06.01.10 Le Messager (Cameoun) – Roland Lumumba : le Congo, les assassins de mon père et moi

Qu’avez-vous éprouvé en rentrant au Congo trente et un ans après l’assassinat de votre père ?

D’abord je vous remercie pour cet accueil. A travers vous, je peux
féliciter tous les Camerounais qui sont les premiers à passer au
cinquantenaire des indépendances. Mes félicitations vont également aux
Lions Indomptables qui vont participer dans quelques jours à la Coupe
d’Afrique des nations en Angola. Je leur dis bon vent. Pour revenir à
votre question, durant les trente un ans passés en exil, on a été
d’abord accueillis par le président Gamal Abdel Nasser (ensuite Sadate
et Moubarak) en Egypte où j’ai vécu pendant dix huit ans. Mes frères et
sœurs y ont vécu quant à eux entre  une dizaine d’années et 34 ans.
Après, je suis allé à Paris pour poursuivre mes études d’architecture.
Après les études, entre le travail et les tentatives de rapprochement
du régime de l’exilé politique que j’étais. Après si longtemps, on
essayait de sensibiliser les uns et les autres à l’étranger que la
vision est différente. Il y avait de l’amertume et de la tristesse. On
voyage beaucoup lorsqu’on est exilé. Nous avons été bien accueillis par
beaucoup de présidents comme Sékou Touré (Guinée-Conakry) Nasser,
Sadate et Moubarak etc. Beaucoup de chefs d’Etat ont essayé de nous
soutenir pendant ce long exil et après on est entré en contact avec le
colonel Kadhafi qui a des idées qui concordent avec celles défendues
par mon père, Kwamè N’krumah, Modibo Keita, Nasser, etc.

C’est la joie à l’arrivée au bercail de retrouver une famille que je
ne connaissais qu’à travers les lettres, il n’y avait pas d’Internet
avant. J’ai retrouvé des personnes tout à fait différentes à part les
quelques unes que j’ai  pu  croiser en Europe. J’étais un peu
privilégié. Souvent, il m’arrive de penser qu’à quelque chose malheur
est bon. Rien ne se fait au hasard. Je considère qu’on avait une part
de responsabilité à construire ou à reconstruire notre pays. Cette
déconfiture qu’on a trouvée au pays, c’était pour dire que ce que tu
n’as pas pu faire ailleurs puisque tu n’étais pas chez toi, voila
l’occasion qui t’est offerte.

Quels sentiments vous avez nourri à l’endroit des gens comme
Kasavubu, Tshombé et Mobutu, présentés comme la main ayant servi à
éliminer votre père ?

Avec du recul, au niveau spirituel, je pense que Lumumba était un
homme qui avait une mission. Il l’a accomplie, il se définissait
lui-même en tant qu’idée, en disant « Je n’ai pas de père, je n’ai
pas de mère. Je n’ai pas de tribu, je n’ai pas de religion. Je suis une
idée, le Congo m’a façonné et je chercherai à mon tour à le façonner »
.
Il est passé. Mais ça n’empêche pas qu’il reste biologiquement mon père
même si je peux parler de lui avec détachement. La seule des personnes
dont vous parlez que j’ai trouvée vivante à cette époque, c’était
Mobutu, les deux autres étaient déjà mortes. On ne s’en prend pas aux
morts au risque de continuer de vivre dans l’amertume.

Par rapport à Mobutu, c’est quelqu’un contre qui j’ai un jugement
sévère car j’estime qu’il y a certains dictateurs qui ont pu faire
quelque chose pour leur pays. J’essaie de lui trouver des excuses : il
essayait sans doute d’accéder au pouvoir mais qu’en a-t-il fait pour ce
pays qui lui a tout donné ? Rien. Ce que je trouve encore plus
désolant, ce sont ces gens qui se revendiquent aujourd’hui de lui. Lui
au moins défendait son existence. Qu’est-ce qu’ils défendent eux ?
J’attends la réponse depuis.

 

 

Parlant justement de l’héritage de votre père, on n’entend
pas trop parler de vous dans le paysage politique congolais ? Avez-vous
abandonné le combat sinon comment faites-vous pour perpétuer sa
mémoire ?

