Pygmées en Afrique : un choix perturbé (Cikuru Batumike)

"pygmée1.jpg"Ces derniers ne sont pas les seuls à faire les frais
de cette fausse perception de leur existence: ils connaissent le sort
réservé à d'autres minorités, pour lesquelles l'Organisation des
Nations Unies instituait "1993: année Internationale des Peuples
Autochtones". Cette initiative officielle sur la question des peuples
marginalisés complétait des propositions et des actions privées des
personnalités et des citoyens de tout bord prêts à faire valoir et à
défendre l'existence et l'apport culturel des personnes oubliées, où
qu'elles se trouvent, dans la marche du monde. Il s'agissait de
dénoncer le silence dans lequel restent plongés "ces gens-là",
particulièrement ceux habitants dans des régions difficilement
accessibles et, par voie de conséquence, de combattre les injustices
dont elles furent longtemps victimes. Aujourd'hui, les pygmées quittent
de plus en plus la forêt, par contrainte ou par choix, abandonnant leur
mode de vie. Le point.

Bambuti
(les pygmées); "Les plus petits de l'espèce humaine", comme on les
appelle, vivent en majorité dans la forêt de l'Ituri (Afrique
centrale), à l'instar des Efe des Lese
et des autres. Ils constituent l'un des 300 millions des peuples
autochtones recensés de la planète (repartis dans plus de 70 pays). On
ignore jusqu'à leur  existence, en dépit du fait qu'elle est attestée
depuis l'antiquité et que ces femmes et  hommes sont dotés de toutes
les capacités qui élèvent n'importe quel être humain au-dessus de
l'animal. Le problème de fond, c'est qu'il nous manque de sens critique
et, surtout, ce petit quelque chose qui permet à l'Homme d'adapter son
degré d'amour aux circonstances, de défier le racisme. Les pygmées
connaissent le sort réservé aux autres minorités (Amérindiens, Inuits, Aléoutes, Saami, Aborigènes, et autres Maori).
"L'année internationale des Peuples Autochtones" décrétée en 1993 par
les Nations Unies n'a pas suffisamment réussi à les sortir de
l'incognito. Des conventions internationales plaident pour leur éveil
politique (question de les représenter dans des instances de prise de
décisions dans la société où ils vivent). Des personnalités de tout
bord se font leur avocat et oeuvrent pour que cesse l'isolement auquel
ils sont contraints, aux plans scolaire, culturel, économique et
politique.

Plus de 50 ans après la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, d'aucuns restent
indifférents à leur sort. Les pygmées sont négligés et demeurent les
plus  vulnérables de la planète. Différents éléments, tels le
colonialisme, la propagation des religions non autochtones,
l'exploitation servile de main d'oeuvre, le racisme et  les préjugés
(on les affuble des qualificatifs aussi stupides qu' ignominieux:
animaux, êtres surnaturels et imaginaires) n'ont pas contribué à leur
émancipation.  Ils  survivent comme ils le peuvent, pratiquement sans
droits, en matières de propriété des terres, de respect, de
reconnaissance de leurs cultures, modes de vie et de propriété des
terres. En effet, l'avancée du développement industriel (mise en coupe
des forêts tropicales, construction des routes, exploitations minières,
etc.) ont conduit à la confiscation de leurs terres, les ont coupés de
leurs modes de vie traditionnels, précipitant, à l'occasion, leur
extinction. Or donc, cette mise à l'écart projette à la face du monde
des contradictions dont sont faites nos sociétés "développées". Il est
paradoxal que les données sur l' environnement tel le réchauffement de
la planète, la désertification et autres raréfactions de la couche
d'ozone soient la priorité des divers mouvements dits
"tiers-mondistes", et que les mêmes mouvements observent un silence
complice sur le combat à mener pour la défense de cette minorité-là. 
Au fait, ils restent inintéressants tant qu'ils ne pourront drainer,
pour nos sociétés de consommation, des capitaux…ou des voix
électorales. Certes, on s'en soucie moins dans des grandes
organisations internationales, mais, il est des voix qui s'élèvent pour
donner sa dignité à ce peuple ignoré.

