La crise morale et ses effets politiques en RD CONGO, par Emmanuel Ngeleka Ilunga

 

Une chose est sure : en
institutionnalisant les antivaleurs (quoique de façon implicite), lesquelles
sont  ennemis du progrès tels la
corruption, le népotisme, le tribalisme, la brutalité, l’hédonisme, l’impunité
et l’amour de l’argent facile, le long règne du Marechal Mobutu (32 ans) avait
fini par laisser un pays à genoux, au
propre comme au figuré. Même nos  libérateurs 
de l’AFDL, mués par après en PPRD n’y
ont rien changé ou presque. Récemment encore, le journaliste François Soudan peignait
un tableau plutôt  sombre de la situation
générale du pays, observant qu’il ne se passe  « pas une semaine sans son lot d’exactions au
Sud-Kivu, de viols dans le Haut-Uélé, de bavures des services spéciaux à
Kinshasa, d’affaires de corruption au sein de la magistrature, pas un jour sans
un cas de racket policier 
»(1)

 

Bien que la crise morale secoue tous
les pans de la société congolaise (Administration, l’enseignement, l’économie,
le sport, les comportements, etc.) c’est en matière politique cependant qu’elle
 est plus perceptible, sans doute compte
tenu de l’impact du secteur politique dans nos vies. Et puisque les dirigeants
politiques sont le plus souvent sous les feux de l’actualité. Ci-après quelques
cas courants révélateurs de l’ampleur de la crise morale dans le chef de
l’acteur politique congolais de tout bord.

 

RDC, une République bananière. Lorsque le 21 septembre 2008 a lieu l’empeachement de M. Thaboo Mbeki, Président sud-africain, par
le Comité National Exécutif de l’ANC (NEC), d’aucuns auraient craint des débordements des partisans des deux
camps qui se livraient pourtant  une
guerre sans merci au sein de l’ANC, le parti au pouvoir en Afrique du Sud. Il
n’en fit rien. La vie continuait comme à  la normale : pas de déploiement des
forces armées, pas d’attroupement ni de panique dans la population. Et pourtant
il s’agissait d’une secousse politique
majeure. M. Kgalema Mothlanthe, Président intérimaire à l’époque, se
réjouissait de cette maturité de son peuple: “Nous avons démontré à la face du monde la solidité de notre ordre
constitutionnel et la vigueur de notre jeune démocratie
”. Un courant
politique triomphait sur un autre dans les règles de l’art, tout simplement.

 

En RDC par contre c’est le revers de la
médaille. Réunis afin de définir le nouveau cadre devant régir l’après- Mobutu,
les membres de la
Constituante
ont, sur l’instance du nouveau pouvoir AFDL
« omis » l’article relatif à
 la vacance du pouvoir au sommet de
l’Etat et à  son intérim, article qui
figure pourtant dans toutes les constitutions du monde ! C’est à cause de
ce vide constitutionnel que l’AFDL désignera l’actuel homme fort de
Kinshasa en 2001 pour succéder à LD Kabila après son assassinat. Ce sont
l’incompétence, la complaisance, l’irresponsabilité et la corruption à l’état
pur qui ont favorisé cette « omission »
volontaire.

 

Un an plus tard, au lendemain de la
tentative manquée de prise de l’aéroport de Ndjili en aout 1998 par le RCD/Goma
et ses alliés rwandais et ougandais, LD Kabila voulant témoigner sa magnanimité  aux populations de
Kingasani (banlieue de Kinshasa) décide
et annonce lors d’un meeting impromptu de les exempter des frais de Regideso
(factures d’approvisionnement en eau) pour une certaine période. Seulement voilà
: le « bienfaiteur »
n’avait pas réfléchi aux implications financières et économiques de sa décision
sur la Regideso,
fut-elle entreprise étatique. Et la mesure fut sans lendemain.

