2001 Ces enfants-soldats qui ont tué Kabila…
On les a surnommés les "petits hommes verts" par
référence à la couleur de leurs bottes. A Kinshasa, on les connaît
mieux sous le nom de "kadogos", les "enfants-soldats". Ils ont
accompagné le président du Congo depuis les premiers jours de la
rébellion contre Mobutu. Lont gardé. Puis lont tué. Par désespoir,
dans une tentative de putsch brouillonne et vouée à léchec, comme le
démontre le document que "Le Monde" a pu se procurer. Ils nétaient
téléguidés par aucune puissance étrangère, et Rachidi Kasereka,
présenté comme le meurtrier par le nouveau pouvoir, nétait quun
comparse. Les vrais assassins courent encore. Une enquête de terrain
qui plonge aux racines du drame congolais.
IL a été lun de ces « petits hommes verts » qui
ont porté au pouvoir Laurent-Désiré Kabila. En octobre 1996, quand la
rébellion contre le maréchal Mobutu sest mise en route depuis lest de
lex-Zaïre, ils étaient quelques centaines. Puis, chemin faisant, ils
sont devenus des milliers. Sur plus de 1 500 kilomètres à travers un «
pays-continent » – léquivalent de la distance qui sépare Varsovie de
Paris –, ils ont marché tels des métronomes, flottant dans leurs
uniformes vert olive, pieds nus dans leurs bottes en caoutchouc. Ils
étaient jeunes, très jeunes. Parfois, ils navaient pas même dix ans.
Quand ils sont entrés dans Kinshasa, le 17 mai 1997, sans coup férir et
toujours en marchant en longues colonnes, les habitants de la capitale
les ont surnommés « kadogos », les « enfants-soldats ». Ils nétaient
pas les artisans de la victoire de Laurent-Désiré Kabila, le rebelle,
mercenaire des pays voisins qui voulaient en finir avec Mobutu et
mettre la main sur le pays. Mais les « kadogos » ont été le symbole
national de son triomphe, licône de son régime.
« Petit homme vert », A.L. est devenu
sous-lieutenant. Il a vingt-sept ans et, depuis le 16 janvier, cest un
homme traqué. Ce jour-là, il était posté à lextérieur du Palais de
marbre, la présidence à Kinshasa, à la tête des trente-cinq hommes de
sa section. Deux conjurés sétaient introduits à lintérieur du
bâtiment. Quatre autres se tenaient aux abords dune porte, prêts à
intervenir. Ils ont tous entendu les premiers tirs, puis dautres, de
mauvais augure, auxquels ils sattendaient également. « Les quatre à la porte sont entrés dans le bâtiment. Ils ont ouvert le feu pour couvrir la retraite du binôme », explique A.L., très professionnel. «
Mais Rachidi nest pas ressorti. Nous autres, nous avons couru sur
environ 300 mètres, jusquà lendroit où nous avions laissé nos six
véhicules. Ensuite, nous nous sommes dispersés en ville. »
Depuis, les assassins de Laurent-Désiré Kabila sont
en fuite, ils se cachent. Certains dentre eux se sont revus, dautres
se parlent au téléphone portable, quelques fractions de seconde, par
peur des écoutes. Trois, au moins, ont traversé le fleuve pour se
mettre à labri en face, à Brazzaville. Combien ont été arrêtés ? A.L.
lignore, « sauf pour Rocky », un de ses camarades victime dune dénonciation.
Le sous-lieutenant a peur, mais ne lavouerait jamais. « Nous avons toujours été orphelins à Kinshasa »,
dit-il simplement, dans un anglais à peine meilleur que son français.
Son père, une figure de la rébellion au début des années 1960, a dû
fuir Kisangani quand la capitale de lEst, sur la boucle du fleuve
Congo, a été investie par des mercenaires à la solde du Mobutu. A.L. a
grandi en Ouganda. En 1986, à lâge de treize ans, il y rejoint les
maquisards victorieux de Yoweri Museveni, leur chef, qui sinstalle à
la présidence ougandaise.
