22.12.09 Le Potentiel – La question s’étant encore fait inviter dans le débat en cette fin d’année, le sénateur Lunda Bululu : « Je suis opposé à la révision de la Constitution. Je n’en vois pas la nécessité », par Marcel Lutete

Entretien


Décembre 2009 a été marqué par le discours du chef de l’Etat
sur l’état de la Nation, un discours émaillé de très bonnes intentions. Mais,
dans l’opinion, on se pose la question de savoir si ces bonnes intentions ne
vont pas s’arrêter au simple effet d’annonce. Avez-vous eu la même appréhension
?


Oui, le
discours a été séduisant par de nombreuses promesses alléchantes. Mais, placé
devant une montagne de misères et de malheurs, le peuple congolais ne peut se
satisfaire de promesses d’autant qu’il en connaît le refrain depuis trois
ans.
Il est déçu par ce discours parce qu’il ne voit pas quand son pays
sortira du gouffre et quand les Congolais connaîtront un léger mieux dans leur
vie quotidienne. Plus grave encore, les promesses ne s’inscrivent pas dans un
dessin politique et économique cohérent dès lors que des actions éparses en
cours de réalisation et celles à venir ne sont pas perçues dans une interaction
susceptible d’ouvrir un horizon meilleur à un peuple meurtri. On notera, par
ailleurs, que le message avait une odeur de campagne électorale et un étalage
d’autosatisfaction.


Se basant sur le fait que le secteur privé peine à jouer son
rôle moteur dans la stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté en
RDC, le président de la République a décidé, à la même occasion, de faire « de
l’amélioration du climat des affaires un objectif prioritaire. Qu’en dites-vous
?


La crise économique que le monde a vécue et dont les effets se
font encore sentir, a démontré les limites du secteur privé dans la croissance
économique. C’est, tout de même, de panthéons de l’initiative privée et du libre
échange à tous vents qu’elle est venue, où l’on a vu des dirigeants des pays
thuriféraires du néolibéralisme s’adonner à un interventionnisme sans précédent.


Notre pays doit apprendre à ne pas accepter toute
recette qui lui est proposée pour résoudre un problème quel qu’en soit
l’objet.

Ne s’est-il pas lancé à bras-le-corps dans l’extraction minière
par l’intermédiaire du secteur privé agissant dans un libéralisme suranné et
poussiéreux ? Il n’a récolté que des miettes car, face à ce dernier, il s’est
avéré presqu’inexistant, en tout cas somnolent.

Si dans les pays industrialisés, fortement organisés, le secteur
privé se montre parfois difficile à maîtriser, la leçon à tirer est que notre pays doit cesser d’être une
République bananière où tout est permis pour redevenir un Etat capable de
maîtriser son action politique et économique avec le concours du secteur
privé.
Ne reposer que sur ce dernier ne nous conduira pas à un
développement intégral.


A la suite du mauvais classement de la RDC dans le répertoire
de référence « Doing Business », le chef de l’Etat, soucieux de voir les choses
changer rapidement, a assigné au gouvernement des objectifs complémentaires à
atteindre impérativement d’ici la fin du mois de mars 2010. Il s’agit, en
priorité, de l’adhésion du Congo à l’OHADA. Qu’en pensez-vous ?


L’adhésion à l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du
droit des affaires (OHADA) ne peut être perçue comme une condition sine qua non,
une panacée pour faire sortir notre pays, d’une part, du bas de l’échelle dans
le classement économique mondial, des pays en développement et des pays au sud
du Sahara et, d’autre part, du haut de l’échelle lorsqu’il s’agit de la
corruption, concussion, insécurité juridique…


L’OHADA a pour membres fondateurs les Etats africains
francophones auxquels il faut ajouter la Guinée équatoriale. Je ne crois pas,
sauf meilleure information, que tous les Etats membres aient connu des
investissements massifs et une amélioration sensible dans les affaires, depuis
lors.