Je ne crois pas qu’on a abandonné quoi que ce soit. Nous sommes
quatre frères et sœur : François Lumumba, l’ainé dirige l’ancien parti
de notre père le Mouvement nationaliste congolais Lumumba (MNCL); le
deuxième, Patrice fait carrière dans l’administration ; La fille,
Juliana, a été pendant quatre ans ministre de Kabila père et de Kabila
fils et est aujourd’hui secrétaire générale de la Chambre de
commerce de l’Union africaine au Caire en Egypte; quant à moi, j’ai été
député pendant une dizaine d’années. Par ailleurs, on a créé la
Fondation Patrice Emery Lumumba démocratie et développement. Dans sa
dernière lettre adressée à notre mère, lettre considérée comme son
testament politique, Lumumba lui-même disait : « A mes enfants que
je ne reverrai peut-être plus, j’aimerai qu’on leur dise que l’avenir
du Congo est beau et j’attends d’eux, comme j’attends de chaque
Congolais, l’accomplissement de leur devoir sacré »
. Ça voulait
tout dire : si tu es charpentier, tu peux servir ton pays en restant
charpentier et en exerçant ton métier au mieux. C’est vrai que dans les
pays du tiers monde, la politique est considérée parmi les secteurs qui
amènent le changement plus rapidement, mais ce n’est pas la seule voie.
Trois de nous l’ont faite. Mais nous refusons de faire la politique
spectacle. Non, nous n’avons pas abandonné le combat ! Certes, nous
faisons face à l’adversité, mais nos détracteurs ne peuvent agir à
visage découvert car Lumumba est devenu une icône, une légende pour le
continent. Il figure parmi la liste des cent personnes qui ont marqué
l’Afrique pendant le XXè siècle. A l’intérieur du pays quand quelqu’un
est contre Lumumba, il n’ose pas le dire à haute voix, il ne peut
qu’user de son pouvoir s’il en a un.

Quels sont aujourd’hui vos rapports avec la Belgique, la puissance colonisatrice au moment de ce triste événement ?

La Belgique a joué un très mauvais rôle dans ce triste épisode de
l’histoire de mon pays. Une enquête parlementaire a été ouverte dans ce
pays pour montrer l’implication de l’Etat belge dans l’assassinat de
Lumumba et le résultat de cette enquête a parfaitement établi sa
responsabilité. Et le pays a présenté des excuses officielles à la
famille Lumumba et s’est engagé à aider au financement de la Fondation
Lumumba à hauteur d’un  certain montant. Encore une fois, les
dirigeants de la Belgique n’ont pas honoré leurs engagements depuis
2002. Je profite de cette tribune pour dire que nous n’avons rien
obtenu. Dans un proche avenir, nous allons  chercher des voies et
moyens pour que justice soit faite. Quand les Européens sont affectés,
ils font tout pour que le préjudice soit réparé. L’Allemagne paie
toujours la facture de la guerre mondiale. Il y a même l’exemple de la
Libye avec l’attentat de Lockerbie. On mène un combat contre un pays et
ce n’est pas normal que nous les Africains soyons réduits au simple
statut de spectateurs. Je ne le dis pas parce que je suis un fils
Lumumba mais à travers le monde, il y a des millions de fils spirituels
de Lumumba car ce combat n’est pas seulement celui des fils biologiques
de Lumumba. S’il y a des Camerounais et des Africains qui veulent
s’engager, allons-y ensemble. Ensemble, nous vaincrons.

Parlons maintenant du Congo, votre pays. De l’extérieur on a
l’impression qu’il n’y a pas un seul quartier au Congo qui ne soit en
guerre. Quelle est la situation réelle et selon vous qu’est-ce-qui
justifie cela ? Est-ce une guerre menée par des étrangers qui
convoitent les richesses du Congo ? La cohabitation entre les différentes ethnies est-elle possible ?

