15-02-10 Les Afriques (ch): L’Union internationale des avocats se penchent sur l’OHADA

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l’UIA" src="http://www.lesafriques.com/images/stories/web/actu/Photo-Marie-Christine-Cimad.jpg" />

Les Afriques : A quand remonte la dernière réunion en Afrique de
l’UIA ? Qui devrait être présent au séminaire à Dakar ?

Marie-Christine Cimadevilla : Il y a très longtemps que nous
n’avons pas organisé un séminaire en Afrique sub-saharienne. Le Barreau
du Sénégal nous a invités à le faire à Dakar, ce que nous avons accepté.
Nous serons environ 200 dont 50% d’avocats, 20% d’hommes et de femmes
d’entreprises, 20% de juristes d’entreprises et 10% de personnalités de
divers horizons. Environ les trois quarts des participants seront
africains, la plupart étant membres de l’UIA.

LA : Quel est le regard de vos membres, notamment de droit
anglo-saxon, sur l’OHADA ?

Marie-Christine Cimadevilla : C’est en train d’évoluer. Tout
d’abord, il y avait une certaine méconnaissance de l’OHADA qui était
perçue comme une initiative essentiellement française, plus ou moins
imposée. Il y a donc eu un problème d’adhésion, même des professionnels
de la zone OHADA. Mais l’expérience a aujourd’hui plus de dix ans et je
pense qu’elle connaît une vraie reconnaissance intérieure et extérieure,
même si on constate de nombreuses failles et insuffisances à la fois
sur le plan des réalisations et sur ce qui reste à faire et à concevoir.

"Alain

Alain Fénéon : L’origine de l’OHADA c’est tout de même la réunion
des chefs d’Etat africains de la zone Franc du 5 octobre 1992 à
Libreville. C’est à leur initiative et à celle du président Abdou Diouf
qu’est née le rapport fondateur de l’OHADA qui dit : les investisseurs
étrangers n’ont plus confiance en l’Afrique parce que, notamment, nous
ne sommes pas capables de présenter un droit moderne, cohérent, par
rapport aux exigences du commerce actuel et il nous faut faire un
effort.

Les pays francophones ont été concernés parce que justement l’ennui
c’était les pays de la zone Franc ! Tous les Etats de la zone Franc ont
adhéré à l’OHADA. La Guinée qui n’était pas membre de la zone Franc a
aussi adhéré, ainsi que la Guinée Bissau et la Guinée équatoriale qui
font partie de la zone Franc mais qui ne sont pas francophones.
Dans son élaboration, les Etats africains ont été très fortement
impliqués car ce sont des commissions nationales qui ont discuté les
textes et les ont votés. Depuis 2000, les étudiants en Droit en Afrique
n’apprennent que l’OHADA. Pour eux, c’est leur droit et ils le
revendiquent. Il n’y a plus d’empreinte d’experts étrangers sur l’OHADA.

Certes, il y a toujours des lenteurs dans l’appréhension d’un droit au
travers des générations plus anciennes. Mais demain lorsque ces jeunes
avocats et juges deviendront bâtonniers, chefs de Cour, chefs
d’entreprises ou président de leur pays, il est certain qu’ils
appliqueront encore mieux l’OHADA. Aujourd’hui, effectivement, les Etats
trainent un peu des pieds. Mais c’est le droit de ces Etats.

LA : Quel bilan peut-on tirer des quinze années d’existence de
l’OHADA ?

Alain Fénéon : L’objectif de sécurité juridique pour les
entreprises et les commerçants, qui sont les utilisateurs de l’OHADA,
est atteint. Les textes sont clairs, très largement diffusés, notamment
avec les codes OHADA.
Un deuxième chantier, qui sera celui des dix prochaines années, reste à
ouvrir : celui de la sécurité judiciaire. Il consiste à ce que
l’ensemble des Tribunaux et Cours d’Appel de l’espace OHADA appliquent
convenablement ces textes et, au-delà, que le juge africain qui est
aujourd’hui soumis à de nombreuses pressions, devienne ou redevienne un
juge totalement indépendant, compétent et bien formé.
La solution communautaire pourrait être une bonne solution. Je milite
aujourd’hui pour la création, dès le premier degré de juridiction, d’un
Tribunal composé de magistrats qui seraient des fonctionnaires à statut
communautaire, rémunérés directement par l’OHADA, et soumis à un statut
particulier les exemptant de toute relation avec leur Etat d’origine.
Ces magistrats seraient indépendants, car ils ne siègeraient pas dans
leur propre Etat, mais dans les autres Etats de l’espace OHADA. Ils
pourraient être recrutés sur concours, sans qu’il soit tenu compte de
quotas nationaux. Ils pourraient être de ce fait mieux formés et
spécialisés, et ce d’autant que l’ensemble des juridictions du premier
degré de l’espace OHADA pourrait être ramené à une trentaine de
Tribunaux de Première Instance, et ce compris la République Démocratique
du Congo, et à 17 Cours d’Appels (une par Etat). Telle est l’évolution
vers laquelle il faut se diriger pour assurer la crédibilité et
l’indépendance du système judiciaire OHADA.

