09.02.10 IPS: "Le défi de crédibilité et d’efficacité pour la CPI"

 BUKAVU, 29 jan (IPS) – La Cour pénale
internationale (CPI) a relancé son deuxième procès contre Germain
Katanga et Mathieu Ngudjolo, deux anciens chefs rebelles congolais,
accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis en
2003 dans le village de Bogoro en Ituri, dans la Province orientale en
République démocratique du Congo (RDC).

Depuis 2004, la CPI instruit quatre cas relatifs aux
violations massives des droits de l’Homme et aux crimes graves commis en
Ituri, impliquant deux membres de l’ethnie Lendu et deux de l’ethnie
Hema qui sont les deux grandes représentations communautaires de
l’Ituri.

Certains observateurs se demandent si ces poursuites relèvent d’une
emprise de la donne ethnique ou d’une exigence d’équilibre ethnique dans
le travail du procureur de la CPI en RDC. Ils s’interrogent également
sur la leçon à en tirer par rapport à la lutte contre l’impunité dans ce
pays. Ils se demandent enfin si la CPI s’occupera des autres provinces
où des crimes graves et violations massives des droits humains ont été
commis et où la justice nationale n’intervient pas encore.

Jean Bosco Habibu, avocat et responsable de l’ONG Action des chrétiens
pour l’abolition de la torture (ACAT/Sud-Kivu) en RDC, s’est entretenu
avec Emmanuel Chaco, un correspondant de IPS en RDC, à propos de ce
qu’il qualifie de défi de crédibilité, d’efficacité et d’effectivité du
travail de la CPI pour la lutte contre l’impunité en RDC.

Q: Quel est l’apport de ces procès dans la lutte contre l’impunité en
RDC face à d’innombrables crimes demeurés impunis dans ce pays?

R: L’intervention de la CPI s’inscrit dans la complémentarité entre elle
et la justice congolaise. Ce principe est contenu dans son statut et
repris dans le code congolais de justice militaire. La CPI ne peut pas
remplacer la justice congolaise et poursuivre tous les cas de crimes. Et
même si la CPI avait les moyens de poursuivre tous les crimes en RDC,
cela reviendrait pour le pays à céder une partie de sa souveraineté. La
justice est un attribut de souveraineté des Etats. La RDC doit aussi
donner des réponses aux demandes de justice à travers un programme conçu
de lutte contre l’impunité, la protection des victimes et des témoins.
Les procès à la CPI dont il est question n’ont qu’une simple portée
pédagogique.

Q: Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo ont respectivement été transférés
à la CPI en octobre 2007 et en février 2008. La Chambre préliminaire I a
décidé de joindre leurs cas qui sont similaires. Quel intérêt y -a-t-il
de joindre deux affaires qui peuvent être traitées séparément?

R: C’est ici que je voudrais relever les faiblesses de la cour. Il n’y a
justement pas besoin de joindre ces deux cas même s’ils sont quelque
peu similaires et liés. Certaines particularités pourraient échapper au
juge s’il examine les deux cas en même temps. Et cela a des risques
d’entamer les droits des victimes et de vider l’obligation pour la CPI
de dire le bon droit. La cour devrait examiner de manière séparée ces
deux cas en vertu du principe de l’individualité de la responsabilité
pénale, auquel la CPI ne peut déroger.

Q: Quelques Congolais sous-estiment l’action de la CPI et considèrent
qu’elle ne s’intéresse qu’à la RDC. Pour d’autres, c’est une "Cour
pénale pour l’Ituri", puisque les cas qui concernent la RDC à la CPI ne
touchent que les ressortissants de cette région.

R: La CPI est régie par des textes qui garantissent son indépendance et
son impartialité. Son personnel est choisi sur la base de la compétence
morale et intellectuelle. Sur la base de ceci, elle opère ses choix. Je
crois qu’il y a une déficience de compréhension du travail de la CPI en
RDC. Le bureau du procureur devrait informer davantage la population à
ce propos. Mais si la CPI subit les caprices des politiques, la RDC
devrait savoir exploiter la brèche à son avantage.

Q: Tout cela n’explique toujours pas le fait que le procureur ait choisi
d’en poursuivre deux par ethnie majoritaire: voulait-il satisfaire des
revendications purement équilibristes en Ituri?

R: C’est vrai. Mais une fois encore, il appartient à la CPI d’expliquer
ce choix à la population congolaise.

Q: La RDC a ratifié le Statut de la CPI en avril 2002. Elle est le
premier pays à avoir livré ses ressortissants pour être jugés par cette
cour. Elle est aussi première à avoir rendu des jugements appliquant
directement les dispositions dudit statut sur la base du principe de
complémentarité. Mais qu’est-ce qu’elle en tire?

R: Les Congolais devraient être heureux du choix de leurs gouvernants de
lutter contre l’impunité. Ils ne devraient pas attendre que la CPI
vienne poursuivre tous les crimes, mais qu’elle y apporte un soutien au
système national pour que cette lutte soit une réalité. Malheureusement,
cette justice, sans moyens, ploie sous le poids de l’exécutif et du
législatif.

Q: Que faut-il faire comme la justice congolaise est faible et ne
parvient pas à donner des réponses aux demandes de justice?

R: Les médias et la société civile doivent devenir de véritables canaux
d’expression des masses qui demandent justice et des pauvres victimes
qui la revendiquent depuis de longues années. Ils doivent interpeller
les autorités et leur demander de donner à la justice des moyens de
lutter contre l’impunité.

Q: L’éloignement de la CPI est-il un atout pour l’indépendance de ses
juges?

R: Pas particulièrement. Mais, il diminue les éventuelles influences des
politiques, des victimes, des témoins et des proches des personnes
poursuivies.

Q: Puisque vous parlez des témoins, il y a toujours eu crainte pour eux
d’accepter de témoigner contre ces chefs rebelles, notamment à cause
d’éventuelles représailles dont elles pourraient être encore victimes.

R: Les textes ont mis en place des mécanismes de protection des victimes
et des témoins qui acceptent de témoigner lors des procès. Ils sont
anonymes, désignés par des codes, ne peuvent être filmés, leurs visages
ne peuvent être montrés à la télévision, leurs voix cryptées,
représentés par un représentant légal…

Q: En Ituri, quelques Congolais devraient quand même en connaître
quelques-uns sur les 345 qui ont accepté de témoigner. Si jamais ces
deux chefs rebelles étaient innocentés par la cour, quel serait leur
sort?

R: Nous ne pouvons pas encore faire de la préfiguration à propos de la
décision à intervenir.

Q: Encore un mot sur la CPI?

R: Je suis convaincu que la CPI devrait élargir son champ d’action sur
d’autres provinces comme le Bas-Congo (ouest de la RDC), sur le
Nord-Kivu, le Sud-Kivu et le Maniema (est du pays) où il y a eu aussi
des crimes graves et des violations massives des droits de l’Homme. Cet
élargissement ne doit pas épargner des anciens criminels qui sont
aujourd’hui membres des institutions publiques de l’Etat ou proches des
hauts dignitaires du régime en place. Il ne doit pas y avoir une justice
pour les «petits poissons» et une autre pour les «gros poissons».
(FIN/2010)

 

 

 

 

 

 

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