 

Comme le sont le jour et la nuit,  la différence entre ces deux cas africains est
frappante: lorsque les institutions impersonnelles sont mises en place et que
la volonté unanime de les respecter est évidente, il s’ensuit la stabilité. Ce qui est courant
chez-nous est propre à toute république bananière où  la loi ne s’applique pas à la classe
dirigeante et les règles élémentaires de
la morale bafouées au quotidien. Et comme dans le cas des habitants de Kingasani,
nombre de décisions au sommet de l’état sont prises sur un coup de tête ou sous
le coup de l’émotion, en dehors de toute prévision budgétaire,  sans une  pensée rationnelle.

 

La
boulimie du pouvoir.
 A  chaque fois
qu’une joute électorale s’annonce en RDC, il nous est donné d’assister à  un spectacle désolant. C’est le jeu des
coudes, le Ote-toi que je m’y mette, cela
en dehors des règles de l’art démocratique. Des fois, cela nous rappelle
l’histoire de la grenouille voulant se faire aussi grasse que le bœuf !
Rares sont ceux qui sont conscients de leurs propres limites (en aptitudes, en popularité,
en expérience). Lors de la CNS
en 1992 il nous fut annoncé que pas moins de … 400 candidats étaient prêts à
briguer le poste de Premier Ministre ! Rappelez-vous de la Mouvance présidentielle
qui jugea bon de présenter un … photographe (un certain M. Kanku) contre
l’archevêque de Kisangani pour le poste si important de président du
Bureau de HCR-PT! Supposons  qu’il fut
élu, qu’aurait-il fait, notre photographe, à  part susciter l’hilarité générale ? Ils
avaient déjà M. Kalonji Mutambayi dont l’incompétence était patente. 

 

Les présidentielles de 2006, saluées
par la communauté internationale comme étant « les
premières élections démocratiques du pays
 » n’ont pas démenti ces affirmations.
En effet, une fois de plus, nombreux sont ceux qui se bousculaient au portillon
en vue de briguer la magistrature suprême. MM Djomi Ndongala, Nzuzi wa Mbombo, Antoine
Gizenga, M. Oscar Kashala et tant d’autres. Aucun n’a eu à organiser un mini-sondage
d’opinion dans une circonscription électorale en vue de tester ses chances
d’être élu. C’est à croire que la seule condition était de disposer de la somme
exigée par la Commission
électorale (USD 50.000). Qu’est-ce qui a justifié la présence d’autant de
candidats surs de ne pas gagner ? L’opportunisme,
l’irresponsabilité ? Probablement. A moins que ce ne fut uniquement dans
le but d’enrichir son CV.

 

Prenons Mme Justine Kasavubu,  laquelle représentait  à l’époque l’UDPS au Benelux et  semblait promue à un bel avenir politique. Avant
 l’arrivée de l’AFDL, elle jasait dans la
presse : « Après avoir subi un Président- Fondateur
(Mobutu), je ne veux pas d’un
Président-Libérateur  
(LD Kabila) » !
Etaient-ce des propos sincères ou plutôt un appel de pied vers les nouveaux
maitres de Kinshasa ? Une chose est sure : peu après la prise du
pouvoir par l’AFDL, son discours changea
du tout au tout : sous prétexte qu’elle n’a « jamais
vu une dictature
combattue avec
succès par une lutte non armée
  (la stratégie de l’UDPS)» elle sauta
sur le navire AFDL. Elle perdit du coup toute crédibilité, pourtant le fruit de nombreuses années de
lutte contre le régime Mobutu. LD Kabila  la nomma ministre de la Fonction Publique
avant de la rejeter  et elle s’en alla rejoindre l’opposition où  elle fonda un parti politique alimentaire,
puis  prit part aux élections auxquelles elle obtint … 1% au premier
tour ! Est-ce cela le parcours
d’une présidentiable ? Quant à Monsieur Theodore Ngoyi, avocat et pasteur d’église, il n’avait sur sa
carte de visite que le fait d’avoir du courage et … le verbe facile. Il n’a
jamais étalé ses capacités de gestionnaire nulle part, à  part la gestion de… son  église.
Cela suffit-il pour être Chef d’Etat en RD Congo ?