Je crois que dans chaque groupe humain, il y a toujours des
problèmes. Entre les Bamilékés et les Bassa, c’est un exemple que je
prends au Cameroun, il se peut qu’il y ait des tiraillements. Dans un
pays comme le Congo qui est quatre fois et demi plus grand que la
France, il ne saurait en être autrement parce que c’est comme ça la vie
mais est-ce qu’entre nous les problèmes se résument à se tuer comme à
l’Est du pays où se concentre l’essentiel des conflits ?

Le Congo est un pays très riche. C’est notre grand malheur. Quel est
le minerai qui n’existe pas au Congo ? L’or, le diamant, le coton, le
pétrole, le cobalt, l’uranium (qui sert à faire des bombes), tout y
est. L’agriculture prospère avec un vaste territoire ; nous avons de
l’eau partout et en abondance (c’est le premier potentiel
hydroélectrique d’Afrique), comme vous le savez, le combat de demain
sera celui de l’eau.

Or, certains pensent que le Congo ne devrait pas avoir toutes ces
richesses pour lui seul. Si on ne se laissait pas manipuler… Car là est
le nœud de tous ces conflits. Dès qu’on arrête un général rebelle, un
autre nait immédiatement. Ça veut dire que les belligérants se
fabriquent. Quand Kagame s’est mis d’accord avec Kabila, quarante huit
heures après, même pas une semaine, Laurent Nkunda était mis en
résidence surveillée. Qu’est-ce que ça veut dire ? Essayez de
réfléchir. Si on tombe en désaccord, on va trouver un autre Nkunda en
Equateur, au Kasai où que sais-je encore. 

 

Vous ne pensez pas nécessairement aux puissances étrangères lorsque vous dites qu’il y a des gens qui lorgnent vos richesses…

Les pays voisins sont souvent appuyés par qui ? Le Rwanda
effectivement a des problèmes de terre. La plus grande concentration au
kilomètre carré, c’est au Rwanda : plus de trois cent personnes au
kilomètre carré. Ils sont essentiellement éleveurs et agriculteurs,
deux métiers qui demandent de la terre. S’ils sont aidés par des
grandes puissances pour résoudre leurs problèmes, ils aident ces grands
là à résoudre beaucoup d’autres problèmes. C’est logique. « It’s
businness » sur le dos du Congo.

 

Vous ne pensez pas qu’en négociant entre voisins pour une
meilleure répartition des terres, le Congo pourrait éviter ce genre
d’ingérence de l’extérieur qui consiste à dresser un pays voisin contre
un autre ? Imaginons que les gouvernements de Kagamé et Kabila se
mettent sur une table pour que le Congo cède des terres aux Rwandais…

Cela s’appellerait haute trahison. La terre que Kabila cède
appartient au pays, à des populations, pas aux dirigeants. Le Congo
c’est comme le Cameroun. Essayons de faciliter aux lecteurs la
compréhension de la proposition que vous venez de faire. Un territoire
à côté du Tchad est cédé aux populations tchadiennes pour contenter les
dirigeants des deux pays. Cela n’a pas de sens puisque ces terres
appartiennent à des populations précises, Arabes choas, Peuls ou
Bororos, etc. Non, il n’appartient pas aux dirigeants de disposer à
leur guise des terres des communautés. Après les indépendances, il y a
eu un découpage, peut-être arbitraire, malheureusement, c’est devenu
notre référence. Je suis d’accord qu’il faut trouver une solution mais
pas celle que vous suggérez car personne ne peut accepter même si cela
est fait pour l’intérêt supérieur de la nation car les ressortissants
des régions ainsi cédées ne l’accepterons pas aussi facilement et on
risquerait de se retrouver dans une spirale. Il faut trouver des
solutions et il faut que celles-ci soient africaines. Des solutions
qu’on trouve à Paris ou à Washington n’ont souvent aucune emprise sur
les réalités locales. Pour eux, nous ne sommes que des  pions sur un
échiquier. Ils diront que ces Noirs là, pourquoi veulent-ils
s’entretuer ? Il suffit de couper un peu ici et donner là-bas. Facile,
trop facile.