Depuis, ce scénario sest répété et, chaque fois,
l« enfant-soldat » a été de la partie. Entre 1990 et 1994, il combat
dans les rangs de la diaspora tutsie qui rentre manu militari au
Rwanda. Le général Paul Kagamé prend le pouvoir à Kigali. A.L. y fait
la connaissance de Joseph Kabila, le fils du futur président congolais
– et successeur de son père depuis le 16 janvier. « A partir de
1995, Joseph Kabila sest occupé de mon unité. On se connaît bien. Je
le fréquentais aussi à Kampala, où il habitait le quartier Gaba Beach,
pas loin de chez moi. »
Une multinationale de la rébellion sest mise en
place. Les « kadogos » sont ses janissaires. Pour la prochaine
opération, au pays du maréchal-président Mobutu, la multinationale se
donne pour nom Alliance des forces démocratiques pour la libération du
Congo-Zaïre (AFDL). Ce mouvement est fondé le 18 octobre 1996, dans
lest de lex-Zaïre, par Laurent-Désiré Kabila, Déogratias Bugera, Anselme Masasu Nindaga et André Kisase Ngandu. Seul ce dernier, chef du Conseil national de résistance pour la démocratie (CNRD),
un groupuscule dopposition à Mobutu qui sert de référence politique
aux « kadogos », dispose de ses propres troupes. André Kisase Ngandu
est assassiné, début janvier 1997, à linstigation de Laurent-Désiré
Kabila, le porte-parole de lAFDL qui devient alors président du
mouvement. Kabila dépend entièrement des « forces amies », au départ
des soldats rwandais et ougandais. Il se partage lAFDL avec les deux
cofondateurs restants en nommant Bugera secrétaire général et Masasu
chef détat-major général, cest-à-dire, de fait, seulement « père »
des « kadogos », puisque les unités combattantes du Rwanda et de
lOuganda échappent à son commandement. La rébellion congolaise mettra
quatre ans à dévorer ses enfants.
ABDOUL est soldat du rang. Comme tous les « kadogos
», il a usurpé le titre de « commandant » pour se donner de
limportance. Il vient dAru, une ville du Nord-Kivu, la province
frontalière du Rwanda et de lOuganda. « Jai marché avec Kabila, mais je savais que cétait un traître. »
Abdoul était membre du CNRD et na jamais pardonné le meurtre dAndré
Kisase Ngandu. Mais, à la marche triomphante sur Kinshasa succède la
prise de pouvoir dans la capitale. Tout semble réussir à Kabila. Quand
celui-ci rompt avec ses parrains rwandais et ougandais, pendant lété
1998, le « commandant » Abdoul est fier de lui. « Chez moi, dans le Nord-Kivu, les parents souffraient de loccupation rwandaise. Trop de gens y ont été massacrés. »
Au côté de Joseph Kabila, qui prend alors la tête de létat-major
général des forces terrestres, Abdoul intègre le service de
renseignement militaire à Kinshasa. Il se bat « pour la patrie » et « contre les envahisseurs tutsis ».
Les enfants-soldats de lEst deviennent des «
maï-maï ». Le mot swahili pour « eau » désigne, dans la partie
orientale du Congo, les défenseurs de la terre ancestrale qui
saspergent dun liquide magique pour se rendre invulnérables,
impénétrables aux balles. Le mélange entre « esprit de clocher »,
mysticisme et racisme est la caractéristique de ces milices
dautodéfense. Le commandant Abdoul, tout en épousant corps et âme leur
cause, la « lutte anti-tutsis », reste membre de la garde
présidentielle dans la capitale. « On ne connaissait personne à
Kinshasa. On était tout le temps avec Kabila. Il nous traitait mal,
mais, parfois, il venait aussi jouer avec nous aux dames. Nous navions
pas de salaire, tout venait de lui. Nous étions comme des mendiants. »
Quand un homme daffaires étranger, ami du président, met celui-ci en
garde contre ces « chiens fous » qui font partie de son entourage le
plus proche, Laurent-Désiré Kabila éclate de rire : « Mais non, ils ne me feront jamais rien. Ils sont avec moi depuis le début. Ce sont mes enfants. »
En janvier 2001, la coupe est pleine. Abdoul et
plusieurs de ses « frères » traversent le fleuve pour Brazzaville. Ils
font partie dun groupe décidé à passer à laction. Pour mettre toutes
les chances de leur côté, ils tiennent à prévenir certaines capitales
africaines, notamment Kampala. A lintention dun messager qui accepte
de convoyer leur avertissement aux autorités ougandaises, ils rédigent
un plan daction : trois pages à lencre bleue sur du papier quadrillé
décole. Abdoul a gardé le brouillon de cet avertissement, daté du 12
janvier.
