La démocratie et la reconstruction en panne en RDC : les « sept péchés capitaux » de Joseph KABILA
Plus de trois ans après « lélection » de
Joseph KABILA à la tête de
et près dun an avant les élections présidentielles, le bilan de laction
gouvernementale est illisible.
Que sont devenus les cinq chantiers promis par le
candidat KABILA après son élection ? Lesquels ont été ouverts ?
Comment les choix politiques ont-ils impacté la vie des congolais ? Où en
est-on du système démocratique que les élections de 2006 étaient sensées
instaurer ?
Tous les congolais et la communauté internationale se
posent ces questions car
a connu en 2006 des échéances qui ont fait croire à tort ou à raison, quune
page de lhistoire de cet immense pays situé au cœur de lAfrique se tournait
et quune nouvelle, belle et prometteuse souvrait. La communauté internationale
a investi plusieurs centaines de millions de dollars pour accompagner le
processus présenté comme un effort sans précédent et, le peuple congolais sest
mobilisé comme il ne lavait jamais fait au par avant. Les élections générales
pourtant émaillées des graves violences ont été qualifiées
« dhistoriques » car le pays sortait de dix ans des conflits
sanglants. Leur organisation à tout prix a primé sur toute autre considération.
Il fallait arrêter le cycle de violence qui avait déjà provoqué la mort de
plusieurs millions de congolais, et mettre au pouvoir un régime doté de
légitimité électorale.
Le semblant de changement insufflé par le contexte
électoral a même oblitéré tout débat de fond durant toute la période
pré-électorale et électorale.
Néanmoins, dans un monde moderne où lassurance est
devenue le socle du système de protection sociale contre tout risque, était-il
raisonnable de décréter ces élections sans garantie que, non seulement les
résultats des urnes seraient respectés ; mais aussi que les gagnants se
porteraient garants de lapplication des règles et instruments inhérents à
lapprentissage dune société démocratique ? Lanalyse des choix effectués
depuis les présidentielles, que nous présentons sous lexpression triviale de
« sept péchés capitaux » permet de décrypter létat actuel du pays et
les perspectives davenir depuis 2006.
1er péché : Nomination de GIZENGA à la
primature, une perte de temps précieux
Loin de nous lidée de remettre en cause laccord
politique qui a porté la candidature de Joseph KABILA au deuxième tour des
élections présidentielles, ni de douter des qualités humaines personnelles du
patriarche Antoine GIZENGA, il était flagrant de constater que sa nomination et
la composition de son gouvernement étaient inadaptées pour relever lénorme
défi de démocratisation et de reconstruction dun pays sortant de 35 ans de
dictature et de dix ans des conflits meurtriers. Ceux qui ont posé la question
du poids de lâge du premier ministre, dans un rôle qui exige le don de soi,
avaient été traités de tous les noms par les médias clientélistes et
complaisants. 21 mois plus tard, cest lintéressé lui-même qui leur a donné
raison en expliquant que « Pour tout homme, même si lesprit peut encore être sain et alerte,
le corps physique a ses limites dont il convient de tenir compte ».
En tenant compte de cette réalité dès le début, le pays
aurait économisé 21 mois dimmobilisme quil ne pouvait sautoriser car le pays
avait besoin dêtre mis en mouvement tout de suite par des dirigeants capables
de porter les gros enjeux en vue. La composition même du gouvernement GIZENGA
portait en elle-même ses contradictions et faiblesses : le premier
ministre avait été flanqué dun ministre délégué qui jouait en quelque sorte le
rôle du premier ministre Bis. Le nombre pléthorique du gouvernement destiné à
remercier les soutiens de KABILA na pas permis une mobilisation totale pour la
réalisation des « cinq chantiers » restés dailleurs en
« congélation » jusquau départ de GIZENGA du gouvernement. Joseph
KABILA lui-même, constatant cet immobilisme en mai 2009, sétait interrogé
publiquement dans une interview accordée à Colette BRAECKMAN « sil avait
vraiment les dix ou quinze personnes compétentes pouvant laider à reconstruire
le pays ».
La nomination dun premier ministre « fatigué par le
poids de lâge » et de surcroît immobile nétait-il pas un choix délibéré
pour laisser le centre des décisions du côté de la présidence ?
Toujours est-il les nouveaux dirigeants ne se sont pas
inscrits tout de suite dans une recherche des solutions salvatrices pour le
pays laissé exsangue par la guerre. Lappareil politique a servi à une reprise
en mains de tous les leviers de pouvoirs par un seul camp et au verrouillage du
système sociopolitique par un clan politico-militaire. Le deuxième péché le
confirme.
