E. Tshisekedi est-il un homme seul ? (Emmanuel Ngeleka ILunga)


 

En effet, dans le
microcosme politique congolais, rares sont les politiciens à même de lui
disputer l’aura qu’il détient. N’était-ce pas de lui notamment qu’il s’agissait
dans un éditorial publié au milieu des années 90’ par M. Kin-kiey Mulumba, –
pourtant mobutiste à l’époque – et intitulé « le Zaïre n’a eu que deux fils »
dans lequel, après avoir passé au peigne fin tout le personnel politique
congolais d’alors, il constatait qu’en dehors de MM. Mobutu et Tshisekedi, «
les deux fils » qui ont démontré chacun à sa manière charisme et leadership, «
tout le reste[ étaient] des sous-fifres » ? A ce jour, la donne n’a presque pas
changé, malgré l’arrivée de l’AFDL et l’émergence de JP Bemba. Et pourtant E.
Tshisekedi apparaît bien seul aujourd’hui : voilà vingt-huit ans qu’il a
commencé sa lutte politique et l’UDPS n’a toujours pas réussi à accéder au
pouvoir et rien ne présage qu’il y parviendra dans un avenir proche, preuve par
quatre que le parti de la 10ème Rue a du plomb dans l’aile.

La vérité est que le parti d’E. Tshisekedi est étonnamment aphone au point
qu’il a laissé tout le terrain politique aux gouvernements successifs depuis la
chute de Mobutu, empêtré dans des querelles intestines qui le minent, se
bornant sur le plan politique à des opérations de type plutôt cosmétiques.
Entre-temps le navire RD Congo, à l’instar du Titanic, prend l’eau de toutes
parts et coule chaque jour plus profondément: la mauvaise gouvernance érigée en
système de gouvernement avec des détournements des fonds qui ne se comptent
plus ; aucun effort n’est fourni par le gouvernement pour combattre le chômage
; presque toutes les avancées démocratiques obtenues face à Mobutu (libertés de
manifestation et d’expression, ton libre de la presse) n’existent plus ; les
injustices sociales toujours plus criantes ; récemment encore le chef de l’état
préparait au vu et au su de tous une réforme constitutionnelle controversée.
Comment en est-on arrivé là ?

Sa réputation d’«incorruptible » fait peur. Au milieu d’une classe
politique corrompue jusqu’au cou, E. Tshisekedi fait classe à part et
représente un cercle vertueux devenu impopulaire puisque la corruption
endémique a fini par s’infiltrer dans tous les pans de notre société, de l’hôpital
jusqu’à la police, en passant par l’administration jusqu’à l’université, c’est
la loi du « tout est possible à condition de s’arranger » qui est en vigueur.
Ceci est la voie obligée pour en arriver à nouer les deux bouts. Témoin cette
sémantique qui a fini par s’y adapter : on ne vole plus mais on « déplace »
plutôt ; la corruption est simplement une « coopération ». Aujourd’hui garder
les mains propres c’est « courir le risque » de rester pauvre et cela n’est pas
populaire, la course vers l’enrichissement étant la plus prisée. En 1992, l’un
des soldats de la DSP envoyé perquisitionner chez E. Tshisekedi à la recherche
des armes avait déclaré au journal Le Phare, surpris :

«E. Tshisekedi a un salon d’enseignant. Ce n’est pas possible, vu son rang » !
L’homme de Limété mène une vie simple, ce qui, paradoxalement dérange la
conscience de ses pairs aux «mains sales » et de ce fait le rend
infréquentable.

Pour beaucoup, il n’est pas un modèle, réfractaire qu’il est à toute initiative
éventuelle de se distribuer « le gâteau », puisque gérer la chose publique en
RDC donne toujours l’occasion à chacun d’ « avoir son pourcentage », ce à quoi
notre homme se refuse. Pas étonnant qu’il soit traité à tort ou à raison de «
dur » ou d’ « inflexible». Reconnaissons-le, avoir à son actif d’avoir résisté
au pouvoir corrupteur de Mobutu – pouvoir auquel même des chefs d’Etat des pays
puissants n’ont pas resisté- n’est pas donné à n’importe qui. Cela est à son
avantage.