Le messager, un Européen, confirme sa conformité
avec lécrit qui lui a été remis. Celui-ci est intitulé « Action Mbogo
Zéro ». En swahili, « mbogo » signifie « buffle », une référence à la
corpulence de Laurent-Désiré Kabila. Le message, en guise de
définition, débute ainsi : « Nous sommes des enfants qui sommes
passés par lécole de lOuganda par le truchement du CNRD sous légide
de Ngandu Kisase André et qui aujourdhui acceptons de revoir notre
ligne de conduite aux fins dinstaurer la démocratie dans notre pays. » Sensuivent quatre objectifs, dont le premier est « la chute physique de Kabila ».
Il sagit du plan dun coup dEtat, qui prévoit notamment « la neutralisation de toutes les forces dintervention ». Pour ce faire, sont recensés les éléments infiltrés en des lieux stratégiques, à commencer par le Palais de marbre (« Nos éléments : cent soixante-quinze de sa garde »)
jusquà la Société nationale délectricité, SNEL (« haute tension :
deux préposés officiels ») en passant par les « poudrières » (« cent soixante préposés avec consignes ») et la Cité de la Voix du peuple, la radio-télévision nationale (« seize éléments sur vingt »).
Après avoir fait état dun « agent de liaison », qui renseigne sur
lemploi du temps du chef de lEtat, le dernier paragraphe, intitulé «
Le temps imparti », conclut ainsi : « Dès la satisfaction du bureau logistique. Et ce jusquau 5 février suivant les éléments que notre agent nous a
prescrits au regard du programme de la Grande Cible. »
Quatre jours plus tard, Laurent-Désiré Kabila sécroule, mortellement atteint de quatre balles.
Peut-être le président congolais a-t-il signé son
arrêt de mort dès le 3 juin 2000. Ce jour-là, il se rend à Eldoret, au
Kenya, pour y rencontrer le général Kagamé, lhomme fort du Rwanda et
lennemi juré des « kadogos » originaires de lEst, sous occupation. En
acceptant la rencontre, Laurent-Désiré Kabila poursuit plusieurs buts à
la fois. Il vise à enfoncer un coin entre les alliés ougandais et
rwandais, des frères darmes qui sont en train de devenir des frères
ennemis. Il veut aussi gagner du temps pour stopper lavance sur
Kinshasa de Jean-Pierre Bemba, un chef rebelle soutenu par lOuganda,
qui opère depuis le Nord-Est et menace de descendre le fleuve vers la
capitale. De son côté, le général Kagamé exige larrêt de laide
apportée aux « interahamwes », les extrémistes hutus qui combattent son
régime depuis lest du Congo. Il se soucie aussi de la situation du
commandant Anselm Masasu Ningada. Le premier chef détat-major de
Kabila, accusé de préparer un « complot », avait été emprisonné en
1998, en compagnie de plusieurs officiers tutsis. Pour faire un geste
douverture envers Kigali, Kabila la libéré en mars 2000.
Même si les troupes rwandaises et ougandaises
saffrontent durement au mois de juillet à Kisangani, la stratégie de
Laurent-Désiré Kabila échoue. Parce quelle divise, aussi, son propre
camp. Ses alliés – lAngola, le Zimbabwe et la Namibie – napprécient
aucunement la rencontre dEldoret. De plus en plus isolé, de toutes
parts mis sous pression, Kabila saffole, cherche désespérément des
appuis. Dautant que lAngola, son principal soutien, se lance
également dans une diplomatie parallèle qui pourrait aboutir à un
renversement dalliances.
Dès lété 2000, Jean-Pierre Bemba, le chef rebelle
anti-Kabila, a manqué de rencontrer Eduardo Dos Santos, le président
angolais, qui séjourne alors à Nice. Au dernier moment, les services
français sy opposent. Ce nest que partie remise, à un autre niveau
mais toujours sur le sol français. Le 21 septembre, Bemba vient à Paris
dans un avion affrété par le colonel Kadhafi et rencontre dans la
capitale française Joao Miranda, le ministre angolais des affaires
étrangères. Dans la foulée, le chef détat-major de larmée angolaise
se rend à Kampala et son homologue ougandais effectue une visite retour
à Luanda, quelques semaines plus tard. Par-dessus le front congolais,
les « ennemis » angolais et ougandais se parlent.
« Kabila est en quête dun rapprochement avec les francophones »,
dit-on à lElysée, à la veille du sommet franco-africain à Yaoundé, qui
doit souvrir le 18 janvier et auquel le président congolais doit
assister. En fait, Kabila frappe surtout aux portes françaises. Il est
obsédé par une rencontre avec Jacques Chirac, dont il croit quelle
pourrait le sauver. LElysée nest pas insensible à ses sollicitations.