2ème péché : Linstitutionnalisation
des fraudes postélectorales par corruption politique
Dès que tous les résultats des scrutins nationaux ont été
proclamés et durant la mise en place des institutions issues de ces échéances
en 2006, le parti présidentiel a aussitôt entrepris dobtenir par la corruption
ce quil na pu gagner par les urnes. Cest ainsi quau mépris de toutes règles
démocratiques, éthiques et déontologiques, des candidats du PPRD battus par le
verdict des urnes se sont retrouvés à la tête des provinces acquises à
lopposition : Kinshasa, Bas-congo, les deux Kasaï, et plus tard
lEquateur. Ces revirements démontrent létat psychologique des dirigeants
actuels dont la seule motivation est le pouvoir, largent et la gloire qui va
avec. Le sort de la population, sa volonté et ses besoins passent en second
rang. Naturellement, ces dirigeants « illégitimes », ont utilisé les
fonds publics pour corrompre leurs adversaires et se sont mis au service dun
système plutôt que de leurs administrés qui leur ont refusé leur confiance dans
les urnes.
Ce péché est un des plus caractéristiques car il a
anéanti complètement le peu dacquis démocratique et de consensus ayant existé
durant la transition de 2003 à 2006. Ces facteurs avaient permis la
cohabitation dentités opposées jadis par les armes, et jeté quelques bases de
la diversité dans la gestion de
des médias dobédience différente avaient pu se constituer et sexprimer, des
hommes politiques ne partageant pas les mêmes points de vue avaient pu diriger
des institutions étatiques ensemble. Linstitutionnalisation de la corruption
politique a aboli définitivement tout espoir de diversité dans le paysage
politique en sappuyant sur la répression violente de toute contestation.
3ème péché : La répression violente et
systématique de toute contestation politique
La période
électorale avait été marquée par des violences de rare intensité dans la
ville-capitale de Kinshasa. Daucuns auraient imaginé quune fois les résultats
proclamés, les nouveaux dirigeants sattellent à réconcilier le pays et à se
mettre aussi à lécoute de ceux qui nont pas voté pour eux et qui ne partagent
pas leur offre politique.
Malheureusement, à la place de « la sagesse
africaine du chef », la violence a été systématiquement et impulsivement
utilisée pour mater toute velléité de contestation. Très marquée à lOuest que
dans la partie Est du pays, tout laisse croire que la répression est utilisée
par les nouveaux dirigeants pour punir ceux qui ont « mal voté ». A
Kinshasa contre les militaires commis à la garde de lancien Vice-président
Jean-Pierre BEMBA, puis dans le Bas-Congo et à Kinshasa contre les partisans de
Bundu Dia Kongo et à léquateur contre les patriotes résistants de Dongo, le
gouvernement a utilisé une violence inouïe et disproportionnée sans faire cas
de la population civile. Contrairement aux modes de règlement des conflits
utilisés dans la partie Est du pays impliquant des négociations avec des
mouvements rebelles, aucune chance nest laissée au dialogue ou à la paix à
lOuest. Ecraser lennemi a été la seule préoccupation du gouvernement qui
nhésite pas à utiliser des armements lourds en pleine ville au mépris des vies
humaines.
Ce péché combiné avec le précédent, cest-à-dire, la
corruption politique, a fini par enlever tout espoir de construction dune
société démocratique basée sur le dialogue permanent, le respect des opinions
diversifiées, et sur le souci dœuvrer pour le bien du mandant quest le
peuple. Cet anéantissement crée un danger insoupçonné par les dirigeants au
pouvoir : la radicalisation des instincts inhérents au peuple martyrisé et
désespéré. Plus que les armes, ce type de frustrations a servi de moteur des
révolutions ayant éclatées dans certaines contrées. La majorité des congolais
sont convaincus que quelque soit leur choix dans les urnes, les fraudeurs
disposent des moyens pour contourner leurs votes et arriver au pouvoir. Du coup,
la violence utilisée par les contestataires est devenue aux yeux de beaucoup
aussi légitimes que celle utilisée par le pouvoir. Nous voici revenu quinze ans
en arrière.
4ème péché : Accords sino-congolais,
fin de lentente avec la communauté internationale
Contrairement à ce que le gouvernement congolais prétend,
les montages financiers liés à la mise en place des accords sinon-congolais
sont plus destinés à enrichir davantage les intermédiaires quà équiper le
pays. Car aucun pays au monde na jamais été construit ni reconstruit par des
apports financiers étrangers. Même le fameux plan Marshall souvent cité et
vanté à cause de sa contribution au redressement de lEurope après la 2ème
guerre mondiale na bénéficié quaux pays qui avaient des tissus socio-économiques
solides, des populations bien formées et des bonnes classes moyennes (France,
Allemagne, Danemark, Suède, Grande-Bretagne, Luxembourg,…). La reconstruction
par linvestissement et la consommation soutenue des populations a été au
centre de redressement économique durant les trente glorieuses (19745-1974).
