22.12.09 Le Potentiel: Cinq questions à Thomas Otshudi Wongodi, par Marcel lutete

 

1. Dans l’affaire « Huit kilos de diamants », le Tribunal
de Grande instance de Kinshasa/Gombe, siégeant en matière répressive au
premier degré, a condamné, le vendredi 18 décembre 2009, le prévenu
Ajudiya Pravin Kumar à six mois de servitude pénale. Pourriez-vous nous
dire brièvement comment en êtes-vous arrivé à cela ?

En notre qualité de juge, nous sommes appelés à dire le droit. Dans
cette mission, la Constitution de la RDC dit clairement que le juge
n’est soumis à aucune autre autorité qu’à celle de la loi. Et lorsqu’il
entre en fonction, le juge prête serment en jurant de respecter la
Constitution et les lois de la République.

Ajudiya Kumar, prévenu dans l’affaire que vous évoquez, a été
déféré devant le Tribunal pour quatre chefs d’accusation : achat
illicite et détention illicite des substances minérales, tentative de
fraude de ces substances à l’exportation et tentative de corruption.
Pour les trois premières préventions, nous avons appliqué les peines
qui sont prévues par le Code minier. Le juge ne pouvait donc pas aller
au-delà. En effet, il y a un principe sacro-saint en droit qui dit :
pas de peine, pas d’incriminations sans texte de loi. La peine de six
mois est la peine maximale. Parce que pour l’achat illicite c’est juste
une amende. Pour la détention, c’est à la fois deux mois et une amende
ou l’une de ces peines. Mais pour la fraude, la loi minière renvoie à
la loi douanière. Or, la loi douanière prévoit six mois au maximum et
le plus important c’est que la loi douanière prévoit comme amende de
faire payer trente fois ce que la personne qui a tenté de frauder
aurait dû payer. Et quand vous lisez attentivement le jugement, vous
constaterez que, comme peine d’amende, le Tribunal a dit qu’il paiera
trente fois les droits éludés. Cela est important.

Donc, en somme, le Tribunal n’a fait qu’appliquer la loi. Il
n’y a pas une autre peine au-delà. S’il y a peut-être des reproches à
faire, c’est au législateur qui a prévu cela. Or, le législateur ne
s’est pas seulement contenté de la peine de servitude pénale mais de la
confiscation. Comme vous le savez, il a été aussi prononcé la
confiscation. Voilà.

2. Au niveau de l’opinion, on estime que, par rapport aux
infractions mises à charge du prévenu, la sanction de six mois de
servitude pénale est dérisoire. Qu’en dites-vous ?

Le juge, dans sa mission de dire le droit – je le rappelle encore -,
n’est soumis qu’à l’autorité de la loi. Dès lors que la loi minière et
la loi douanière prévoient cette peine-là comme maximale, le juge ne
devait que l’appliquer parce que pour les autres infractions, les
peines étaient moindres : deux mois, peines d’amende. Mais comme ces
trois infractions-là entrent en concours idéal, on a appliqué la peine
la plus forte. Et la plus forte, c’est celle de six mois. Le juge ne
peut pas aller au-delà de ce que la loi elle-même prévoit. Le juge
reste attaché aux principes de la légalité des délits et des peines.
Mais, il faut comprendre la démarche du législateur : pour ces
infractions-là, le législateur a voulu privilégier d’autres peines
complémentaires, mais qui sont aussi fortes. Quand on prononce la
confiscation au profit du Trésor, c’est une peine prévue par le Code
minier. Quand on dit que le prévenu doit payer trente fois les droits
éludés, c’est une peine complémentaire. Donc, l’opinion ne doit pas se
laisser désorienter par ceux-là qui ne font aucun effort pour lire la
loi. Le juge s’est contenté d’appliquer la peine la plus forte fort du
principe de la légalité et de prononcer la confiscation de 43.000
carats de diamant. N’est-ce pas que cela est suffisant ? Ceux qui
disent que la peine est dérisoire, ils n’ont qu’à venir, textes à
l’appui, dire au juge quelle est la peine qui convient dans ce cas.

