05.11.09 Radio Okapi – Alain Le Roy : « La suspension de l'appui de la Monuc à la 213ème brigade des FARDC est conforme aux directives du conseil de sécurité»
Radio
Okapi : Alain Le Roy, vous venez de passer une semaine en RDC pour
évaluer lavancement du processus de paix, tel quannoncé à votre
arrivée. A quels résultats êtes-vous arrivé ?
Alain Le
Roy : énormément des changements très positifs. Comme vous le dites,
jétais venu lannée dernière exactement à la même période,
cest-à-dire début novembre. Et à lépoque, cétait une situation de
crise en particulier près de Goma lorsque le CNDP (NDLR : Congrès
national pour la défense du peuple, mouvement rebelle mené par Laurent
Nkunda, actuellement assigné à résidence au Rwanda) était très
menaçant. Cétait une période de tension très forte. Evidemment je peux
voir les grands progrès réalisés en un an. Cest vrai quil y a
beaucoup de choses à régler. Mais, on est vraiment sur la voie de
sortie de crise. Et le pays est sur la bonne voie. Les relations entre
la RDC et le Rwanda se sont vraiment améliorées. Les échanges
dambassadeur qui ont lieu entre les deux pays sont des très bons
symboles de lamélioration de la situation. Je crois quil y a beaucoup
de progrès dans la lutte contre les FDLR (NDLR : Forces démocratiques
pour la libération du Rwanda, mouvement rebelle rwandais dobédience
hutu). Tout ce qui a été fait pour la stabilisation de lest en appui
du STAREC (NDRL : Programme de Stabilisation et de reconstruction des
zones sortant des conflits armés), je crois quil y a beaucoup
déléments très favorables. Dans lintégration des groupes armés au
sein des FARDC, énormément des progrès ont été faits. Bien sûr, il
faudrait encore beaucoup plus pour arriver à une véritable armée
républicaine, professionnelle, et disciplinée. La Monuc est toute prête
à porter son assistance. Beaucoup de progrès sont été réalisés, mais il
en reste encore beaucoup à faire.
R.O : lors de votre
passage au Nord-Kivu, vous avez condamné le massacre de 62 personnes
civiles à Lukweti. Comme conséquence, la Monuc a suspendu son appui
logistique aux unités des FARDC mises en cause dans ce massacre.
Pourquoi cette décision au moment où il ny a pas eu denquête pour
établir les responsabilités ?
A.L.R : parce quil y
avait déjà des résultats très clairs dune enquête préliminaire menée
par le bureau conjoint des Nations unies pour les droits de lHomme. Et
là-dessus, les résultats qui nous ont été rapportés sont
malheureusement très clairs. Ils ont la preuve quau moins 62 civils
ont été tués par des éléments appartenant au 213ème brigade. Cest
évidemment un crime très important. Ce sont les directives de conseil
de sécurité qui disent que nous ne pouvons pas soutenir une unité qui
porterait atteinte aux droits de lHomme. Et là évidemment, cibler les
civils est un acte extrêmement grave. Et nous avons à lesprit la
politique de « tolérance zéro » du président de la République. Nous
avons suspendu immédiatement notre soutien à la 213ème brigade. Mais,
avant de prendre cette décision, nous avons informé toutes les
autorités militaires, le ministre de la Défense, le chef dEtat-major
général des FARDC. Mais, en même temps, avec les autorités militaires,
nous lançons une enquête conjointe détaillée pour établir lensemble
des faits. Et puis, nous allons déployer une base temporaire de la
Monuc à Lukweti pour à nouveau rassurer les citoyens sur place.
R.O
: mais le gouvernement qui est partenaire de la Monuc dans les
opérations Kimia II, par son porte-parole, a estimé que cette décision
était unilatérale…
A.L.R : cest vrai que
cest une décision de la Monuc, à nouveau qui applique les directives
du conseil de sécurité qui dit que nous pouvons soutenir les opérations
de FARDC sil y a planification conjointe et sil ny a pas violation
des droits de lHomme ou du droit humanitaire international. Nous
sommes dans ce cas là. Cest une décision de la Monuc qui correspond
aux directives du conseil de sécurité, mais nous avons pris soin
dinformer les autorités congolaises.
R.O : votre
séjour en RDC coïncide avec la publication de ce nouveau rapport de
Human Rights Watch sur la multiplication des atrocités commises par les
FARDC dans le cadre de lopération Kimia II dans lEst de la RDC. Et
cette ONG demande à la Monuc de suspendre son soutient aux FARDC faute
de quoi elle risque dêtre impliquée dans des nouvelles atrocités.
Votre point de vue ?