 

Nous pourrions multiplier des exemples
qui n’indiquent tous que ceci : Les politiciens chez-nous (qu’ils vivent au pays ou proviennent de la Diaspora) veulent le
pouvoir hic et nunc. Pourtant  les
Romains de l’Antiquité ont légué à  la
postérité le principe de  cursus honorum : il vaut mieux gravir les différentes marches de pouvoir les
unes après les autres qu’être parachuté à  un poste : on acquiert de l’expérience,
on se taille au fil de temps une « épaisseur »
politique, on se fait connaitre et on « vend » ses idées et on en tire de la respectabilité.

 

A ce sujet Monsieur Jean Collins, plusieurs fois ministre au Sénégal, aimait
répéter devant son auditoire: “un homme
politique a deux étapes dans sa carrière. La première au cours de laquelle il écrit
des lettres que quelqu’un d’autre signe; et la seconde au cours de laquelle il
signe des lettres écrites par d’autres
”. Facon subtile de décrire la
période d’apprentissage précédent celle de maitrise du travail. Comment arriver
à être bon gestionnaire si l’on n’a pas soi-même appris auprès des autres
pendant une longue période ? La première étape c’est la période au cours
de laquelle, dans le sillage d’un mentor quelconque un jeune cadre apprend à
préparer des dossiers ou à  établir des
rapports, il assiste à la résolution
des conflits au sein de son parti politique, prend part aux débats importants,
joue le rôle d’un émissaire, il bat campagne pour son leader et le voit faire
face à  la victoire ou la défaite. S’il
met à  profit cette étape pour gagner la
confiance du leader et  celle de son
parti par ses qualités morales et son savoir-faire, il sera propulsé plus tard  dans la seconde phase où  désormais « il signera des lettres rédigées par d’autres », et aura des
gens à  son service. C’est le cheminement
des hommes politiques comme Nicolas Sarkozy (parlementaire, plusieurs fois
ministre et opposant selon que son parti politique remportait ou perdait les élections,
président du parti politique après en avoir été Secrétaire-General, Président
de la République). Le manque d’intégrité si courant en RDC amène
les politiciens à bruler ces étapes (par la trahison, la corruption) ou parce
qu’ils piaffent d’impatience.

 

L’idéologie
de l’argent.
Prenez le curriculum d’un politicien congolais au hasard:
à  part quelques cas rares à  compter sur les doigts d’une main, la grande majorité a une constance dans leur parcours: une carrière
politique en zigzag, faite de reniements constants. Ils sont au pouvoir de
l’argent et leur cœur balance en fonction du billet vert. Les valeurs morales
leur importent peu.

 

Un cas d’école est sans doute celui de
l’actuel Ministre de la
Communication
, M Lambert Mende. Il fut à  la fois « opposant »  à  Mobutu (à l’époque où il appartint à l’Union
Sacrée
)  et devint son ministre de
Transport peu avant sa chute ; il fut aussi opposant à  l’AFDL (en tant
que porte-parole de RCD/GOMA) et actuellement est ministre de Kabila Fils. Que dire de notre ministre des Affaires étrangères,
M Tambwe Muamba ? Est-il aussi étranger
à toute morale sur le plan personnel au point de vagabonder dans tant de partis politiques aux philosophies si
différentes et opposés les uns aux autres (MPR/UDI/RCD-GOMA/MLC/PPRD) ? Rien
ne dit qu’ils sont au bout de leur (longue) pérégrination dans les partis
politiques. Que le régime change et aussitôt ils iront  chercher le pouvoir où il réside en portant ses couleurs politiques
pour la circonstance. Comment peuvent-ils  se regarder dans le miroir et être fiers de ce
qu’ils sont ? Est-il imaginable de trouver sous d’autres cieux un ministre
qui fut à la fois socialiste, centriste et communiste? Qui l’acceptera et le
prendra au sérieux ?