Les sortir de la forêt

En
effet, le pygmée a la principale caractéristique de vivre en symbiose
avec le milieu forestier. Là-bas, on le sait, chasseurs et cueilleurs
font cause commune; leur existence réglée dans leur rapport avec le
cosmos est rythmée d'un brin de magie: Leur connaissance profonde de la
forêt (faune, flore, plantes médicinales), leur aisance à s'y déplacer,
à s'y orienter font qu'ils sont craints pour ce qui touche le milieu
forestier. Des balozi (sorciers), disaient nos grands-parents, tant et
si bien que dans le réalisme magique des pygmées se mêlent des choses
extraordinaires, invraisemblables, incontrôlables et inconnaissables:
sorcellerie, mythes, recours constant au monde des disparus et autres
superstitions avec en toile de fond cette capacité qu'ils ont à se
rendre invisibles. C'est connu de par le monde, leurs chants
polyphoniques ont toujours fait merveille.  Certes, les pygmées ont un
sens d'initiative, un goût de responsabilité et apportent beaucoup à
leur communauté. Mais, leur vie reste marquée par divers problèmes
d'ordre existentiels. En effet, plusieurs éléments restent d'actualité,
tels l'urgence imposée pour une saine protection de la faune; le souci
de rompre leur isolement, d'améliorer leur situation, de reconnaître
leur existence légale, de les arracher des mains de propriétaires qui
en faisaient des esclaves et autres raisons de morale et d'humanité.
Les nombreuses démarches de sensibilisation autour de la cause pygmée
ont poussé des autorités politico-administratives de certains pays de
les sortir de  la forêt pour les installer près des routes.

"congoloese-woman3.jpg"Vie nouvelle, problèmes nouveaux

Or
donc, loin des profondeurs d'une culture originale, les pygmées
connaissent peu à peu les contraintes de vie imposées par le monde
extérieur. Il y a de la mutation dans l'air. C'est connu, loin de la
forêt, ils bénéficient d'alternatives d'économie à la portée de
n'importe qui;  ils peuvent mener une vie plus sédentaire que mobile et
pratiquer une agriculture de subsistance dictée par les changements de
l'environnement. Ils savent qu'ils doivent en payer le prix:
l'utilisation d'entrants d'origine industrielle (engrais) ou biologique
modifiée (d'autres variétés) exigent des moyens différents de ceux
jusque là utilisés dans leur agriculture traditionnelle. Aussi, tout
changement de mode de vie appelle des notions nouvelles de
responsabilité, une autre façon d'organiser le travail des membres de
la communauté, des nouveaux avantages et des inconvénients divers. En
effet, dans un tout nouvel espace de vie, les pygmées font face à
d'autres aspects de conflits de cohabitation, particulièrement avec la
nouvelle génération qui semble revendiquer d'autres manières de
comportement.  Il est vrai que, dans le cadre des nouvelles formes de
communication, la maîtrise de l'écriture et celle des mathématiques
dans les écoles n'est plus un secret pour eux. L'usage de  la médecine
dite moderne, l'accès aux soins de santé, aux médicaments et autres
vaccins qui leur faisaient défaut est devenu possible. La monnaie est
là, qu'on doit gagner pour répondre aux besoins alimentaires de plus en
plus grandissant. La découverte des bénéfices à tirer de l'exploitation
des diamants a vite fait de montrer ses revers: une incitation aux
jeunes à négliger la chasse. La forêt abandonnée derrière eux, n'est
pas en reste: aujourd'hui sujet de déboisements sauvages et
d'exploitations commerciales qui y ont été intensifiées, elle offre le
spectacle des espaces couverts de plus en plus réduits.

Que faire des pygmées restés dans la forêt ?