A.L.R : je sais bien
que cest une question très complexe. Mais en même temps nous avons un
mandat du conseil de sécurité pour assister les FARDC afin de désarmer
les groupes rebelles, en particulier les FDLR. Ça, cest parfaitement
clair ! Et tout récemment, le conseil de sécurité nous a renouvelé son
soutien dans cette action dappui aux FARDC dans leur action militaire
contre les FDLR. Mais, il y avait des limites très précises : il faut
quil y ait planification conjointe. Cest le cas. Il faut aussi
quaucune unité ne se livre pas à des violations des droits de lHomme
ou du droit humanitaire international. Mais évidemment cest une
question très compliquée. Nous avons limpression que si nous
supprimions tout soutien à lopération Kimia II, ce ne sera pas au
profit des civils. Jai visité moi-même plusieurs sites au Nord-Kivu et
au sud-Kivu. Cest vrai que les populations civiles apprécient
énormément la présence de la Monuc pour contribuer à se sentir
rassurées et protégées. Le soutien à lopération reste important et la
présence de la Monuc dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu reste essentielle
R.O : un extrait de ce rapport stipule, je cite : «
la volonté persistante de la Monuc dapporter son soutien à des
opérations militaires pendant lesquelles sont commises des exactions
limplique dans des violations des lois de la guerre.» Comment y répondez- vous ?
A.L.R
: la question a été débattue récemment au conseil de sécurité, le 16
octobre dernier. Le conseil de sécurité a réaffirmé son soutien à la
Monuc sur ce plan. Néanmoins, le conseil de sécurité a précisé que
lorsquil y a violation des droits de lHomme, nous devons suspendre
notre soutien. Nous avons suspendu notre soutien à la 213ème brigade.
Et nous discutons avec les autorités militaires pour que ceci ne se
reproduise pas. Et je suis sûr que les autorités militaires aussi sont
conscientes que cette situation inacceptable à Lukweti ne doit pas se
reproduire pas. Sinon, la Monuc sera obligée de suspendre son soutien.
R.O
: un auditeur de Radio Okapi, professeur à luniversité de Kisangani,
pense que la Monuc travaillant avec les FARDC lui apporte son appui en
les accompagnant dans leurs opérations. Je voudrais savoir où étaient
les forces de la Monuc lorsque se commettaient les crimes ? Si la Monuc
appuyait les FARDC pendant cette période, quelle serait sa part de
responsabilité dans ces crimes ?
A.L.R
: question évidemment très compliquée. La Monuc fournit planification
conjointe, nourriture, carburant dans certains cas et soutien
logistique. Nous ne pouvons pas être partout en même temps. La Monuc
cest au total 20.000 hommes ; alors que les Kivu cest environ
10.000.000 dindividus. Nous ne pouvons pas être partout où opèrent les
FARDC qui sont plus nombreuses.
R.O : vous vous êtes
aussi rendu à Kigali. Certains observateurs pensent que la solution au
problème des FDLR passe par lorganisation dun dialogue inter rwandais
sous limpulsion de la communauté internationale. Quen pensez- vous ?
A.L.R
: je crois que ce qui est essentiel est que le Rwanda continue à
assurer la condition de rapatriement des FDLR au Rwanda. Plus de 1.200
combattants FDLR et leurs familles sont déjà rapatriés au Rwanda. Il
faut permettre que les conditions daccueil de ces FDLR au Rwanda
encouragent dautres combattants aussi à y retourner. Le Rwanda
travaille dans ce sens. Il faut justement quil continue pour faciliter
le travail de DDRRR (NDLR : le processus de Désarmement,
démobilisation, rapatriement, réintégration et réinstallation).
R.O
: beaucoup dorganisations des droits de lHomme pensent que les
Nations unies doivent agir pour larrestation des officiers FARDC cités
dans des rapports accablants, comme Bosco Ntaganda. Que fait la Monuc
dans ce sens ?
A.L.R : la Monuc continue
de discuter avec les autorités congolaises sur ces différents points.
Nous sommes contre limpunité quant à tous ceux qui sont accusés ou
seraient accusés de crime de guerre. Nous sommes notamment heureux de
la politique de « tolérance zéro » initiée par le président Kabila. A
présent, il faut que lappareil judiciaire suive avec des inculpations,
là où il le faut.
R.O : lorsque vous dites que le mandat de la Monuc doit être adapté au nouveau contexte. Quest-ce que cela veut dire ?
ALR
: lannée dernière lorsque le mandat actuel a été adopté, le CNDP
constituait encore une menace militaire très forte notamment contre la
ville de Goma. Le contexte a changé. Le CNDP a commencé à sintégrer
dans larmée congolaise. La résolution du conseil de sécurité doit
tenir compte de ce contexte. Mais, je pense quen décembre lorsque le
conseil de sécurité se prononcera sur les tâches de la Monuc, elles
resteront globalement les mêmes.
R.O : A quand le départ de la Monuc ?
A.L.R
: cest une discussion que nous aurons avec les autorités, le président
de la République notamment. Tout ce que je peux vous dire cest que
tout le monde est daccord pour reconfigurer le mandat de la Monuc afin
de la concentrer à des taches essentielles pour consolider la paix.
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