 

Est-ce que les frontières qui coupent un même peuple en deux ou trois parties, donc artificielles, ne peuvent être ignorées…

 

 

Je crois que vous faites des propositions auxquelles j’adhère, pas
seulement par héritage. On cite aujourd’hui les Nasser, N’krumah, etc.,
en exemple. C’est qu’il n’y a plus de place pour les petits ensembles.
Les Français qu’on regardait comme des dieux il n’y a pas très
longtemps ont été obligés de s’unir à l’Allemagne, l’ennemi d’hier et à
d’autres pays européens pour faire face à l’invasion asiatique et aux
Américains. Et nous autres Africains alors ? Quelle place aurons-nous
face à ceux qui étaient encore nos maîtres il y a cinquante ans ? On
fête aujourd’hui cinquante ans qui ne représentent rien dans la vie
d’un peuple. Beaucoup parmi nous ont vécu cela. Nos maîtres d’hier, nos
Dieux pour les uns, c’est la France, pour les autres le Portugal,
l’Angleterre, etc. Ils n’arrivent pas à s’en sortir seuls. Le Congo, le
Cameroun, le Rwanda, et les autres veulent se compliquer la tâche pour
avoir un petit visa comme si on allait au paradis. Pour vendre sa
marchandise à un pays voisin, il faut d’abord qu’elle pourrisse au port
ou à l’aéroport. Il faut dépasser ces barrières inutiles. Que font les
voisins? Cette mondialisation, on dit qu’elle a été faite contre nous à
cause des accords qu’on a signés. La primauté des produits français
dans les échanges. Qu’est-ce que l’Afrique échange ? Rien. Parmi les
pays qui essaient de faire des efforts, il y a déjà le Cameroun qui
refuse d’exporter le bois brut, mais est-ce suffisant sur l’échiquier
mondial ? Non.

 

Quelle est dans ce cas, la symbolique que revêt pour vous la célébration du cinquantenaire des indépendances en Afrique ?

Il faut aller vers l’essentiel. La célébration, c’est quoi ?
Qu’est-ce qu’on fera cette année et que fera-t-on l’année prochaine ?
Il faut penser les choses en profondeur. Quels échanges pouvons-nous
avoir avec l’Union européenne, ne parlons plus de la France ? Les
Européens parlent Europe et les Africains continuent à parler de pays,
de villages, de tribus, d’ethnies, etc. Arrêtons ça, vous voyez comme
on est petits et vulnérables ? On continue de parler de France. C’est
un déphasage complet qui honore la France seule pendant qu’elle-même
s’est effacée en faveur de la Grande Europe. Réveillons-nous, le train
a démarré ! Halte au problème de leadership en Afrique. « Ce
Kadhafi-là même vaut quoi, entend-on ci et là ? Son pays n’a que cinq
millions d’habitants, il ne peut pas nous diriger tous. »

Pourtant, le fait est là, il s’est investi pour penser, il a mis la
main à la poche. Ne critiquez pas si vous n’avez rien à proposer.
Formez un autre groupe si vous voulez mais allez toujours dans le sens
positif. Seul celui qui ne fait rien ne se trompe pas. Si on ne pense
pas union, on ne pense pas ensemble, tant que je serai emmerdé dans
l’obtention d’un visa pour arriver chez vous et que je vous rende la
pareille quand vous viendrez à Kinshasa ou Malabo, on ne va pas
avancer. Un homme d’affaires européen n’a qu’à se rendre à l’aéroport,
il voit l’avion prêt à partir et se déplace à sa guise. Mais si ce sont
nos milliardaires d’ici, ils vont se faire  emmerder à l’aéroport, chez
eux en Afrique !

 

Revenons aux conflits qu’il y a en RDC. Il y a un ancien
ministre Congolais qui de passage au Cameroun avait dit que les
rebelles sont des vermines qu’il faut broyer.