Le leader de l’UDPS vit dans une tour d’ivoire. Le chef de l’UDPS sort
peu et fréquente peu, qu’il s’agisse des ambassadeurs installés à Kinshasa ou
des milieux d’affaires. Je ne me rappelle pas avoir lu ou appris qu’il s’est
réuni avec des leaders syndicalistes ou les membres du patronat. Ce sont plutôt
les ambassadeurs qui se rendent chez-lui. L’inverse devrait être de mise car
ceux-ci sont de « renifleurs » qui tâtent le terrain politique à travers des
contacts personnels avec des personnalités politiques locales et en informent
leurs gouvernements. Leur rôle en période de crise au sommet de l’état et leur
soutien peut revêtir la valeur d’une bouée de sauvetage ou même d’Ascension
politique, puisque l’ambassadeur peut influencer la position qu’adoptera son
gouvernement en vue de soutenir tel ou tel homme politique donné. De même que
des préjugés peuvent aveugler le jugement sur quelqu’un avec lequel vous n’avez
pas eu d’échanges personnels suivis, de même ne pas les fréquenter les amènera
à se contenter de l’opinion de seconde main qu’ils obtiendront du gouvernement
ou d’autres sources. N’est-ce pas auprès de ces ambassades-là que les
politiciens cherchent asile au cas où leur vie se trouverait menacée à l’instar
de J-P Bemba qui chercha asile à l’ambassade de l’Afrique du Sud? Le leader
d’un parti politique important se doit non seulement de rencontrer
régulièrement les ambassadeurs des pays importants en termes d’investissements
effectués dans notre pays mais aussi ceux des pays limitrophes et même
solliciter auprès de ceux-ci des audiences auprès de leurs chefs d’état. C’est
ainsi qu’il se taille progressivement une carrure de présidentiable. A ne pas
non plus perdre de vue : un tête- à -tête avec le chef de l’Etat congolais
devrait figurer à son agenda.

Le lobbying en action. Les rencontres avec les syndicats et le patronat
sont des plus utiles car ce sont des plates-formes de choix pour faire du
lobbying et constituent des « laboratoires » où « vendre » ses idées politiques
mais aussi ils sont partenaires importants si un parti politique se propose d’infléchir
la position du gouvernement sur des politiques économiques en cours ou
programmées dans l’avenir ; bénéficier de leur soutien est un plus et constitue
toujours une victoire sur le gouvernement. En effet, quel leader politique peut
diriger un pays ayant des organisations syndicales liguées contre lui ? Les
étudiants et les ONG ne peuvent pas être oubliés non plus. Ne pas fréquenter
ces partenaires stratégiques ne peut conduire qu’à l’isolement ou l’ostracisme.
Celui qui n’a pas d’amis aura fort à faire au jour du malheur et risque de se
retrouver seul, en politique autant que dans la vie de tous les jours.

La communication politique est ignorée à l’UDPS. Ne comptez pas sur
Joseph Kabila pour communiquer ; piètre orateur (c’est un euphémisme) il ne
semble pas non plus à l’aise devant la caméra ni le microphone. Mais Joseph
Kabila en a-t-il vraiment besoin vu qu’il dispose déjà de l’objet de toutes les
convoitises pour tous les politiciens : le pouvoir ? Il en est tout autrement
de ceux qui y aspirent. Ils doivent par contre, eux, « mouiller leur chemise »,
se faire connaître et faire accepter leurs programmes en en démontrant le
bien-fondé, les rendre attractifs pour les éventuels électeurs que sont les
foules qu’ils côtoient. Pour cela il faut communiquer et mieux. La
communication politique est devenue plus que jamais l’arme absolue pour la
quête du pouvoir. La campagne électorale qui a porté au pouvoir Barack Obama,
laquelle fut construite autour du slogan-phare « Yes we can » en est
l’illustration. Mais que voit-on à l’UDPS ?

A l’instar du logo et websites officiels au look démodés et qui ne demandent
qu’un lifting, leurs méthodes de communication sont … vieilles. Le chef du
parti n’a ni website ni blog pour entrer en contact avec ses sympathisants et
échanger avec eux. Idem pour les membres de son état-major. Le parti ne dispose
pas non plus de forums disponibles sur Internet pour ses militants, lieu où les
gens venant de partout peuvent débattre des questions nationales au cœur du
programme de l’UDPS. Idem pour Facebook. Si les gouvernements de Kinshasa
réussissent à empêcher les activistes politiques de se réunir afin de débattre
des questions politiques, un parti politique peut créer un cadre (website
interactif) qui permet d’esquiver cette interdiction. Le journal du parti
n’existe pas non plus. Mais une visibilité dans la presse est un moyen de
communiquer avec sa base, même à sens unique. C’est pourquoi il est
incompréhensible que le leadership de l’UDPS ne tire pas avantage des journaux
en ligne tels congoOne ou congoindependant pour se livrer à la presse
congolaise à travers des interviews. Un parti qui ne dispose pas d’un journal
ni d’une radio et dont le chef ne communique pas régulièrement avec sa base
chaque semaine comme le font tous les chefs des partis modernes ne peut que
vivre dans l’immobilisme et pas étonnant que les militants de l’UDPS soient
perplexes et déboussolés au vu de ce qui se passe à la tête de leur parti
actuellement.