LA : L’OHADA a été taillée sur
mesure pour les grandes entreprises, notamment étrangères et peu pour
les PME, le monde agricole qui monte en puissance et a fortiori le
secteur informel…

Marie-Christine Cimadevilla : C’est aussi en train d’évoluer. Au
départ, le projet OHADA était clairement destiné à assurer la sécurité
juridique des investissements étrangers et de l’activité des grands
groupes africains. Les choses ont changé car l’OHADA est la pratique
quotidienne de tous les avocats, juges et de tous les juristes quelque
soit la taille de l’entreprise. Si on parle de secteur informel et de
petites PME, ce sont des acteurs économiques qui, en toute hypothèse,
sont loin de la règle de droit car ils ont leur propre fonctionnement.
Mais là aussi, il y a une évolution et un rapprochement.
Mais si la règle de l’OHADA est commune, claire, et s’installe petit à
petit, elle doit être complétée. Car un des défauts de l’OHADA
aujourd’hui c’est que l’ensemble du droit de l’entreprise n’est pas
couvert. On attend l’Acte sur le droit des contrats qui est en stand-by
depuis longtemps maintenant et le texte sur le droit du travail qui est
important pour les entreprises. Mais une fois qu’on aura complété et
investi tout le territoire de l’activité de l’entreprise, le mouvement
va se faire naturellement.
D’autre part, la sécurité judiciaire est absolument nécessaire.
J’ajouterais qu’il y a une pénétration de plus en plus importante de
l’arbitrage mais aussi de la médiation. Tout ce mouvement est
contemporain. Donc il y a une prise de conscience de la part des
entreprises, des juristes d’entreprises, des avocats, qu’il est utile,
nécessaire et bon de trouver des moyens de résoudre les différends
autrement. Notamment parce que la sécurité judicaire n’est pas assurée,
mais pas uniquement. Ce mouvement d’uniformisation du droit a favorisé
les échanges entre les uns et les autres.
Ce qui est aussi très positif c’est l’intérêt très vif à l’égard de
l’OHADA porté par des intervenants extérieurs. Par exemple, en Chine,
vous avez maintenant des réunions OHADA tous les mois, vous avez des
universités dans lesquelles les Chinois étudient le droit OHADA, à
Macao, à Pékin, à Shanghai. Ceci montre que les investisseurs chinois,
dont on connaît l’importance sur le plan économique et politique, ont
parfaitement conscience que c’est un outil, un passage obligé : celui
qui ne maîtrise pas cette règle de droit uniforme est handicapé.

LA : La difficulté de faire sortir des textes importants
implique-t-elle qu’il faille revoir le mécanisme de fonctionnement
intérieur de l’OHADA ?

Alain Fénéon : C’est ce qui a été réalisé à l’occasion du Sommet
de la Francophonie à Québec en 2008. Le Traité de l’OHADA a été amendé
afin d’améliorer son organisation : la Cour commune de justice et
d’arbitrage a été dotée de magistrats supplémentaires ; le rôle des
Commissions Nationales a été renforcé, un Conseil des chefs d’Etat a été
créé afin de dynamiser le fonctionnement de l’Institution.
Par ailleurs, un programme de révision des textes a été lancé à
l’initiative du Secrétariat permanent et de la Banque mondiale. Des
Experts ont travaillé sur les projets de révision et les Commissions
Nationales vont se réunir au cours de l’année 2010 pour examiner leurs
rapports et améliorer certains textes.
Enfin, s’agissant du projet d’Acte Uniforme sur le Droit du Travail, on
se doit de constater son absolue nécessité : de grandes entreprises
étrangères, mais aussi africaines, sont parfois victimes de décisions
judiciaires scandaleuses. L’entrée en vigueur d’un Acte Uniforme sur le
Droit du Travail constitue une solution évidente, car il permettrait
d’imposer aux Tribunaux et aux justiciables des règles intangibles, et
donc une prévisibilité du risque juridique.
La rédaction de cet Acte Uniforme est par contre beaucoup plus délicate
que celle des autres Actes : il convient en effet de trouver une
harmonie entre les positions des entreprises, des salariés et de l’Etat.
Ce dénominateur commun dans un Droit paraissant « conflictuel » est
difficile à trouver.
Au surplus, le Droit du Travail doit rester vivant ; il suppose de
pouvoir « respirer » et s’adapter à l’évolution des relations sociales.
Il faut là encore trouver une solution pour pallier à la rigidité de
l’Acte Uniforme en privilégiant notamment le rôle des conventions
collectives nationales ou de branche.
Là encore, le séminaire de Dakar peut être l’occasion de recueillir les
avis et suggestions des praticiens sur ce sujet.