Je ne peux pas suivre ses écarts de langage. Je suis parfaitement au
courant qu’il a tenu ces propos et des propos plus durs que ça que je
me réserve le droit de prononcer. C’est une tactique, quand tu es en
guerre, il faut tenir des propos populistes pour rassembler les gens.
Je n’y adhère pas mais j’explique seulement car je ne suis pas son
avocat. Je suis pour qu’on ne s’entretue pas. Parce que la violence
engendre la violence. Aujourd’hui, il y a à l’Est de la RDC cinq
millions de compatriotes morts. Cinq fois la population du Gabon, c’est
la population de la Libye. C’est énorme. Au lieu de prendre les armes,
il faut discuter. Il y a des lois dures chez nous. La loi du sol
n’existe pas au Congo, pour acquérir la nationalité, il faut en faire
la demande. Aujourd’hui, il faut peut-être se pencher sur le cas des
gens qui ont déjà fait quarante ans sur le sol congolais. Quel statut
pour eux ? Mais tout ça ressemble à de la manipulation. Beaucoup de ces
gens ont été dans le premier parlement, dans le gouvernement de mon
père. Il y a des réalités dont on sert pour faire de l’amalgame. Mais
il s’agit d’un problème réel qui doit être résolu politiquement et
sociologiquement mas il ne faut pas s’en prendre aux personnes
vulnérables qu’on pousse dans les bras de l’autre ou bien que l’autre
essaie de le manipuler.

 

Si on comprend bien, le Congo a aujourd’hui un problème de statut civique des populations, un problème de nationalité ?

Il y a un problème de nationalité, oui. Même parmi les hommes politiques en vue. Notamment ceux qui ont acquis des nationalités étrangères à cause de l’exil. Dans la loi congolaise, cela est
incompatible avec la nationalité congolaise. Imaginez un ministre de la
Défense ou un député qui n’a pas la nationalité congolaise ! Ces
derniers mois, il y a eu un ultimatum sur un certain nombre de députés
qui avaient pris la nationalité française ou belge.

 

Est-ce le gouvernement de Kabila a conscience de ce fait  qui risque de faire imploser un pays comme on l’a vu en Côte-d’Ivoire…

Je ne suis pas membre du gouvernement pour savoir si les dirigeants
s’intéressent à ce dossier. Selon mon observation, on ne voit pas
comment il gère ce contentieux. Il me semble qu’il essaie de caresser
la diaspora dans le sens du poil parce qu’elle était et est encore
hostile au régime en place à cause d’un déficit, dit-on de
communication. Je pense que le gouvernement actuel n’attaque pas le
problème au fond. Par ailleurs, il faut savoir qu’il y a aussi un
problème ethnique qui se pose. Car beaucoup disent que parmi nos 400
ethnies, on ne connaît pas les Banyamulenge. Les tenants de cette
hypothèse soutiennent que parmi les ethnies recensées par les Belges,
les Banyamulenge n’y figuraient pas. Mais aujourd’hui, c’est devenu une
réalité qu’il faut gérer. Comment la gérer ? Je n’ai pas une réponse
définitive. Jusqu’à présent le gouvernement ne fait rien pour cela.

Sur le plan économique le gouvernement Kabila a conclu des
accords économiques tantôt avec la Chine tantôt avec les Etats-Unis,
tantôt avec d’autres pays européens. Sans oublier le Brésil et l’Inde.
Ces démarches peuvent-elles prospérer et ensuite peuvent-elles être
efficientes pour le développement économique du pays ? N’ya-t-il pas
plutôt un risque que cette multitude de conventions n’exaspère les
problèmes de cohabitation dans la mesure où elle met face à face ceux
qui considérent le Congo comme leur chasse gardée ?