Des émissaires congolais sont reçus à la présidence française et un
rendez-vous secret est arrangé : le 12 janvier, Kabila aurait dû
rencontrer, dans la capitale nigérienne, Niamey, les missi dominici corréziens du président, Denis Tillinac et Christian Charazac.
LAMBASSADEUR de France au Congo ignore tout de
cette diplomatie parallèle, qui devait préparer une initiative
diplomatique de Jacques Chirac au sommet de Yaoundé – où était
également attendu le général Kagamé, quil devait y rencontrer pour la
première fois. Mais Kabila fait faux bond à Niamey, où pourtant tout
était prêt pour laccueillir : le tapis rouge, les drapeaux, une
fanfare militaire. Le matin du départ prévu, il aurait subi un «
malaise ». Quarante-huit heures plus tard, à lavant-veille du sommet
de Yaoundé, il est assassiné.
Le « Mzee », le « Sage », comme le président
congolais aimait à se faire appeler, avait-il appris quun complot se
tramait ? La question na guère de sens tant Kabila était depuis
toujours paranoïaque, et Kinshasa, depuis son arrivée au pouvoir, le
pandémonium dune conspiration permanente. Toutefois, nul ne pouvait
ignorer lambiance de fin de règne qui sétait installée dans la
capitale congolaise, dès septembre.
Pour la première fois, des militaires katangais –
originaires de la même province méridionale que le chef de lEtat –
sétaient alors affrontés entre eux. Le sang avait coulé, la reprise en
main fit dautres victimes. Le taux de change du franc congolais, par
rapport au dollar américain, sétait effondré, au point daccréditer
lidée dun « complot économique ». Puis une vraie conjuration est
découverte, fin octore. Elle implique le commandant Masasu, qui aurait
tenu des propos subversifs, le 27 octobre 2000, lors dune réunion de 1
200 « kadogos ».
Trois jours plus tard, il est arrêté. Il nest pas
le seul. Tous les cachots et, en particulier, les caves de limmeuble
de lex-groupe Litho Moboti (GLM) se remplissent de prisonniers, tous
originaires de lEst. Ils sont torturés, certains exécutés. Envoyés au
Katanga, le commandant Masasu et huit de ses compagnons sont passés par
les armes, le 27 novembre 2000, à 25 kilomètres de Poweto. Cest dans
cette localité que le régime subit, dix jours plus tard, une terrible
défaite qui lui est infligée par larmée rwandaise. 10 000 de ses
soldats senfuient, du matériel militaire, pour plusieurs millions de
dollars, est abandonné à lennemi. La rumeur de la mort de Masasu avait
désorganisé le front : tous les « kadogos » ont déserté.
Kinshasa, dimanche 14 janvier 2001. Le
sous-lieutenant Rachidi Kasereka, « kadogo » de la garde
présidentielle, prend la parole devant une petite vingtaine de « frères
» rassemblés chez lun deux. « Je vais tuer Kabila ! »,
lance-t-il crânement. Approbation générale. Une fois de plus, les «
enfants-soldats » ruminent leur amertume, échafaudent des plans de coup
dEtat. Seraient-ils passés à laction si, le lendemain, quarante-sept
militaires, originaires de lEst, navaient pas été exécutés en
présence de Laurent-Désiré Kabila ? « Il a lui-même abattu plusieurs dentre eux », croit savoir A.L.
Quoi quil en soit, depuis des semaines, la terreur
est devenue insupportable. A la tête de la Force dintervention
spéciale, le « commandant Eric », un Katangais, pourchasse civils ou
militaires venant des provinces de lEst. Alors les « enfants » de
Kabila décident le parricide sans se soucier de la suite. « On a cru quen tuant Kabila, tout sécroulerait »,
explique Abdoul. De toute façon, cétait leur seule carte. Brouillons,
sinon ridicules, leurs préparatifs de putsch organisé navaient jamais
eu de chance réelle daboutir.