Mais pour les pays ayant des institutions politiques opaques, de structure
sociale peu solide et peu démocratique et des populations moins bien éduquées
comme le Portugal,
ou
plan Marshall a été détourné par des dirigeants corrompus et na pas servi à
relancer considérablement léconomie.
Tous les pays du monde, sans exception aucune, qui ont
réussi à se développer avaient la maîtrise totale de leurs ressources naturelles
et se sont donné les moyens de les exploiter au profit de leur économie et de
leur population. Les accords sino-congolais, par leurs termes
disproportionnellement désavantageux à
de privation tout à trac des richesses naturelles du Congo débuté quelques
années plutôt.
Ces contrats ont un effet doublement négatif car ils
marquent aussi le début dune importante fissure entre Kinshasa et une partie
de la communauté internationale. Beaucoup de pays avaient soutenus le candidat
KABILA, poussés par leurs entreprises multinationales ayant ou visant des
intérêts économico-financiers en RDC. Larrivée des chinois a été perçue par
nombre de ces pays comme une trahison pure et simple. Ces derniers ont alors
entrepris à travers leurs bras financiers,
chantages « amicaux » pour obtenir lannulation ou la révision
profonde des contrats visés.
Pour la première fois, la question de
« légitimité » du pouvoir en place en RDC et du changement politique
est évoquée dans les milieux diplomatiques internationaux avec des
personnalités en vue et des hommes politiques congolais de tout bord. Des
canaux comme lONU, lUnion européenne, le FMI et la banque mondiale sont utilisés
pour faire entendre la mauvaise humeur des anciens alliés à Kinshasa. Le bilan
de ces accords, qui seront finalement très fortement édulcorés par des
révisions intervenues sous la pression du FMI et de la banque mondiale, est
aujourdhui très mitigé.
5ème péché :
« Linvitation » de larmée rwandaise, mépris de la mémoire
congolaise
Lorsque le 21 janvier 2009, les médias internationaux
annoncent lentrée des milliers de soldats rwandais dans le Kivu, de nombreux
congolais ont dabord cru à un gag de mauvais goût. Ni la majorité des membres
du gouvernement, ni des officiers supérieurs de larmée, ni des hommes
politiques de haut rang navaient été tenus informés de ce projet. Même
cette initiative, pourtant, elle sera ensuite sollicitée pour transporter des
militaires congolais contraints de sassocier à un jeu macabre avec une armée
dagression qui a décimé des millions de congolais quelques années plutôt.
Létonnement à haute voix dalors « Président » de lAssemblée
nationale, Vital KAMERE, lui a coûté son fauteuil. Certains membres du
gouvernement surpris, comme le porte-parole du gouvernement, Lambert MENDE, ont
parlé de quelques officiers de renseignement rwandais là où il y avait
plusieurs milliers de combattants. Ce qui témoigne du caractère improbable de
cette opération qui ne pouvait quheurter le bon sens car considérée comme une
nième agression.
Aimé CESAIRE disait « qu'un peuple sans mémoire est
un peuple sans avenir ». Or la mémoire congolaise récente est marquée par
5 millions de morts causées par des guerres dagression menées notamment par
les soldats rwandais au nom des intérêts inavouables. Les blessures ouvertes
par les barbaries commises sur les populations civiles (viols, massacres, actes
de barbarie, pillages, humiliations collectives,…) sont encore fraîches et non
cicatrisées. Comment peut-on oser inviter les criminels sur les lieux de leurs
actes abominables sans cracher sur la mémoire des victimes congolaises ?
Et si le jeu en valait la chandelle, pourquoi le président de
pas adressé solennellement à la nation pour expliquer les raisons fondamentales
de son choix comme le lui exige
Au vu des résultats mitigés de cette opération, les
congolais sinterrogeraient toujours.
6ème péché : La révocation de KAMERE,
lhomme-orchestre de la victoire de KABILA
Les congolais ont été témoins directs du piège dans
lequel Vital KAMERE est publiquement tombé et qui résume mieux que nimporte
quelle explication savante le contexte actuel de la gouvernance en RDC. Alors
que
de la troisième république délimite clairement les contours des compétences des
institutions étatiques, tous les pouvoirs décisionnels sont concentrés de fait
à la présidence de la république. Les acteurs des autres institutions
républicaines se trouvent participants à un jeu dans lequel les règles
appliquées ne sont pas celles préalablement définies.