Cette question essaie d’éclairer un peu ce qui se passe en RDC. On
en parle jusqu’à la Banque mondiale qui vient de demander la révision
du contrat entre la Chine et la RDC, pour vous montrer à quel point le
Congo intéresse un groupe de gens. La plus grande mission militaire des
Nations unies y est installée. Pourtant cela n’a pas empêché la
rébellion de prospérer. Comment est-ce possible ? Les forces de l’ONU
se cachent et laissent les rebelles s’amuser comme ils veulent. Il y a
un problème. Comment les forces de l’ONU n’y arrivent pas à arrêter ces
petits gangs qu’un groupe de maffieux les exterminerait en moins d’une
semaine. A plus forte raison, lorsque ces groupes attaquent les
populations, violent (les femmes) et tuent, des horreurs qui finalement
deviennent une arme, et qui se perpétuent malgré la présence des
Nations unies sur place. Pour revenir à la question économique, ça nous
étonne mais ça montre également que le pays intéresse beaucoup de
puissances. Il y a même certaines langues qui disent que l’uranium que
l’Iran cherche à enrichir provient de la RDC. Ça ne m’étonnerait pas
car tant qu’il y aura de l’uranium, il y aura des acheteurs. Et
aujourd’hui, le contrat chinois est un des derniers qui illustre l’OPA
que des gens font sur mon pays. Il y a des Sud-Africains, des
Canadiens, des Australiens, même des Pakistanais qui viennent chercher
leur part en RDC. Ne parlons pas des Français, Belges et Américains.
Ils y sont depuis et se considèrent comme en terrain conquis. Mais
lorsque des hommes d’affaires veulent venir y investir, on les
décourage en leur disant que le Congo est dangereux. En tant que
consultant international, pas seulement en architecture mais également
dans d’autres projets plus à l’étranger que dans mon pays, souvent
quand je discute avec des Arabes ou des gens qui ne connaissent pas
bien l’Afrique, c’est toujours la même chanson : « chez vous il y a la guerre ».
Essayons une réflexion ensemble : Vous êtes au courant de la faillite
de Sabéna. Cette compagnie belge avait cinq rotations hebdomadaires au
Congo alors qu’Air France n’y était pas encore. Après la faillite de
Sabéna, la compagnie française a juste traversé le fleuve pour deux
rotations par semaines qu’elle a augmenté à trois. Devenue entre temps
Sn Brussels, Sabéna est revenu avec deux rotations par semaine pour
monter à trois. On se dit qu’il ne peut pas atteindre son niveau
d’antan car il faut rationaliser. Mais Sn Brussels monte à cinq vols
hebdomadaires et négocie une licence avec une compagnie congolaise et
compte aujourd’hui sept vols par semaine dans un pays très très dangereux.
On y ajoute les trois vols d’Air France, on obtient deux compagnies de
l’espace Schengen qui y ont dix rotations. On ajoute ceux qui ne nous
ont pas abandonnés, Kenya et Ethiopian. Chacun a au moins deux à trois
vols hebdomadaires. Dans le même temps, la procédure pour l’obtention
du visa est resté intact. Ça veut dire qu’il faut montrer patte blanche
pour avoir un visa. C’est toujours les mêmes Congolais qui voyagent,
entre ceux qui viennent passer les vacances et les autres. Mais qui
remplit donc ces avions là ? On se pose la question. Et pour aller où ?
Dans un pays aussi dangereux ? La vérité est qu’on cherche à nous
cloisonner, à faire de nous comme les réserves des Indiens, construire
un mur autour de nous. C’est eux qui encaissent les billets et décident
qui vient et qui ne vient pas. Tu ne prends pas des photos sinon tu
payes plus. Pas de caméscope. A tel endroit tu ne vas pas.

Pour en revenir au contrat chinois, le nouveau gouvernement y a mis
un point d’honneur. Pendant la transition d’un président avec quatre
vice présidents, les dirigeants ont spolié, vendu d’une façon honteuse
la carte minière de la Rdc. Je ne sais pas combien de contrats ont été
révisés mais le contrat chinois, Strauss-Kahn (Directeur général du
Fmi, ndlr) en venant a dit qu’on lui fasse une copie pour qu’il fasse
des propositions.

 

D’après vous cette diversification de partenaires est-elle une bonne chose ?

Bien sûr, ce n’est pas parce qu’il s’agit des Chinois. Pourquoi
faut-il revoir le seul contrat chinois et pas celui des Américains, des
Belges et des Taïwanais, etc. ? Si on doit revoir celui des Chinois,
qu’on le fasse pour tout le monde. La Chine a l’avantage de n’avoir pas
de culture à exporter. Chez eux, c’est l’économie, le cash. Le danger
chez eux, c’est qu’ils sont très nombreux.