E.Tshisekedi n’effectue plus des tournées régionales. L’UDPS peut se
prévaloir, grâce au charisme de son leader et à des décennies d’existence sur
terrain, d’être l’un des rares partis politiques à caractère national.
Malheureusement les responsables de l’UDPS semblent ne pas capitaliser sur cet
avantage non négligeable : la dernière tournée interprovinciale de M Tshisekedi
date de l’ère Mobutu, c’est- à -dire de plus de 10 ans ! Même les communes de
Kinshasa, lesquelles constituent un échantillon de la population congolaise
n’ont pas reçu sa visite pendant la même durée ! Facile de comprendre pourquoi
ses troupes sont démobilisées. Une tournée pour un leader politique de cette
trempe est un moyen de rassurer sa base et de l’élargir en même temps. Une
tournée régionale permet au leader de tâter le pouls du pays, d’évaluer sa
popularité, de présenter son programme politique à d’éventuels électeurs et
pourquoi pas aussi de faire la différence avec ces partis politiques
alimentaires qui fleurissent de nouveau et dont la portée est juste à un jet de
pierre. Un parti dont le chef ne communique pas en se rendant sur terrain ne
peut que vivre de rumeur et ne peut que perdre son élan. Le séjour de M.
E.Tshisekedi en Europe devrait être mis à profit pour aller à la rencontre des
milieux d’affaires occidentaux autant qu’aux membres de la Diaspora. Ces
derniers ne constituent pas moins un public à convaincre et c’est de la
responsabilité d’un leader de parti que d’être en campagne en permanence s’il
le faut.

Renouveler sa base par le recrutement. Une raison importante de la
valeur de ces tournées est de favoriser le recrutement de nouveaux membres du
parti. Or il est à savoir que l’électorat se renouvelle rapidement à cause
d’une démographie élevée en cours en RDC. Pour preuve, les jeunes qui voteront
pour la première fois l’an prochain (ceux qui auront 18 ans révolus en 2011)
sont nés en 1993, soit après la CNS ! C’est- à -dire qu’ils ne connaissent pas
du tout le leader de l’UDPS, ou très peu car nés et grandis pendant la période
où l’UDPS semble s’être rangé, devenu docile et peu actif et il devrait aller
vers eux pour se faire connaître et les persuader de lui faire confiance car ce
combat n’est jamais gagné d’avance, la compétition étant toujours farouche. Ne
pas se présenter dans les différentes villes du pays, que ce soit pour des
raisons de sécurité ou des raisons financières, c’est non seulement se couper
de sa base mais aussi courir le risque de perdre les sympathisants qui s’y
trouvent.

E. Tshisekedi manque une éminence grise. La volonté de tout un chacun
d’améliorer son statut social dans un pays où le chômage et la pauvreté sont
généralisés a poussé beaucoup d’intellectuels autrefois affiliés à l’opposition
à aller rejoindre le pouvoir et nombre d’entre eux se retrouvent aujourd’hui
soit à la Présidence de la République comme conseillers, dans les cabinets
ministériels ou même à la tête des entreprises publiques. Puisque leurs idées
valent de l’argent ils mettent leur savoir-faire au plus offrant … Eux partis,
l’UDPS se « débrouille » avec ceux dont il dispose. Il est clair que le départ
de ces esprits brillants a laissé l’UDPS orpheline. S’il est vrai qu’un leader
du parti a la vision politique il est tout aussi vrai que faire face à la
gestion quotidienne d’un parti de cette envergure n’est pas une sinécure et
nécessite d’autres compétences. Le parti aura besoin d’hommes qualifiés pour
entreprendre des stratégies nouvelles ; réagir face à une mesure donnée émanant
du gouvernement et en démontrer l’inutilité ; effectuer une étude ou établir un
rapport sur une question d’envergure nationale ou internationale ou simplement
préparer la rencontre entre le chef du parti avec des tiers. Un pool de
conseillers compétents dans divers domaines (droit, science politique,
économie, finances, démographie, statistiques, diplomatie, etc) est des plus
nécessaire.