3. Le Tribunal a dit régulière la constitution des
parties civiles et particulièrement fondée la demande en dommages et
intérêts. En conséquence, il a condamné le prévenu à payer à la RDC le
montant fixé en francs congolais de 10 mille dollars américains et ce,
en réparation du préjudice causé. Est-ce que là aussi le Tribunal n’a
fait qu’appliquer la loi ?

Avant de répondre à cette question, une précision de taille :
d’aucuns ont confondu dommages-intérêts et amende. Il faut noter que
l’amende qui a été infligée au prévenu, c’est de payer trente fois les
droits éludés. Mais les dommages intérêts ont été portés à dix mille
dollars. Le Tribunal a dit qu’il les fixait en toute équité parce que
nous n’avions pas assez d’éléments pouvant nous permettre d’apprécier
la hauteur du préjudice. Donc, c’est tout à fait régulier que la RDC se
constitue partie civile et postule des dommages-intérêts. Mais, ceux-ci
ont été estimés exorbitants. C’est, donc, du pouvoir du juge, quand une
partie postule la condamnation à dommages-intérêts, de les ramener à
des proportions justes. Et là, le Tribunal a estimé que, dans l’esprit
et la lettre du Code minier, par rapport à ces incriminations, l’Etat
trouvait déjà satisfaction parce qu’on a prononcé la confiscation et
demandé au prévenu de payer à titre d’amendes trente fois les droits
éludés. Donc, la loi a prévu des mécanismes qui apportent satisfaction
à l’Etat. Dans ces conditions, il ne nous revenait pas, en l’absence
d’éléments précis, d’aller au-delà ou de répondre aux exigences de la
République qui estimait qu’il y avait lieu de condamner le prévenu à
lui payer 500 millions de dollars Us. Non, le juge a statué en toute
équité et dans la légalité pour fixer ce montant de dix mille dollars.

4. Le Tribunal a dit, par contre, non établie, au
bénéfice du doute, la prévention de corruption mise à charge du prévenu
et l’en acquitte. Qu’est-ce qui a fondé la décision du Tribunal ?

Je dois dire, à ce propos, que la justice pénale n’est pas une
justice sentimentale qui se contenterait des impressions. Il a été dit
que le prévenu avait tenté de corrompre. Et le Tribunal, à l’instar
d’autres moyens de preuve, s’est contenté de témoignages de deux dames.
Il revenait au tribunal d’apprécier, librement et souverainement, la
valeur probante d’un témoignage. Or, il se fait que les témoignages
recueillis ont été contradictoires. Face à cette contradiction de
témoignages, le Tribunal a estimé qu’il y avait un doute. Or, en droit,
le doute profite à l’accusé. Plus concrètement, on aurait aimé que le
ministère public, sur le fait de tentative de corruption, traduise
aussi les deux personnes auxquelles un des témoins a fait allusion et
qui ont pu faire ces propositions. Or, ces deux personnes n’ont pas été
déférées. Et le témoin qui pouvait être déterminant a dit n’avoir
jamais dialogué avec le prévenu, mais que c’était par personnes
interposées. Donc, tout cela a fait subsister un doute qui profite à
l’accusé.

5. Autre chose à ajouter ?

Je voudrais dire que, sur la tentative de corruption, ce doute-là a
été tiré de notre intime conviction. Cela d’autant plus que l’intime
conviction doit guider, avec conscience, le juge. En notre qualité de
juge, nous avons estimé que nous ne pouvions asseoir notre conviction
qu’à partir des résultats d’un examen suffisant d’éléments rapportés.
Or, les éléments en rapport avec les témoignages nous ont fait douter
de la culpabilité des prévenus. Dès lors, quoi de plus normal que, dans
notre intime conviction, nous puissions l’acquitter au bénéfice du
doute.

Et c’est à ce niveau, comme la peine prévue pour la corruption
est forte, peut-être que l’opinion aurait pensé que le ministère
public, en requérant la peine de quinze ans, a voulu aussi que le
Tribunal en arrive là. Non, le Tribunal, c’est ça le rôle du juge, ne
pouvait rien faire, face à un doute persistant, que d’acquitter le
prévenu en vertu du principe selon lequel le doute profite à l’accusé.

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