Avant les indépendances, on parlait de l’Afrique Equatoriale
française et on se sentait comme dans un seul pays. Le leader de
l’Afrique centrale s’appelait Barthélemy Boganda. Il avait un projet de
créer la grande république centrafricaine. Ce qu’on appelle RCA
aujourd’hui s’appelait Oubangui-Chari. C’est lui qui a imaginé le nom
de la république centrafricaine qu’il voulait appliquer à toute la sous
région. Mais il est mort dans un accident mystérieux. On peut donc
penser que c’est à cause de la France qu’il y a des barrières entre
nous. Votre point de vue, cinquante ans après l’indépendance ?

C’est très facile à comprendre. Ces dirigeants sont sortis de
quelles écoles et continuent de sortir de quelles écoles occidentales ?
Toujours des mêmes écoles. On a l’espoir peut-être avec la génération
Internet. Mais il faut que nous les parents, on leur facilite le
raisonnement, que ce n’est pas une trahison d’aller vers une Afrique,
une RCA qui regroupe cinq à six pays. Au contraire, c’est un mieux
être. Aujourd’hui, on est dans l’exclusion. Si un responsable parle de
céder un territoire à un tiers, sa tête serait mise à prix.

Jacques Chirac adit que la démocratie est un luxe pour les
Africains et il y a deux ans Nicolas  Sarkozy disait à Dakar que
l’Afrique n’est pas entrée dans l’histoire. Quand vous observez la
manière dont les pouvoirs se font et se défont, est-ce que vous avez
l’impression que la démocratie est une chose africaine? Y a-t-il
quelque chose qui manque ou faut-il la faire autrement ?

Ce genre de phrases ne m’intéresse pas car ce ne sont pas Messieurs
Chirac et Sarkozy qui ont fabriqué les peuples d’Afrique, ce sont de
personnes qui donnent leurs opinions sur ces peuples et elles peuvent
être erronées. Le problème, c’est de savoir quelle démocratie pour nous
Africains et c’est toute la problématique. Je pense pour ma part qu’il
faut la faire autrement. Le principe d’une personne, une voix à
l’européenne, adaptons la à nos cultures.

 

On constate depuis un certain temps que le passage de
témoins se passe entre fils. Eyadéma au Togo, Kabila en RDC et Bongo au
Gabon. Quelle lecture en faites vous?

Je devrais être mécontent que mon père ne m’ait pas transmis le
pouvoir (rires). J’ai toutes des raisons d’être virulent à ce sujet.
C’est le résultat de l’inadaptation du système à la mode (démocratie,
ndlr) à nos réalités. Vous voulez la démocratie, on va vous la faire.
C’est quoi la démocratie, c’est un homme, une voix. Cinquante plus un,
il passe, ok on va vous faire ça. Quand je ne peux plus passer pour des
raisons X ou Y, je place les miens et quand les miens ne sont pas
encore au niveau idéologique approprié, je fais comme en Russie.
Poutine a fait ses deux mandats et comme il n’a pas un fils pour
diriger, il fabrique un fils à qui il a donné le pouvoir. Il continue à
gouverner officiellement car il est Premier ministre. Il ne s’est même
pas mis à l’écart. Il est encore au front et va revenir. Voilà le
système avec lequel on est entrain de nous tromper. Il faut s’attaquer
à la racine du problème. Si ça peut changer l’orientation.

L’ancien chef de l’Etat Congolais a été enterré loin de son
pays. Le rapatriement de sa dépouille selon vous constitue-t-il un
problème d’Etat ou celui de sa famille tel que le disent les autorités
du Cameroun à propos des restes du premier président du Cameroun
Ahmadou Ahidjo ?

Même si je ne l’apprécie pas car Mobutu a tué l’Etat congolais
naissant, mais de là à priver sa famille de sa dépouille, c’est tout un
autre problème. Je dis que sa dépouille doit revenir au Congo en tant
qu’Africain, en tant que Bantou.

 

Une question sur la vie sportive. Nous savons que le Zaïre
était un grand pôle sportif en Afrique. On a encore en mémoire la
grande rencontre de boxe qui y a été organisée en 1976. Tout comme les
différentes mutations de dénomination, de Simbas à Panthère et même la
dénomination du pays a changé. Ces dénominations obéissent-elles à une
volonté politique ? Est-ce une volonté de Kabila de tout raser sur son
passage toute trace de Mobutu ? Quel espoir de réveil du Congo sportif ?