Éloigner
les pygmées de la forêt, les reconnaître en tant que partie prenante de
la société et les associer à son fonctionnement, est une chose. Leur
ouvrir la brèche sur la vie extérieure, tout en tenant compte de leurs
réels besoins, de leur manière d'être et de leurs racines culturelles
reste un impératif.  Ces hommes et femmes qu'on a prétendu, à tort,
sauvages, primitifs, font preuve  d'une culture dont la richesse et
l'inventivité sont extraordinaires. La nouvelle société doit à la fois
accepter cette autre culture et laisser aux nouveaux venus le temps
d'appréhender d'autres sensibilités, loin de toute imposition violente.
En effet, soumis au passage d'un espace de vie à un autre ils ne
peuvent qu'être confrontés aux bouleversements inhérents à toute
cohabitation. Ils doivent savoir se démarquer des pièges aux relents
colonialistes, ne pas être contraints de garder à tout prix leurs
traditions pour satisfaire quelques curieux et touristes en mal
d'exotisme. Mais que faire des pygmées restés dans la forêt ?  On le
sait, tous les pygmées ne quittent forcément pas la forêt pour aller
s'installer au bord des routes. Certains d'entre eux ont fait le choix
de rester dans leurs lieux de vie: la forêt : Mbuti (à l'Est de la R.D.Congo, groupe composé des Efè, Assua et Mbuti), Kola ou Gyeli (au sud-ouest du Cameroun), Baka (au sud-est du Cameroun, au nord du Gabon et au nord-ouest du Congo), Aka et Mbenzele (en république centrafricaine et au nord du Congo), Bongo ou Kou (au Gabon et à l'ouest du Congo) et Twa
(au Rwanda, Burundi, sud-est et centre-ouest de la R.D.Congo). Ils y
gardent les mêmes habitudes , respectent leur mode de vie traditionnel
en terme d'alimentation, de savoirs  dans la gestion des ressources de
la forêt (plantes médicinales et condimentaires) et de culture
(certains groupes restent liés par le mariage, les échanges des
enfants, les rites traditionnels, la danse, la musique). En dépit d'une
existence en autarcie, la "civilisation de consommation" semble s'être
invitée chez les pygmées.  Eux qui vivent de la cueillette et de la
chasse n'ont pas longtemps résisté aux appels de l'extérieur tant
qu'ils y tirent un intérêt, mais sans jamais prôner la perte de leur
identité. Les pratiques d'échanges existent toujours. Des petits
groupes qui vivent dans des campements à proximité des villages
continuent d'aller chercher, dans les villages alentours, des matériels
tels les couteaux, les fers de hache ou de lance utiles à leur
travail.  Des ONG passent par là, qui s'intéressent à eux: dorénavant,
les pygmées comptent leurs Centres de formation pour enfants appelés à
consolider des cultures qui disparaissent au fur et à mesure que la
forêt s'en va.  Des programmes d'assistance viennent les épauler pour
faire face aux difficultés d'ordre divers: accès à la terre et son
amélioration, promotion de l'agriculture durable par la sensibilisation
sur les techniques de fabrication et sur l'utilisation des engrais,
fongicides et pesticides naturels permettant la réduction du rythme de
déforestation et de dégradation des sols causés par l'agriculture
itinérante sur brûlis.

D'autres
initiatives sont prises pour les accompagner à toujours mieux améliorer
leurs conditions de vie:  établissement de l'auto-suffisance
alimentaire par le développement d'activités génératrices de revenu
(agriculture, apiculture) et lutte contre des maladies graves par
l'accès aux vaccins.  D'autres actions des ONG permettent de combattre
l'asservissement dont les pygmées sont l'objet de la part des Bantous
(ceux-ci ont trouvé auprès de ces populations minoritaires une main
d'oeuvre bon marché, à la limite de l'esclavage). Autre élément majeur
des soucis des pygmées: depuis un laps de temps leur milieu se dégrade
du fait de la consommation exagérée de bois (chantiers d'abattage,
plantations industrielles), de la conquête de ce qui reste de terres
agricoles, de l'implantation des mines d'or ou de diamant. Des
changements conjugués qui privent les habitants de la forêt aussi bien
de leurs sources d'alimentation, de leur vie que de leurs références
culturelles. Ils les contraignent à se réfugier dans les derniers
espaces disponibles et compromettent leur choix d'y rester. Quid des
lendemains et de leurs cultures et  des richesses d'une forêt non
préservée ?

C.B.

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