 

On n’entre  pas dans un parti politique comme dans un
marché mais plutôt comme dans une religion. C’est un acte de foi. Dans un parti
politique on adhère à sa philosophie, à  ses démarches et ses objectifs. S’agissant  d’un adulte, on peut s’imaginer que c’est
après réflexion et non après coup que la décision avait été prise. Même les
supporters de club de football ne sont pas prêts à faire un tel « voyage », allant tantôt de celui-ci
à celui-là au lendemain d’une défaite cuisante. Quelle respectabilité
auront-ils auprès de leurs amis et leur famille ? En RDC le vagabondage politique est devenu le
sport le plus pratiqué par la classe politique et le message que ces messieurs
envoient est celui-ci : « nous sommes prêts à devenir tout ce qui est possible pour gagner de l’argent ». La morale
entendue comme « un ensemble de règles
qu’un homme respecte (ou devrait respecter) dans sa vie privée ou vie sociale »
est inexistante chez-nous. Les actes de pillage qui ont lieu au cours des
années 1990s et le comportement général du congolais le témoignent. C’est le
règne du « vas-y-comme-je-te-pousse »
ou « je le fais comme je l’entends,
sans me préoccuper de ce que les autres en pensent
 ».

 

La crise morale qui secoue notre pays
depuis plusieurs années semble ne pas faire l’objet ni d’attention qui lui
devait être due ni ne constitue une priorité pour le gouvernement ni de
personne d’autre. Le régime Mobutu avait bien identifié la cause de nos maux en
taclant en son temps  « les dix fléaux » mais le dossier
fut sans doute classé puisqu’on n’entendit plus parler. Les nombreuses églises qui peuplent nos
quartiers n’ont pas aidé à résoudre ce
grand mal. Dans les universités et même au vu des travaux d’universitaires congolais
peu de cas lui sont accordés. Et pourtant notre pays est bien malade. Les
valeurs morales sont ce qu’il y a de plus important chez les humains :
ceux qui l’ont oublié au long de l’histoire l’ont payé très cher par
l’écroulement de leur civilisation. Les media occidentaux nous parlent souvent
des « affaires » dans les
milieux politiques, à  propos desquels la
justice sévit sévèrement. La raison est qu’ils ont retenu la leçon de
l’histoire et le message qu’ils envoient semble être celui-ci : « nous ne tolérerons pas la corruption de peur
de favoriser le déclin de notre civilisation ».

 

Le dernier remaniement à Kinshasa se
devait, entre autres choses,  de
sanctionner les écarts de comportement de M Lumanu, Directeur du Cabinet Présidentiel,
à l’ endroit de Mme l’ambassadeur du Canada. Au contraire, comme au bon vieux
temps du mobutisme, il fut  maintenu au
gouvernement et nommé au poste important de Vice-Premier Ministre et Ministre
de l’Intérieur. Ou est l’éthique dans tout cela ? Hier comme aujourd’hui, la
morale est le dernier souci de nos dirigeants. Mais l’histoire récente nous
apprend que favoriser les antivaleurs est une épée à double tranchant puisque
cela peut se retourner contre vous-même. Le Marechal Mobutu dont le régime
était devenu synonyme de corruption généralisée l’a appris à ses dépens :
s’il a été victime de tant d’actes de traitrise de la part de ses généraux,
ministres et conseillers au profit de l’AFDL n’était-ce pas puisqu’ils étaient
tant corrompus ? Etre « à la
recherche de 5 à 15 cadres pour diriger la RDC
 » et en même temps encourager les
antivaleurs c’est vouloir une chose et son contraire en même temps. Les
compétences en termes d’expertise sont (peut-être là) mais que vaut science
sans conscience ?

 

 

[i]



[i] In Congo Bashing, Les courriers Sud, le
blog de François Soudan, 23/10/2009

 

 

 

(Mes articles paraissent sur   www.congoone.net ).

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