08.05.10 Le Potentiel : Cinq questions à Gilbert Kiakwama kia Kiziki, par Louis-Paul Eyenga Sana

 

1. En marge de grandes conférences du Cinquantenaire, vous
avez fait un exposé sur l’importance d’une stratégie de mobilisation
financière. Quel en est l’état des lieux ?

J’ai dit qu’il est vital d’avoir une stratégie globale qui a abouti à
la mobilisation financière parce que sans financement, une économie se
meurt et parce que la croissance économique en RDC est insuffisante
pour générer l’épargne intérieure, indispensable au financement
d’immenses besoins de développement d’une population en forte
croissance (3%). Car la récente crise financière mondiale nous a
rappelé l’importance d’un système de financement efficace et régulé. De
même, un système de financement laxiste ou défaillant détruit
l’économie. Depuis la crise, l’Etat se trouve réhabilité dans son rôle
d’arbitre et de régulateur. Il faut donc des sources de financement
additionnelles massives pour relever tous les défis. Ceux-ci se situent à
trois niveaux : Le défi du financement des opérations ordinaires de
l’Etat, pour lui permettre de jouer pleinement son rôle régalien et
d’assurer l’accès équitable des populations aux biens et services
sociaux de base. Le défi du financement des infrastructures, grands
travaux et domaines stratégiques nécessaire pour assurer les relais de
la croissance de demain.

2.Où en sommes-nous aujourd’hui dans notre pays ?

S’agissant du financement de l’Etat, quelques progrès ont été
accomplis dans la capacité de l’Etat à mobiliser l’impôt avec un taux
d’imposition de l’ordre de 18% du PIB entre 2003 et 2008 contre à peine
7,11 % durant la période qui a suivi l’effondrement de la Gecamines. Le
simple fait de demeurer dans les rouages du FMI et de la Banque
mondiale pendant tant de décennies est le signe que rien n’a
fondamentalement avancé dans l’économie du pays. S’agissant du
financement des infrastructures, grands travaux et domaines
stratégiques, la RDC tarde à tirer les leçons du passé. Elle est
demeurée dans une attitude de facilité qui la conduit à brader son
patrimoine minier contre des infrastructures, sans anticiper sur les
coûts récurrents de gestion, d’entretien et de développement futur de
ces infrastructures.

3. Pouvez-vous citer quelques cas avérés ?

C’est le cas d’Inga qui offre une opportunité inégalée de
mobilisation financière sur les marchés internationaux. Bien géré, le
projet de développement d’Inga peut permettre à la fois de renforcer la
stabilité géopolitique à long terme du Congo et lui donner un accès
direct aux marchés financier mondiaux. Alors que les attentes et
dispositions mondiales étaient particulièrement élevées concernant Inga,
l’absence de stratégie et surtout de transparence a fini par détourner
les bonnes volontés au profit de projets alternatifs dans d’autres pays.
Dans le domaine aussi stratégique que la production de ciment, il n’ y a
aucun début de développement à la hauteur des enjeux. Pour mémoire, la
RDC ne produit que 6,8 kg de ciment par an et par habitant contre 52 kg
pour le Cameroun, par exemple. Or, toutes les tentatives de cession par
l’Etat de ses parts dans la CINAT se sont avérées infructueuses faute de
préparation stratégique et de transparence.

4. Comment se porte le financement du secteur privé en RDC
?

Aujourd’hui, nous vivons dans l’illusion d’un possible
redémarrage rapide et durable de l’économie congolaise alors que les
fondamentaux demeurent mauvais. Le pays a pris un retard énorme dans le
développement de sa capacité à financer l’économie par un système
bancaire profond. Il n’existe pas au Congo de crédit à moyen ou long
termes pour les entreprises, pas de leasing, pas de crédit hypothécaire
pour les particuliers, pas de crédit à la consommation. Cette situation
favorise la corruption, ou plutôt la prédation, qui devient le seul
moyen d’accumulation du capital. Elle favorise aussi l’éviction
économique des entrepreneurs nationaux, l’intrusion d’opérateurs à la
moralité douteuse et le développement du blanchissement et des circuits
maffieux. Les banques commerciales sont donc confinées dans des
opérations spéculatives et de très court terme. Dans le même temps, les
résidents congolais accumulent d’importants dépôts dans les banques
étrangères. Il faut un système politique crédible pour inspirer
confiance en l’avenir.
Le monopole de la SONAS est aujourd’hui une aberration. Le
développement du système financier est également lourdement entravé par
l’absence d’un système sécurisant de gestion du domaine et du cadastre,
vu le rôle joué l’immobilier dans la garantie des prêts. 80 à 90 % des
conflits des tribunaux aujourd’hui concernent le foncier et
l’immobilier.

5. Face à cet état des lieux, que faut-il faire ?

L’objectif affiché de dédoublement des recettes affiché par le
gouvernement exige de profondes réformes et des changements de
comportement et sociétaux importants qui relèvent de la responsabilité
première des dirigeants. Le doublement du taux des prélèvements
obligatoires voulu par le gouvernement est souhaitable et possible, pour
autant qu’il intègre également les prélèvements sociaux et la fiscalité
locale. Trois réformes sont urgentes : baisser les taux pour élargir
l’assiette, réformer la fiscalité et les administrations par la fusion
de la DGRAD et la DGI. Pour développer les secteurs privés, il y a lieu
de créer une bourse des valeurs mobilières et procéder à la réforme du
secteur de l’assurance par l’adoption par le Parlement du projet de
code des assurances déjà finalisé depuis une année. Il y a lieu
d’encourager l’expansion d’un salariat décent, la réforme de la FEC et
la création des banques spécialisées.

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