Le gouvernement Kabila veut effacer ce passage noir  de Mobutu.
C’est clair. Ç’est Mobutu qui a changé le club Engelbert en Tout
Puissant Mazembé. Après, on a enlevé ce nom de Zaïre qui ne signifiait
rien pour notre pays, il faut dire les choses comme elles sont. Si ça
avait un fondement idéologique et historique, il y allait avoir des
défenseurs mais tout se résume dans la volonté d’un homme d’effacer une
époque en changeant tout. La période de 1974 que vous citez au niveau
du football a été prospère pour le Zaïre qui a tout gagné en football.
Coupe des nations, champion d’Afrique des clubs et bien d’autres. Ça
veut dire que rien ne nous a échappés. Mais à côté de cela, un Zaïre
valait deux dollars. Economiquement on était au top avec une grande
démographie. Comme le peuple aimait le football, le sport, des moyens
ont été mis par rapport à ça. Pour le passage de Simbas à Léopard, on
avait changé l’emblème du léopard, on a mis le lion. Mais dans notre
signification de base, ça a été toujours le léopard depuis la première
république. Ça veut dire que Mobutu n’a rien inventé. Dans certaines
photos de Lumumba, il portait la toque de léopard. Mais il ne mettait
pas trop d’accent là-dessus. Comme Mobutu a y mis trop d’accent, c’est
devenu une image identifiable à lui. Quand il y a un fond historique,
les choses reviennent à leur état initial. C’est Kabila père et ses
compagnons qui ont imposé l’emblème du lion. Ce n’est rien d’autre
qu’un retour aux sources.

Est-ce que le gouvernement actuel accorde la même importance au football et au sport et y met les moyens pour que ça marche ?

Malheureusement non. Dès qu’on met un peu de moyens, tout avance. On
a vu le Tp Mazembé devenir champion d’Afrique. Vous savez pourquoi ?
Parce qu’il a un gouverneur qui s’intéresse au football. Il était
millionnaire avant d’atterrir dans la politique. Quand il a mis la main
à la poche, l’équipe le lui a bien rendu. C’est la reconnaissance
mutuelle. Maintenant nous sommes leaders en musique. L’Etat ne cherche
même pas à profiter. Le sport est un investissement, il faut d’abord
dépenser pour gagner. Dans la musique, il suffit seulement d’organiser
et de ramasser les bénéfices. Ce qu’il ne fait pas. Hélas !

Un mot sur Obama… et la Guinée-Conakry pour clore cet entretien…

Je suis comme beaucoup d’Africains fier qu’un Noir soit président
des Etats-Unis et de l’autre côté, j’ai souhaité qu’Obama devienne
président  pour qu’on soit désillusionné une fois pour toutes. Un
Américain rouge, jaune ou bleu reste un Américain. Donc si on attend
quelque chose de lui, vaut mieux rentrer dans la profondeur de soi-même
pour puiser dans nos forces pour le changement. Mes prières ont été
exaucées, j’attends de voir si j’avais raison ou pas. Jusqu’à présent,
tout semble me donner raison.

Quant à la Guinée, nous avons une histoire assez particulière avec
elle. Je vous ai dit qu’à un moment donné, puisqu’il y avait des amis
de Lumumba, notamment le président Sékou Touré, j’y allais souvent. Je
profite pour solliciter que la Fondation Patrice E. Lumumba que je
dirige soit partie prenante dans la recherche de la solution en Guinée.
La solution, qu’on le veuille ou non, réside dans la négociation. Il y
a d’un côté ceux qui tiennent les armes et de l’autre, la population.
L’un ne peut rien faire sans l’autre. Il faut que les deux parties
s’entendent. Le peuple de la Guinée ne mérite pas ces tiraillements
inutiles. Il faut qu’on commence par résoudre le problème par
nous-mêmes. Il ne faut pas attendre les Carter et autres pour qu’ils
viennent nous dire ce qu’il faut faire, comment les différentes ethnies
doivent cohabiter. Tout dirigeant cherche le bonheur de ses
populations. Personne ne trouvera notre bonheur malgré nous. Il faut
donc que nous soyons impliqués.

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