Lumumba : méditation sur le symbole d’une parole osée (JP Mbelu)

Oser
une parole à contretemps, c’est enfreindre les règles convenues :
celles qui vous confèrent un statut et une place dont vous ne devez,
dans l’entendement de vos « maîtres » vous départir. Dans ce contexte,
le manque de réalisme signifie le refus de la langue de bois. Un refus
fondé sur un nationalisme incontrôlable et un courage « sorcier »,
soutiens d’une lutte ardente et idéaliste.

 

Oser
une parole à contretemps attire toujours les foudres des « maîtres du
monde ». Depuis la nuit des temps. Un Socrate, un Jésus, un Martin
Luther King, un Gandhi, un Kambala ka Mudimbi, un
Kataliko en ont payé le prix. Heureusement, ces « maîtres du monde »
n’arrivent pas à supprimer, une fois pour toutes, la parole osée. Quand
ses porteurs sont tués, elle rebondit.

 

Les
cinquante premières années de notre indépendance nous ont appris à
approcher leur méthode : ils ourdissent un complot pour tuer le porteur
de la parole osée. Ils trouvent des motifs bien bricolés. Mettre fin au
péril communiste pour l’Afrique en éliminant « le petit
Satan Congolais» était un motif valable pour qu’ils s’en prennent à la
vie de Lumumba. Les motifs inventés (ou créés), ils cherchent les
complices dans l’entourage même du porteur de la parole osée.

 

Ensemble,
ils exécutent leur basse besogne. Ensuite, ils renient leur
responsabilité ou confectionnent une explication plus ou moins valable.
Enfin, les langues commencent à se délier.. Quand ils finissent par
reconnaître cette responsabilité, ils évoquent le contexte (la guerre
froide par exemple), demandent pardon (ou même pas) et exigent que la
page noire de notre histoire commune soit tournée.

Il
arrive qu’au moment où « les maîtres du monde » invitent au pardon et à
l’oubli du passé, ils commettent d’autres forfaits du même genre. Ils
ne peuvent s’affirmer qu’en propageant la mort.  Ils ont
terriblement peur de la parole osée. Ils ont terriblement peur de tout
ce qu’ils ne maîtrisent pas. La parole osée à contretemps les prend au
dépourvu. Elle déconstruit leurs faux discours et dévoile « les
intentions secrètes » de leurs cœurs.

 

Souvent,
la parole osée à contretemps, quand elle est vraie, détricote les faits
et met à nu la merde cachée derrière les beaux principes de
civilisation, de respect des droits humains ou de démocratie.

Aujourd’hui, plus ou moins cinq décennies après la mort de notre Héros National, une méditation sur sa parole osée et vraie révèle que de son sang versé d’autres Lumumba sont nés et cela à travers le monde entier.

Sa
parole osée va être honorée par un Collectif Mémoires Coloniales dans
le pays dont « les maîtres du monde » se sont servi pour l’effacer de
la surface de la terre. « Le 17 janvier 2010, pour rendre hommage à
Patrice Lumumba assassiné le 17 janvier 1961, le collectif Mémoires
Coloniales organise une cérémonie de commémoration à Ostende, sur un
bateau réservé pour l’occasion, pouvons-nous lire sur le
site Internet de Congoforum. Dans le cadre du cinquantenaire de
l’indépendance du Congo, cette cérémonie dénoncera le rôle de la
Belgique dans l’assassinat de Patrice Lumumba ainsi que ses
responsabilités historiques vis-à-vis du peuple Congolais. »

 

Il
nous semble qu’il y a, dans cette commémoration, quelque chose de
formidable à percevoir: « un petit reste métissé » s’engage à refonder
nos relations bilatérales sur des bases éthiques autrefois sapées par
l’esprit de lucre et un paternalisme néo-colonial. « Ce petit reste
métissé » est représenté par  deux Belges (Guy De Boeck
et Pauline Imbach et d’un Congolais (Antoine Tshitungu Kongolo). Dans
ce trio, l’âge de Pauline Imbach interpelle. Elle a 27 ans. Elle fait
partie du Cadtm (comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde).
Elle est représentative de cette jeune génération de Belges ayant
décidé de rompre avec la langue de bois de leurs « papas » sur
l’histoire du Congo. Pauline Imbach et ses amis Renaud Vivien, Virginie
de Ramonet, etc. étudient la question congolaise en convoquant la dette
odieuse de notre pays et en essayant d’indiquer des pistes porteuses
d’avenir pour nous en évoquant le respect de nos droits économiques,
sociaux et culturels.

 

Disons
que le trio du Collectif est composé d’un Belge, Guy De Boeck (une
référence recommandable au sujet de notre histoire), d’un Congolais
(une plume congolaise de grande facture) et d’une jeune Belge
représentant une  approche renouvelée de la question Congolaise.

Tout en honorant la parole osée de Lumumba, ce trio trace (ou retrace) l’une
des lignes de conduite à tenir pour sortir notre pays du bourbier où il
se retrouve depuis la mort de Lumumba : l’attention à accorder au
métissage des intelligences transfrontalières assumé par « les petits
restes ». Ceux-ci jouent, chez tous les peuples, le rôle du levain dans
la pâte.

 

Espérons
que ces « petits restes » puissent initier un jour un procès contre les
bourreaux de Lumumba, même à titre posthume. Pourquoi ? Tant que les
bourreaux des symboles des « paroles vraies et osées » ne seront pas
jugés, la crédibilité de la justice dite internationale en souffrira et
la dignité des peuples appelés à s’autodéterminer en prendra toujours
le coup. Le monde sera une jungle où les criminels économiques et
fabricants d’armes (et leurs sous-traitants) assassineront toujours ces
symboles au nom d’une croyance hypocrite dans les valeurs
démocratiques. Heureusement ! Une parole osée et vraie ne meurt jamais.
Ceux et celles dont les cœurs et les esprits ont été envoûtés par le
pouvoir ensorceleur du capitalisme sauvage l’ignorent. A leurs dépens !

 

J.-P. Mbelu

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