Le mardi 16 janvier, lopération est déclenchée à
11 h 30. Rachidi Kasereka et un autre « kadogo » de la garde
présidentielle entrent dans le palais de marbre. A.L. et ses hommes ont
pris position à lextérieur du bâtiment. Rachidi nest pas de service
ce jour-là. Est-ce pour cette raison, ou parce quil flanche au dernier
moment, quil donne lordre à son subordonné de pénétrer, lui, dans le
bureau présidentiel ? Kabila y est seul en présence de son conseiller
économique, Emile Mota, assis en face de lui sur un canapé. Dautres
personnes, des visiteurs et le colonel Eddy Kapend, laide de camp du
président, se trouvent dans lanti-chambre attenante. Nelly, la
secrétaire de Kabila, nest pas loin. Le « kadogo » se glisse par la
porte-fenêtre arrière du bureau, fait un signe au président, comme sil
avait un message secret à lui glisser à loreille. Kabila ne se méfie
pas, se penche vers lui. Il est abattu de quatre balles, tirées à bout
portant : une dans le cou, deux dans le thorax, une dans la jambe. Son
corps massif sécroule. Emile Mota, en poussant des cris, se précipite
dans le couloir. Dans la confusion, le « kadogo » réussit à ressortir
du bureau. Mais Rachidi Kasereka, en couvrant sa fuite par des tirs de
barrage, se trahit. Cest alors lui qui est fauché par une rafale et
achevé par le colonel Eddy Kapend. Quant à lassassin du président, il
court toujours.
SUR la suite, les témoignages sont contradictoires.
Une fusillade confuse aurait éclaté, selon les uns ; le chef de la
garde et vingt-six de ses éléments de service auraient été exécutés
sur-le-champ, selon dautres. Seule certitude : Eddy Kapend prend la
situation en main. Ce fidèle parmi les fidèles de Laurent-Désiré Kabila
avait déjà sauvé le régime en 1998, en mettant le président en sécurité
à lextérieur de la capitale où il avait organisé la résistance, avec
Joseph Kabila à la tête de létat-major de larmée. Il se rend à la
radio-télévision nationale. Jouissant de la confiance des Angolais et
des Zimbabwéens, Eddy Kapend leur a demandé de quadriller la capitale.
Apparaissant sur le petit écran, les yeux injectés de sang, il lance un
bref appel au calme à la population et, surtout, à la troupe
congolaise. « Jordonne », dit-il, pour notifier à larmée sa consignation.
Lordre nourrira des soupçons. Mais, en réalité, Eddy Kapend na jamais prétendu à la succession. Au contraire.
Le soir, lors dune réunion du premier cercle du
pouvoir, il fait état des « dernières volontés » du défunt président,
qui aurait voulu que son fils Joseph lui succède. Gaétan Kakudji,
ministre dEtat de lintérieur et, par ailleurs, cousin de Kabila,
aurait alors invoqué, en sa propre faveur, un autre « testament ».
Mwenze Kongolo, ministre de la justice et également un parent du
président assassiné, y aurait coupé court, sèchement : « Non, cest Eddy qui a raison. »
Dans la nuit, un avion est envoyé à Lubumbashi pour aller chercher dans
la capitale katangaise, où il se trouve depuis la veille, le
major-général Joseph Kabila, le nouveau chef de lEtat.
« Nous avons été la main de Dieu qui a enlevé Kabila »,
conclut Abdoul. Cest bien vu. La pièce maîtresse à Kinshasa a été
ôtée, sans que ce geste nait été précédé ou suivi dune atteinte
intérieure ou extérieure au régime. Certes, le surlendemain de
lattentat, le CNRD a revendiqué, dans un tract envoyé à plusieurs
agences de presse à Paris, « le geste héroïque de notre frère darmes Rachidi », dont il sest déclaré « totalement solidaire ».
Mais la formule employée et lerreur sur le vrai assassin du président
– que partagent à ce jour les autorités congolaises – révèlent la
tentative de récupération.
Le CNRD, un Graal sentimental pour les « kadogos »
qui se reconnaissent en lui, nest pas lorganisation politique qui a
planifié la mise à mort de Kabila ou qui saurait en tirer profit. Il
faut se rendre à lévidence : lassassinat du président congolais a été
un acte désespéré, nullement guidé par une main étrangère. Largué comme
une bouteille à la mer par des naufragés, le message adressé à
lOuganda nest jamais arrivé à destination. Laurent-Désiré Kabila a
été tué par des « enfants-soldats » perdus, les siens.
Ceux-ci connaissent Joseph Kabila mais se méfient de lui « à cause de ses histoires avec les Tutsis ».
Aujourdhui, ils sont traqués à Kinshasa, où une nouvelle vague
darrestations vise des ressortissants de lEst, ou perdus à létranger
à la recherche dappuis, y compris auprès de mobutistes. Plus que
jamais orphelins, en quête dun nouveau « père », ils sont des « bombes
en puissance ». Au terme dun long silence, A.L. lâche abruptement : « Si rien ne change, si les étrangers continuent à occuper notre pays, on continuera à tuer. Nos frères sont partout. »