qu’elle a
suscitées dans différents camps doivent être replacées dans leur
contexte. En effet, si je me souviens bien, c’était au moment où le
débat faisait rage, au lendemain du rapport de l’ONU sur la RDC, qui
était extrêmement critique à l’égard d’un statu quo
favorisant la guerre et le pillage des ressources congolaises. La
guerre du général Nkunda venait d’échouer et on pouvait dire que
la prise de Goma, qui était imminente en octobre 2008, n’était plus
tolérée par les grandes puissances, notamment par certains Etats
européen qui ont menacé Kigali de geler leur coopération. Et c’est
surtout au moment où une nouvelle équipe est venue aux
affaires à Washington. Quelques propos prêtés à d’anciens hauts
décideurs américains, dont certains allaient faire partie de
l’administration Obama, n’approuvaient pas la politique
américaine des années antérieures.

Les
prises de position ont alors fusé de part et d’autre : certains
ont sous-entendu une sorte de remodelage territorial qui, au
niveau régional, permettrait au Rwanda de créer une zone d’influence
avec des républiques satellisées qui aboutiraient à ce qu’une
partie de l’opinion publique en Afrique des Grands Lacs voit comme une
menace d’un « empire » ethnique minoritaire en gestation, à
l’aide de mains invisibles.

La crise du leadership
interne à la RDC, récemment matérialisée par l’éviction du président de
l’Assemblée nationale, un natif du Kivu, un anti-guerre notoire, ne
facilitait pas un dialogue de qualité et toute alternative, même dite
avec de bonnes intentions, était soumise à la maltraitance de la
radio-trottoir.

 

LA : Et sur le fond de la déclaration de M. Sarkozy ?

DH :
C’est dans ce climat complexe qu’est intervenue cette déclaration. Pour
moi, la coopération entre le Rwanda et la RDC n’est pas seulement à
l’ordre du jour, elle est au coeur même du nouveau dispositif
diplomatique régional prioritaire, notamment à travers la CEPGL et les
autres organisations régionales, surtout l’East Africain Community, qui
avance à grands pas. C’est de cela que le chef de l’Etat français a
parlé. Il a peut-être dit tout haut, trop tôt, ce que
d’autres pensent tout bas.

Je dirais
donc, finalement, que l’heure est à l’initiative, pourvu que l’on
n’évite pas les sujets qui fâchent. Celui relatif aux frontières
nationales arbitraires imposées par Berlin en 1885 est de ceux-là. Il
faudra bien un jour crever l’abcès.

 

LA :
Concernant la région africaine des Grands Lacs, on parle beaucoup des
relations difficiles entre la RDC et le Rwanda, mais très peu du
Burundi, qui est pourtant au cœur de cette région. Pourquoi ?

DH :
Vaste question. On observe, depuis près de vingt ans, une absence de la
part de nos élites dirigeantes d’une vision réaliste face à la
situation globale. Ayant joué à l’époque un rôle d’envoyé spécial du
gouvernement, chargé de défendre les intérêts de l’Etat après
l’assassinat du président Ndadaye, je témoigne que des soutiens
incroyablement importants ont été obtenus dans la communauté
internationale. Mais ces soutiens se sont révélés inopérants, la
capacité de réaction des nouveaux dirigeants étant demeurée inadaptée à
la situation.

Or, pendant ce temps, les ténors de l’ancien establishment,
jouant avec une détermination consommée et impitoyable sur les intérêts
ethno-corporatistes responsables de la logique de guerre, ont dominé
l’espace de la communication. Cette dominance a pris corps tant dans
les esprits que sur le terrain des affrontements, jusqu’à une date
encore récente…

Le silence sur le Burundi s’érige en une sorte de black out,
organisé, appuyé, « stratégisé », dirais-je, sous la forme
d’une nouvelle arme de guerre exploitée à l’échelle régionale. Par
contre, malgré ce déficit, une évidence reste saisissante : mon
pays reste le dernier carré de résistance globale à une logique
guerrière dans la région. Combien s’aperçoivent-ils, par exemple, que
le plan Laurent Nkunda, qui fut utilisé pour faire main basse sur le
Kivu, a définitivement échoué ? Combien savent-ils, en
l’occurrence, que la spécificité de la donne intra-burundaise a
largement contribué à consommer cet échec et que tous les calculs
qui font fi de cette évidence sont voués au même échec ?

 

LA : Quelle relation économique le Burundi entretient-il avec ses voisins ?

DH :
Vis-à-vis de l’est de la RDC, le Burundi a l’avantage d’avoir une
infrastructure routière et aéroportuaire, ainsi qu’un réseau de
télécommunication appréciable depuis de longues années, ceci même
pendant les années de guerre. Il présente aussi l’atout d’avoir un
minimum de services administratifs, dans une capitale, Bujumbura,
érigée au bord d’un Lac Tanganyika qui vous connecte à l’Afrique
australe avec facilité.

« Le silence sur le Burundi s’érige en une sorte de black out, organisé, appuyé, “stratégisé”, dirais-je, sous la forme d’une nouvelle arme de guerre exploitée à l’échelle régionale. »

Le fait aussi que ce pays ne se soit jamais
fourvoyé dans les rivalités Est-Ouest, quand il y en avait encore,
restant simplement une sorte de no man’s land, un vrai
non-aligné, vierge si l’on regarde les querelles encore vives entre
anglo-saxons et francophiles, lui permet d’affirmer un bon voisinage
remarquable. Bujumbura est d’ailleurs sur le plan bancaire et postal
notamment, une sorte de capitale économique régionale reconnue. C’est
sans doute pourquoi la Banque centrale de la ZEP (Zone préférentielle
d’échange) a dû se réinstaller ici il y a plusieurs mois, lorsque la
guerre a commencé à diminuer d’intensité. C’est sans doute aussi
pourquoi toutes les chancelleries qui comptent préfèrent y installer
leur point de chute dans la région, délocalisant leurs bureaux de
Nairobi. La présence dans cette même capitale du secrétariat exécutif
de la Conférence internationale sur les Grands Lacs a été encore plus
expressive sur ce point.

 

LA : Quel est, sur le plan régional, l’enjeu des élections de 2010 au Burundi ?

DH :
En 2010, l’enjeu pour le Burundi et pour la région ce sera d’avoir un
candidat porteur d’un projet clair, qui soit en mesure de favoriser la
cohabitation pacifique entre les Etats alliés et ennemis de la région
et qui apporte en termes encore plus clairs une place visible à la RDC
dans toutes les dynamiques régionales, dont ce grand pays s’est trouvé
volontairement exclu ou mal pris en compte, suite aux rivalités
géopolitiques organisées à cet effet.

Propos recueillis par Dominique Flaux

 

Ecrivain
et spécialiste en études diplomatiques et stratégiques, formé à Paris,
M. Hakizimana est depuis 1996 Président fondateur de l’organisation
CIRID (Centre indépendant de recherches et d’initiatives pour le
dialogue), institution bénéficiaire d’un statut consultatif spécial
auprès des Nations Unies.

 

(*) Nicolas Sarkozy : « Il
faudra bien qu’à un moment ou un autre il y ait un dialogue qui ne soit
pas simplement un dialogue conjoncturel, mais un dialogue
structurel : comment, dans cette région du monde, on partage
l’espace, on partage les richesses et on accepte de comprendre que la
géographie a ses lois.
 »

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