Si l’on
veut que « les choses changent », une action vigoureuse doit être menée à
l’intérieur au niveau du gouvernement et de l’administration publique pour
inspirer confiance aux investisseurs.


Lorsqu’un investisseur est pris d’assaut par les administrations
parce qu’à chaque bureau il doit sortir de l’argent pour avoir un document, et
qu’à un niveau plus élevé il lui est exigé une somme d’argent au prorata du coût
de l’investissement, lorsque pour investir dans tel secteur, il doit acheter une
flopée d’autorisations force n’est-il pas de conclure que ceux qui gouvernent
n’apprécient pas que l’on investisse chez nous, qu’il n’y ait donc pas de
croissance économique et, par conséquent, point de développement intégral ?


Sans effort en vue d’écarter par nous-mêmes les obstacles aux
investissements et à une bonne gestion économique, si l’on ne met pas en place
une administration publique performante grâce à la formation, aux équipements et
à une rémunération qui correspond à une véritable source de revenu, si les actes
de corruption et de concussion ne sont pas punis quel qu’en soit l’auteur,
alors, l’adhésion au traité instituant l’OHADA sera une opération blanche.


A quoi ressemble, selon vous, le processus d’assainissement
du pouvoir judiciaire en cours et que le président de la République qualifie de
« nécessité urgente, un facteur de crédibilité et une condition de succès pour
notre politique Tolérance zéro » ?


L’intention est bonne et louable. Mais, encore faudrait-il que
dans cette entreprise d’assainissement du pouvoir judiciaire la loi soit
respectée. Vous vous souvenez que dans le premier train de mesures de révocation
des magistrats, la plupart n’avaient pas bénéficié du sacro-saint principe
constitutionnel et légal d’être entendu avant toute sanction ou condamnation.
Ces magistrats ont introduit un recours. A ce jour, aucun écho n’y a été
réservé.

La politique de « Tolérance zéro » aux fins de construire un
Etat de droit ne peut être applaudie, à condition, toutefois, qu’elle repose
elle-même sur le respect du droit, qu’elle n’ait pas un contenu à géométrie
variable en ce sens qu’elle ne s’appliquerait pas d’une manière égalitaire à
tout justiciable. Je crains qu’on en soit encore et toujours à ce contenu, la « Tolérance zéro » devenant
ainsi un slogan de plus.


Il est vrai que le chef de l’Etat s’est félicité de
l’amélioration de la production législative au niveau du parlement et d’un
contrôle plus suivi de l’Exécutif par le Législatif. Mais dans l’opinion, on
estime, par contre, que les comptes sont loin d’être bons en ce qui concerne le
contrôle du gouvernement par le parlement. Votre point de vue…


A part quelques ratés parfois dans la procédure, l’action du
parlement est à apprécier positivement. L’opinion publique a raison de
s’inquiéter.


D’abord,
les lois que les deux chambres votent ne sont généralement pas appliquées alors
que l’une des missions du gouvernement est d’assurer leur application. En outre,
les recommandations du parlement adressées à l’Exécutif à la suite d’une mission
d’enquête ou du vote de la loi budgétaire, prennent le chemin du bac à
papier
.


Sans remettre en cause le principe de la décentralisation,
dans certains milieux politiques on fait toutefois ressortir la nécessité d’une
révision de la Constitution. Notamment pour certaines de ses dispositions ayant
trait notamment à l’exigence de la mise en œuvre, dans les délais prévus, d’une
décentralisation d’essence constitutionnelle, assortie du découpage du
territoire national en 26 provinces…Partagez-vous cette préoccupation
?


Les dispositions constitutionnelles sur le régionalisme
constitutionnel, couramment dénommé « décentralisation », sont bonnes.
Malheureusement, les élus ne les mettent pas toujours en œuvre. Il suffit
d’évaluer l’action des institutions provinciales, des maires et des bourgmestres
pour s’en convaincre.