LA : Qu’attendez-vous de la conférence de Dakar ?

Marie-Christine Cimadevilla : Si vous prenez l’exemple du blocage
du texte sur le droit des contrats, deux conceptions s’opposent : ceux
qui considèrent que le projet soumis est un projet imprégné de Common
Law et ceux qui pensent, au contraire, que c’est une chance d’avoir un
texte plus ouvert, plus international, qui permet une adaptation et fait
le lien avec des traditions de Common Law. A Dakar, nous voulons
permettre aux uns et aux autres d’exprimer leurs points de vue. C’est
pour ça que nous avons demandé à des juristes africains, des femmes et
hommes d’affaires africains, à des professeurs de droit africain, à des
autorités africaines mais aussi à des juristes nord-américains, à
d’autres qui exercent en Chine de venir et de nous donner leur point de
vue. Ils ont tous un point commun : un véritable intérêt pour le projet
OHADA.
Au fond, que ce soit en Afrique, en Europe ou ailleurs, nous,
praticiens, nous sommes soumis à des problématiques qui sont très
proches sur des terrains très différents. C’est là qu’à l’UIA, à Dakar,
nous pouvons rapprocher les points de vue, confronter les expériences et
peut-être à l’issue du séminaire faire une petite synthèse.

LA : Quels seront les deux ou trois points clés qui seront
débattus à Dakar ?

Marie-Christine Cimadevilla : Un point important sera l’insertion
du droit OHADA au sein du droit international, des grandes conventions
internationales. C’est important au plan pratique et symbolique. Le
règlement de litiges est aussi très important : arbitrage, médiation,
règlement judicaire. Car on aura des officiels de l’OHADA, les
bâtonniers de tous les Etats membres de l’OHADA, des confrères venant de
pays non OHADA notamment, sans doute, une très grande représentation
nigériane et d’Afrique du Nord.
Dans ce cadre, on va pouvoir échanger des expériences, dire très
clairement : nous avons des textes mais nous avons du mal à les mettre
en œuvre parce qu’il y a des freins. Et un des freins, c’est la
corruption. Comment puis-je faire, moi, avocat, représentant
d’entreprise, pour m’en sortir alors que je sais que je suis dans un
contexte où la corruption présente un obstacle et je ne veux pas rentrer
là dedans. Ai-je des solutions ? A Dakar dans le cadre de l’UIA, nous
sommes dans un lieu unique car nous n’intervenons pas dans un dossier
particulier, mais nous avons des interlocuteurs que nous pouvons
interpeller.

Propos recueillis par Bénédicte Châtel

Qui fait quoi ?

L’Union internationale des avocats, créée en 1927 par des avocats
européens, comprend des membres individuels et collectifs, c’est-à-dire
les barreaux (plus de 200), des associations et des fédérations relevant
tant du droit romain que de la Common Law anglo-saxonne, soit plus de
deux millions d’avocats dans 110 pays. L’UIA s’affirme comme étant
plurielle avec pour langues officielles le français, l’anglais,
l’espagnol, l’allemand, l’italien, l’arabe et le portugais et pour
langues de travail le français, l’anglais et l’espagnol. A titre de
comparaison, son pendant anglo-saxon, l’International Bar Association,
créée en 1947, compte 35 000 avocats et 197 barreaux et structures
juridiques.
L’UIA organise le séminaire de Dakar avec l’aide de l’Unida qui envoie
un certain nombre d’orateurs. Le séminaire est financé par les droits
d’inscriptions des participants non-africains, par la Banque africaine
de développement et la Facilité africaine de soutien juridique.

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