Dans un Etat normal, linvitation de plusieurs milliers
des soldats étrangers sur le sol national aurait fait lobjet dune
concertation au plus haut sommet de lEtat entre les représentants élus du
peuple et les responsables des plus importantes institutions politiques :
présidence, sénat, Assemblée nationale, état-major de larmée, services des
renseignements. Et dans un système démocratique où le pouvoir appartient au
peuple et sexerce en son nom, le chef de lEtat aurait adressé un message
solennel à la nation entière. Les articles 143 à 145 de
république prévoient dailleurs ces obligations. La réaction de KAMERE coïncide
avec le moment exact où il découvre avec une naïveté digne dun débutant, la
contradiction flagrante entre les règles et les faits politiques. Même lui, la
troisième personnalité du pays navait été ni informé ni consulté…
Son éviction qui est un règlement des comptes internes au
PPRD constitue néanmoins un péché capital pour KABILA car KAMERE nétait pas
seulement Président de lAssemblée nationale qui a osé braver son autorité. Il
est le fondateur du PPRD et lhomme-orchestre de la stratégie qui a porté
Joseph KABILA au pouvoir. Il a été pour beaucoup dans le rapprochement de
Joseph KABILA avec Antoine GIZENGA et NZANGA MOBUTU et avant, dans le
ralliement de nombreuses personnalités anciennement Mobutistes. Ses prises de
position en apparence neutres à la tête de lAssemblée faisaient apparaître un
semblant déquilibre politique entre les institutions. Elles étaient en réalité
destinées à brouiller les pistes et mieux servir les intérêts de Joseph KABILA.
KAMERE était lun des seuls qui ne se comportait pas exclusivement en courtisan
et osait dire certaines vérités au « raïs ». Son éviction et
remplacement par un fidèle, jadis banni puis réintégré dans les grâces du chef,
na pas contribué à apaiser le climat politique ni dans le camp présidentiel ni
dans le pays.
KAMERE sait comment KABILA a gagné les élections.
Gardera-t-il éternellement silence ou va-t-il finir par parler ? Sera-t-il
candidat contre son ancien mentor en 2011 ? Lavenir le dira.
7ème péché : une armée tribale et
inféodée au détriment dune armée nationale et républicaine
Depuis les Accords politiques de Sun City de 2002 entre
les mouvements politiques et politico-militaires congolais, la reconstruction
dune armée nationale, républicaine et patriotique a été constamment à lordre
du jour. On aurait pensé que les échecs récurrents des forces armées loyalistes
face aux mouvements rebelles depuis 1996 conduisent les nouvelles autorités à
sactiver prioritairement pour reconstruire une vraie armée. La lecture de la
carte militaire congolaise, des chaînes de commandement et des modes
dadministration et de nomination au sein de larmée démontrent cruellement
quon est très loin de lorganisation dune armée professionnelle, équipée,
combattive et en mesure dassurer ses nobles missions de la défense nationale.
Les commandants des régions et des grandes unités militaires obéissent
directement au chef de lEtat et non à létat-major, lui-même réduit à un rôle
symbolique.
Une importante fraction de larmée est constituée
danciens rebelles convertis en soldats sans avoir été soumis à une formation
militaire classique. Habitués à lobéissance à un chef et non à un idéal, ces
derniers nont pas été éduqués à léthique, au devoir et aux obligations dun
militaire vis-à-vis de la nation, des autorités et surtout des populations
civiles. Léquipement et les dotations de larmée et les déploiements des
troupes sur terrain sont souvent décidés de manière opaque et arbitraire en se
fondant sur des critères inadéquats.
Malgré la coopération militaire avec
Etats-Unis qui a facilité la formation des bataillons militaires ou policiers
intégrés, labsence de toute volonté politique au sommet à mettre tous les
moyens nécessaires pour la reconstruction dune vraie armée expose le pays à un
risque de déstabilisation permanent. Le mixage des anciennes forces devant
constituer lossature des futures vraies Forces armées de la république démocratique
du Congo (FARDC) nest pas achevée. Le gouvernement se défausse sans cesse sur
les forces du Mission des Nations unies (Monuc) lorsque larmée nest pas en
mesure dassurer la sécurité des populations civiles. Pourtant, la protection
des populations civiles et de leurs biens relève de la souveraineté
nationale.
Tous les péchés ci-haut énumérés ont relégué les
préoccupations sociales de la population au dernier rang des soucis des
dirigeants congolais. En dépit de quelques chantiers ouverts, toutes les
couches sociales (enseignants, fonctionnaires publics, magistrats, étudiants,
médecins,…) sont frappées de plein fouet par des crises multiformes et les
grognes montent à travers le pays. Les autorités congolaises sont tentées par
dautres péchés capitaux : tripatouillage de
(prolongement de mandat présidentiel, suppression de nombre des mandats
présidentiels,…), privatisation sauvage des entreprises publiques, report des
élections locales,…
Quel sera le véritable bilan du quinquennat de Joseph
KABILA pour convaincre les électeurs congolais en 2011 ?