Mbandaka, Sud et Nord-Kivu et le discours officiel en RD Congo (JP Mbelu)
Face à cette
situation de guerre permanente chez nous, certains dentre nous optent
pour un discours moralisateur. Appelant la paix de tous leurs vœux, ils
trouvent quil est aujourdhui irresponsable que des fils et filles de
notre peuple ne comprennent pas que prendre les armes ne résout pas la
question de la reconstruction de notre pays. Au lieu de ce recours aux
armes, ils feraient mieux de lutter démocratiquement pour rejoindre les
institutions républicaines et participer à lédification dun autre
Congo.
La
question que ce discours moralisateur ne semble pas poser est celle de
lusage que les gouvernants actuels font de ces institutions chez nous.
Carriéristes politiques et nouveaux venus dans larène politique
congolaise ont fait bloc avec des maffieux économiques mondiaux pour une
gestion patrimonialiste de la chose publique congolaise. Pour
éviter dêtre comptables devant nos populations, ils participent de la
mise en place des institutions parallèles aux institutions officielles.
Ils évoluent au sein dun système de prédation ayant une grande capacité
de neutralisation des énergies novatrices. Aussi, le discours
moralisateur perd-il de vue que ce qui se passe chez nous a
des liens avec les méthodes auxquelles recourent les capitalistes du
désastre. Faisant fi de toute morale, ils affirment que « la démocratie
est au bout de la kalachnikov » ; contrairement à leur rhétorique
officielle.
Quil soit
partagé ou pas, ce discours moralisateur comptent beaucoup dadeptes
chez nous. Mais il nest pas le seul à être tenu dans lespace vital
congolais.
Dautres
compatriotes soutiennent que lAFDL ayant été « le cheval de Troie »
dont ce sont servis les pouvoirs néocoloniaux pour occuper notre pays et
exploiter nos richesses du sol et du sous-sol à moindres frais par le
Rwanda, lOuganda et le Burundi interposés, le Congo ne pourra vivre en
paix que le jour où il réussira à se débarrasser « des occupants »
représentés au somment de lEtat par Joseph Kabila. Plusieurs
compatriotes impliqués dans la guerre de Mbandaka, du Nord
et du Sud-Kivu ainsi que leurs soutiens partagent ce point de vue. Pour
eux, le processus démocratique de 2006 na rien changé à cet état des
choses. Parmi ces compatriotes, il y en a qui ont participé aux
institutions mises en place depuis 2006. Ils disent les
avoir désertées parce que la cause de la démocratie ny est pas servie.
De nos sources
au Sud-Kivu, nous apprenions par exemple que le « raïs » sollicitant la
libération des membres de la CICR par leurs ravisseurs Maï
Maï aurait appris, à ses dépens, que ces derniers ne lui faisaient pas
confiance. Les Maï Maï auraient formulé certaines revendications avant
de sexécuter : « Renvoyer les militaires Rwandais présents dans les
FARDC chez eux ; renvoyer les Hutu chez eux pour couper lherbe sous les
pieds de Kagame ; démocratiser le pays. » Répondant à ces
revendications, « le raïs » aurait proposé une rencontre entre ces
compatriotes, le pouvoir de Kinshasa et les compatriotes ayant pris
laéroport de Mbandaka le week-end de Pâques. Ses
interlocuteurs lui auraient opposé un refus cinglant arguant que Joseph
Kabila nest pas crédible, quil ne respecte aucun accord et nest pas
un garant de la paix pour la RD Congo.
Disons quen
marge du discours politique officiel débité par Lambert Mende, il y
aurait bien des choses qui se passent dans les coulisses (à partir des
structures parallèles).
Selon les
informations recueillies de nos sources au Sud-Kivu, il est possible que
la situation se dégrade davantage.
Pour
ce deuxième groupe de compatriotes, faire la guerre contre « les
libérateurs du 17 mai 1997 » et leurs alliés relève donc de la légitime
défense. Cette vision est partagée par certaines associations et
formations politiques congolaises du pays et de la diaspora.
En plus de ces
deux discours, il y a un troisième : celui de ceux et celles qui se
servent de la guerre pour provoquer des négociations politiques et/ou
avoir accès aux biens matériels (construire des villas, des hôtels, des
4X4, etc.)
Le passage de
certains partisans de lun ou lautre de ces discours dans « le camp
ennemi » est un phénomène fréquent chez nous. Les noyaux purs et durs de
ces discours existent. A les entendre, ils sont disposés à aller
jusquau sacrifice suprême pour que la terre de leurs ancêtres leur
reviennent ; quils en soient les premiers propriétaires et les
bénéficiaires privilégiés.
Pour tout
prendre, disons que cet article revient sur certains lieux communs pour
fixer certains esprits sur ce qui se passe chez nous. Il est établi
aujourdhui que les violons ne saccordent pas sur la lecture des faits
depuis la guerre de lAFDL de 1996 jusquà ce jour. Si une
large majorité de nos populations aspire à la paix, toutes les filles
et fils de notre peuple ne croient pas à son avènement par le processus
démocratique débuté depuis 2005-2006. Leur analyse des faits et du
fonctionnement des institutions issues de ce processus (avec les acteurs
qui les animent) les poussent à essayer dautres voies. Certains parmi
eux ont perdu toute confiance dans la capacité des gouvernants actuels à
conduire le Congo vers un bonheur collectif partagé. On a beau
leur rappeler que la démocratie sapprend à partir des institutions
issues du processus démocratique, ils sont devenus incrédules. Tenir
compte de ce point de vue, cest peut-être aussi
reconnaître que le processus de 2005-2006 est passé à côté des objectifs
assignés à la transition layant précédé : la commission (Justice)
Vérité et Réconciliation na pas fonctionné comme il se devait ; notre
pays ne sest pas doté dune armée disciplinée et républicaine ; la
sécurité na pas été retrouvée sur toute létendue de notre territoire.
Dune certaine manière, la troisième République est née avec des défauts
de fabrications. Elle risque den porter les marques et den payer le
prix pendant longtemps si le discours officiel gomme lanalyse des faits
et reste sourd
aux appels des uns et des autres. Ou plutôt si un leadership collectif
visionnaire narrive pas à rompre avec la navigation à vue,
lautosatisfaction caractérisant les gouvernants actuels et le marionnettisme
dans lesquels notre pays ne cesse de senfoncer.
J.-P. Mbelu