Quant à la
non-installation, dans le délai, des provinces créées par le constituant, toute
la responsabilité incombe au gouvernement central. Ce dernier n’a jamais prévu
des crédits à cet effet, depuis 2007, malgré moult rappels de quelques
sénateurs.
Par ailleurs, il n’a pas encore présenté le calendrier
d’installation de celles-ci dans le mois suivant la promulgation de la loi
n°08/012 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre
administration des provinces ainsi que le lui impose l’article 75 de ce texte.


C’est
facile de jouer au pompier pyromane
; mais ce n’est pas digne d’un
gouvernement sauf dans une République bananière où vouloir une chose et son
contraire rentre dans la technique de gestion d’un pays.


La même nécessité de révision des dispositions
constitutionnelles se ressent en ce qui concerne la répartition des compétences
entre les pouvoirs législatif et exécutif, au niveau national comme à celui des
provinces. Ce besoin se ressent davantage au niveau des provinces où il est
regrettable de constater que, trop souvent, les relations sont plutôt tendues
entre les deux pouvoirs. Votre commentaire…


Il n’y a point de problèmes sur la répartition des compétences
entre le pouvoir législatif et exécutif aussi bien au niveau central que
provincial. Les textes constitutionnels hérités de la Loi fondamentale du 19 mai
1960 relatives aux structures du Congo et de la Constitution du 1er août 1964
sont clairs et bien charpentés ; ils prévoient même les voies pour régler les
conflits de compétence.


Il ne m’est pas encore revenu que le pouvoir central et le
pouvoir provincial aient connu des conflits de compétence entre leur exécutif et
leur législatif respectifs. Quand bien même il y en aurait, ce ne serait que
normal dans la marche d’une démocratie.


En matière de répartition de compétence, le problème se pose plutôt dans
les relations entre le pouvoir central et le pouvoir provincial. Le premier se
croit tout permis pour terroriser les institutions provinciales
d’autant
que celles-ci, par peur des autorités centrales, sans doute du fait des
séquelles de la pratique de la forte décentralisation qui a caractérisé la
gestion de notre pays pendant des décennies, n’osent pas faire prévaloir leurs
droits en saisissant la Cour suprême de justice siégeant comme Cour
constitutionnelle.


Concernant
la révision de la Constitution, j’y suis opposé parce que je n’en vois pas la
nécessité, même pour le délai de mise en place des nouvelles provinces.

S’agissant de cette dernière question, la solution n’est pas aussi difficile et
coûteuse que l’on pense. Si l’on estime que la mise en place de ces provinces
exige que des routes asphaltées les relient entre elles et à Kinshasa et que les
chefs-lieux soient équipés de super-villas et des bureaux ultramodernes, alors,
on est parti pour la gloire.


Savez-vous que si la décision du gouvernement
Gizenga de récupérer, au profit de l’Etat, les maisons et autres immeubles qui
lui ont été spoliés, avait été exécutée, on aurait résolu le problème
d’infrastructures pour les institutions provinciales. Pourquoi ne l’exécute-t-on
pas ?
Une fois de plus, il s’agit de vouloir une chose et son contraire ;
la meilleure voie pour refuser la marche en avant à tout un peuple.


Président de la Commission sénatoriale envoyée à Mbandaka
pour enquêter sur la gestion de la province de l’Equateur, que peut-on retenir,
à ce stade, de votre mission ? A quelle suite l’opinion doit-elle s’attendre
après la présentation devant la plénière du Sénat de votre rapport
?


Le rapport de la Commission d’enquête pour l’Equateur a été
adopté par le Sénat ; il a déjà été transmis au président de la République et au
Premier ministre. La presse en a fait un large écho. En tant que sénateur, mon souci est de voir le
gouvernement appliquer toutes les recommandations, particulièrement celles qui
ont trait aux poursuites judiciaires.


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