01.11.09 Syfia GL: Le Parc des Virunga menacé de déclassement par l'Unesco

 Syfia Grands Lacs(SGL) :
Présentez-nous brièvement du Parc des Virunga et sa
richesse.

Emmanuel de Mérode (EdM ): Créé en 1925, le
Parc naturel des Virunga est situé à l'Est de la RD du Congo, à la frontière du
Rwanda et de l'Ouganda. Il couvre une partie des territoires de Rutshuru et
Lubero, au Nord-Kivu, et s'étend sur une superficie de 800 000 ha. Il est
considéré comme le plus riche d'Afrique, voire au monde en termes de nombre
d'espèces de mammifères, des reptiles et d'oiseaux. C'est en raison justement de
sa valeur biologique que le Parc appartient depuis 1994 au Patrimoine mondial en
péril de l'Unesco. Mais, avec la disparition de certaines espèces, ce statut
n'est plus garanti pour les années à venir.

 

SGL : La menace est
réelle?

EdM : Tout à fait, ce statut n'est pas
acquis définitivement. Si le parc venait à perdre sa valeur biologique, il
serait tout naturellement déclassé. La situation est réévaluée chaque année,
lors de la réunion du comité du Patrimoine mondial de l'Unesco. La menace de
déclassement est bien réelle et, à l'Institut national congolais de Conservation
de la Nature (Iccn), nous en sommes conscients. Nous cherchons des solutions
pour écarter ce risque. Pour l'instant, le parc survit et nous assistons même à
la multiplication de certaines espèces, comme les gorilles de
montagne.

 

S.G.L : Sur quels critères se fonde le
comité de l'Unesco pour déclasser le Parc des Virunga
?

EdM : A cause d'une baisse du nombre
d'hippopotames dans le lac Edouard. De 27 000 en 1970, le chiffre est tombé à
300 aujourd'hui. Même constat pour les éléphants dont la diminution est de 90%
et d'autres animaux encore. En cause, l'occupation anarchique par les riverains
et les groupes armés locaux ou étrangers mais surtout le braconnage. L'Iccn
fournit des efforts considérables pour préserver la faune et la flore de cet
endroit magnifique. Ce qui a d'ailleurs déjà coûté la vie à 130 gardes, victimes
des braconniers.

 

SGL : Si le comité décide d'exclure le Parc
des Virunga, comment allez-vous réagir, sur le plan de
l'organisation?

EdM : En terme d'organisation interne, le
Parc de Virunga va continuer à fonctionner, avec le personnel, pour la plupart
des agents mis à notre disposition par le gouvernement congolais. Mais, sur le
plan extérieur, le déclassement du Parc pourrait entraîner le retrait de
bailleurs de fonds comme l'Union européenne. Et là, nous serions obligés de
trouver d'autres ressources pour faire face aux coûts de l’entretien de ce
patrimoine.

 

SGL : Quels actions avez-vous entreprises
pour vous en sortir?

EdM : Beaucoup de choses peuvent et doivent
être faites. Nous avons constaté que la méthode policière pour lutter contre la
dévastation forestière n'a pas porté ses fruits, au contraire. Nous avons
investi 80 000 $ afin de fournir un appui aux populations riveraines du Parc des
Virunga. C'est dans cet esprit que nous avons réalisé des infrastructures comme,
par exemple, le barrage de Mutwanga et la construction de 12 écoles dans les
territoires de Rutshuru et Lubero. De même que la réhabilitation de
70 km de
route pour désenclaver la localité de Watalinga. Cette route favorise le
développement du tourisme dans le Parc. Depuis le mois de mai de cette année,
nous rétrocédons 30% des recettes du tourisme aux populations
locales.

A Rutshuru, nous avons également lancé un
projet de fabrication de briquettes combustibles qui marche bien, avec
l'encadrement de 3000 personnes. Ce programme est très important à nos yeux car
si, dans les 5 années à venir, rien n'est fait pour répondre aux besoins
énergétiques des populations, le déboisement risque de décimer tout le secteur
sud du Parc.

 

Emmanuel de Merode un prince belge au milieu
des gorilles

 

Il parle le français avec un drôle d’accent
anglais. Issu d’une célèbre famille belge de la grande noblesse, cet
anthropologue biologiste est le fils puîné de Charles-Guillaume, le “ chef ” de
la famille de Mérode. Le prince Emmanuel de Mérode est né en Tunisie, a suivi
ses parents travaillant pour les Nations Unies aux Etats-Unis avant d’atterrir
avec eux au Kenya. Il est marié à Louise Leakey, une célèbre paléontologue
américaine avec qui il a eu deux filles Seiya et
Alexia.

 

Le 13 août 2008, Emmanuel de Mérode a été
nommé par le gouvernement congolais directeur du parc national de Virunga. Il
s’agit du premier directeur blanc depuis les années 70. Le Virunga doit sa
célébrité aux nombreux gorilles de montagne qui y vivent… et au film “ Gorillas
in the Mist ”. Rappelez-vous, Sigourney Weaver y campait le rôle de Dian
Fossey.

 

Vingt ans plus tard, l’avenir des gorilles
peuplant encore ce parc est toujours aussi noir. Victimes de la déforestation,
ils sont encore la cible des nombreux miliciens qui tirent profit du commerce de
la vente du charbon de bois. Pire, l’été 2008 , sept d’entre eux ont été tués
sur l’ordre de l’ancien directeur. Ce dernier trempait dans des magouilles
diverses, dont le commerce lucratif du charbon de
bois.

 

Métier
dangereux

 

Emmanuel de Mérode est conscient d’exercer
un métier dangereux. “ Je ne voyage jamais de nuit. Je ne me rends jamais dans
les régions dangereuses ”, explique-t-il depuis le Congo. Le Belge ne voit que
rarement son épouse et ses filles, restées à Nairobi. Lors de ces quinze
dernières années, 120 surveillants du parc ont été abattus, soit un surveillant
sur… cinq. “ L’endroit est très dangereux, en effet.

 

Et, cachés dans les bois, il y a les
malheureux gorilles qui risquent bientôt de ne plus rien avoir à se mettre sous
la dent. “ Si le commerce illégal du charbon de bois continue, il n’y aura plus
de gorilles de montagne dans deux ans. C’est maintenant ou jamais ”, poursuit
Emmanuel de Mérode. “ En quatre années, la population de la proche ville de Goma
a doublé. Les gens ont besoin de bois pour cuire les aliments, pour se chauffer.
Heureusement, nous avons une solution ”. Planter des arbres et attendre qu’ils
grandissent? Cela prendrait trop de temps. “ Nous promouvons l’utilisation de
briquettes organiques, faites d’herbes ou de feuilles broyées. La population est
réceptive… car cela coûte moins cher que le charbon de bois.

 

Reste à trouver les 200.000€/an nécessaires
pour assurer la production de ces briquettes. “ 200.000€ pour
l’approvisionnement énergétique de 2 millions d’habitants, ce n’est pas
grand-chose ”, estime l’anthropologue qui a gardé de solides liens avec la
Belgique. “ Ma famille y vit, j’ai fait mon service militaire en Belgique et j’y
retourne régulièrement pour mon travail. ”

 

Le fait d’être prince, avoue-t-il, n’a
aucune influence sur son travail et sur sa vie au Congo. “ Mais je ne peux pas
dire que cela ne me fait rien. C’est mon nom de famille, cela fait partie de
moi. ”

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