10.06.10 Le Vif.be: “ L’assassinat de Chebeya a été prémédité en haut lieu”

"Floribert

Floribert Chebeya
© Belga

Le Vif.be : Avez-vous des nouvelles de Kinshasa
sur les suites de l’assassinat de Floribert Chebeya ?

J’apprends que le général Numbi, chef de la police congolaise, mis en
cause par l’un des exécutants de l’assassinat, se déplace en toute
liberté dans la cité. Il a été suspendu de ses fonctions d’inspecteur
général de la police nationale, mais n’est même pas en résidence
surveillée. Les collaborateurs de la Voix des sans voix, eux, sont
étroitement surveillés ! La société civile kinoise continue à faire
pression pour obtenir une véritable enquête et l’arrestation de Numbi,
qui avait convoqué Floribert dans son bureau l’après-midi du drame.
L’attitude du procureur général est une insulte à la mémoire du
président de la Voix des sans voix.

Qu’est devenu le chauffeur de Chebeya, qui l’accompagnait lors
de son rendez-vous fatal à l’inspection générale de la police ?

Contrairement à ce qui a été plusieurs fois annoncé, le corps du
chauffeur n’a toujours pas été retrouvé. Il a disparu le soir où
Floribert a été torturé et assassiné dans les locaux du chef de la
police.

Le ministre congolais de l’Intérieur, Adolphe Lumanu, a
finalement autorisé la venue en RDC d’experts légistes des Pays-Bas,
pour participer à l’autopsie du corps de Chebeya. Satisfait ?

C’est, enfin, un premier pas dans le bon sens. Cela dit, aucun des
hôpitaux de Kinshasa n’est équipé pour réaliser correctement l’autopsie
et faire les prélèvements nécessaires. Les experts légistes néerlandais
risquent de travailler sous une pression intense. J’ai tenté de faire
transférer la dépouille aux Pays-Bas, en vain. Nul ne sait, en outre,
dans quelles conditions est actuellement conservé le corps de Floribert.
Plus personne n’y a accès à la morgue, investie par la garde
présidentielle de Kabila.

Des sources, au Congo et en Belgique, laissent entendre que
Chebeya a été victime d’un excès de zèle d’officiers de police. Ils
auraient voulu intimider le défenseur des droits de l’homme, mais leur
séance de torture aurait « mal tourné ».

Je m’insurge contre cette version des faits. Tout indique que Floribert
est tombé dans un piège soigneusement préparé. Il était surveillé par
les services spéciaux depuis quelques semaines. Il a été convoqué dans
les locaux du chef de la police où, en principe, on ne devrait pas
craindre d’être assassiné. Si le général Numbi, comme on l’a dit,
n’était pas à son bureau l’après-midi du 1er juin, pourquoi ses services
n’ont-ils pas prévenu Floribert que le rendez-vous était annulé ? Son
meurtre a été maquillé en crime passionnel. Et le corps de son chauffeur
a disparu… Tous ces indices donnent à penser que l’assassinat a été
prémédité en haut lieu.

Avocat au barreau de Bruxelles, vous avez déposé, le 5 juin, une
plainte contre Numbi et d’autres responsables congolais pour leur rôle
dans le massacre, en janvier 2007 et février-mars 2008, des adeptes du
mouvement politico-religieux Bundu dia Kongo. Qu’espérez-vous de la
justice belge ?

Aujourd’hui-même, je fais savoir au juge d’instruction de garde que la
Voix des sans voix se constitue partie civile dans cette affaire. La
justice belge peut-être saisie en vertu de la loi de compétence
universelle. J’accomplis ainsi la volonté de Floribert, exprimée dans un
e-mail qu’il m’a envoyé le 31 mai, la veille de son assassinat. Il a
constitué, ces derniers mois, un dossier très complet sur les carnages
commis par les forces de police au Bas-Congo et sur l’implication
personnelle du général Numbi.

Entretien : Olivier Rogeau

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