Les seuls critères pour figurer dans l’entourage d’un chef de parti ne sont pas
la fidélité et l’intégrité. D’autres compétences pointues sont indispensables.
C’est alors qu’il saute aux yeux que E. Tshisekedi manque une éminence grise,
cet homme (ou femme) expérimenté, ayant des connaissances encyclopédiques et
des entrées dans les milieux politiques ou scientifiques, maîtrisant les grands
dossiers politiques et économiques sur les bouts des doigts et à même de guider
son chef avec compétence et discrétion. A celui-ci il serait demandé par
exemple un rapport de sortie de crise dans laquelle le parti s’empêtre,
document que l’entourage actuel de Tshisekedi semble incapable de concocter.
Est-il vraiment difficile de recruter cette tête rare, ce Karl Rove congolais
parmi le corps académique des nos Universités ou parmi les membres de la
Diaspora ?

Entre-temps, la cacophonie qui nous vient de la 10ème Rue nous révèle bien des
choses sur la qualité des proches collaborateurs de M. E. Tshisekedi, tout au
moins ce que valent bon nombre d’entre eux. Lequel des membres du
gouvernement-fantôme du parti d’aujourd’hui ou d’hier – appelés Secrétaires
Nationaux – a su maîtriser les dossiers de son « portefeuille » au point soit
de formuler des critiques convaincantes à l’endroit du gouvernement ? Pourquoi,
depuis que toutes ces divergences minent leur parti aucune suggestion indiquant
la sortie de crise n’a émergé, mais au contraire tels des enfants ils se tirent
les uns les autres à boulets rouges, faisant semblant d’oublier que c’est le
gouvernement qui devrait être leur cible de choix? S’ils ne peuvent pas
résoudre de façon responsable leurs propres divergences mais plutôt les mettent
sur la place publique, comment peuvent-ils arriver à surmonter des obstacles
beaucoup plus complexes et de manière responsable une fois au gouvernement
demain? D’autre part, lequel de ces hommes et femmes qui se battent de Righini
à Limété a su réunir l’unanimité autour de lui au point de faire dire aux
membres de l’UDPS, confiants : «celui-la nous fera gagner aux prochaines
échéances électorales» ?

Tant de carences, tant de bafouillages, tant d’immobilisme ne sont pas dus au
hasard mais plutôt révélateurs de ce qu’est l’entourage du président de l’UDPS
aujourd’hui : composé de gens peu rompus aux subtilités politiques et qui font
étalage de leur amateurisme qui semble être le bien le mieux partagé dans notre
paysage politique. Puisqu’on dit que la qualité d’un bon chef dépend (aussi) de
la qualité de son entourage, la qualité de la sauce nous servie depuis Limété
ne peut que dépendre des ingrédients dont dispose le leader de l’UDPS …

L’UDPS n’est pas (encore) une machine électorale. Dans un espace
démocratique, les élections sont la voie autorisée pour une alternance et
l’accès au pouvoir. Encore faudrait-il les gagner. Cela exige la présence d’un
parti organisé et bien structuré ainsi que des troupes mobilisées derrière leur
chef, ce qui est loin d’être le cas des troupes d’E. Tshisekedi. Lorsque ce
dernier fut relégué à Kabeya Kamuanya c’était le silence radio à l’UDPS. De
même lorsque Z’Ahidi Ngoma a « driblé » le véritable leader de l’opposition
pour être le Vice-Président de l’opposition pendant la Transition avec la
formule 4+1. Lorsque la CENI a rejeté la demande d’enregistrement des
sympathisants de l’UDPS avant les élections en 2006, c’était le calme plat à la
10ème Rue. Or un parti dont les troupes sont organisées et mobilisées, à
l’image du parti de l’opposante birmane Aung San Suu Kyi, se rappellera au
souvenir des dirigeants en pareille circonstance et soit le fait reculer ou
obtiendra des concessions significatives. S’empresser d’aller aux urnes sans
veiller d’abord à cette donne revient à un suicide politique tant le réveil
risque d’être brutal.

Que Monsieur E. Tshisekedi soit un monument politique en RDC, cela est
incontestable. Mais que celui-ci soit plongé dans l’immobilisme, cela est
évident aussi, à cause des erreurs stratégiques et des facteurs liés à la
conjoncture nationale qui, une fois corrigés, ne manqueront pas de le voir
rebondir sur la scène politique congolaise.

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