CINQUANTE ANS D’INDEPENDANCE, UN PALMIER SANS FRUIT (ENéhémie BAHIZIRE)

 

A la veille du 30 juin 2010, cinquantième anniversaire de
l’indépendance de la République Démocratique du Congo, un citoyen de la province
du Sud-Kivu jette un regard en arrière, considère Le présent et appelle ses
concitoyens à un engagement pour
l’avenir.

 

Les autorités politiques de la
République Démocratique du Congo se préparent à fêter les cinquante ans de
l’indépendance du pays. Quant à nous, peuple congolais du Sud-Kivu, cette fête
nous amène à une réflexion.

 

1. DE L’ETAT INDEPENDANT DU CONGO A L’INDEPENDANCE DE LA RD
CONGO

Avant la découverte du Congo par
l’anglais Henri Morton Stanley, les provinces du Maniema, du Kasaï et du Bas
Congo étaient en proie à l’esclavagisme. Les arabes qui avaient établi leur
marché d’esclaves à Ujiji en Tanzanie, avaient essayé de pénétrer dans Le
Sud-Kivu, mais furent massacrés par les Bashi. Ces derniers les avaient
accueillis et logés dans Des huttes, qu’ils incendièrent la nuit. Cet évènement
s’appelle « a h’ishakishe ». Depuis
lors, ces esclavagistes s’orientèrent dans Le Maniema et NE sont plus revenus au
Sud-Kivu. Le peuple du Sud-Kivu s’était libéré lui-même de l’esclavagisme, et
non grâce aux Belges comme ils s’en vantent.

Le Sud-Kivu était organisé
administrativement et politiquement en de petits royaumes indépendants chacun de
l’autre et bien structurés. L’économie, qui y reposait sur l’agriculture,
l’élevage et l’industrie manufacturée (fonderie, poterie et tissage), y était
florissante. La religion du Dieu créateur du ciel et de la Terre y était
pratiquée. Bref, la civilisation du peuple du Sud-Kivu était développée,
contrairement à ce que déclaraient les colonialistes belges, qui se cachaient
derrière une « mission civilisatrice ».

Pendant que ces Sud-Kivutiens et
d’autres Africains vivaient paisiblement sur leur Terre, leur sort se décidait à
Berlin, en Allemagne. A la conférence de Berlin de 1885, Le Congo, don't fait
partie Le Sud-Kivu, fut déclaré « Etat Indépendant du Congo » et propriété du
roi belge Léopold II.

En 1887, durant la
conquête et l’occupation par Léopold II de as propriété, IL eut mutinerie au
sein de la Force Publique

(armée au service de la couronne belge)
stationnée au
Sud-Kivu. Pendant cette révolte, les troupes d’un certain CYANGUVU infligèrent
une défaite cuisante aux Belges (quatre officiers belges furent tués) à Luvungi
dans la plaine de la Ruzizi, tandis que Le Suédois ANDERSON, qui conduisait un
autre bataillon, fut tué à Ngweshe.

Quelle bravoure cherchera-t-on encore
chez un peuple, pourtant manquant d’armes aussi puissantes que celles de ses
agresseurs ? Tous ces évènements retardèrent l’occupation du Sud-Kivu par les
Belges ; mais la détermination du colonialiste était tenace. En 1908, Le roi
Léopold II céda as propriété, Le Congo, à son pays, la Belgique. A partir de
cette année, Le Congo devint colonie de la Belgique. L’occupation du Sud-Kivu NE
devint effective, avec tous les corollaires de la colonie, qu’en
1910.

 

2. DE 1960 A NOS JOURS

Le Congo-Belge a été déclaré
indépendant Le 30 juin 1960. Au Sud-Kivu, précisément à Bukavu, un palmier fut
planté en cette date à la place dite  « Place de l’indépendance ». Ce palmier a
vieilli, mais n’a jamais produit de fruit. De même, l’indépendance de la RD
Congo n’a jamais produit de fruit pour les sud-kivutiens. Seulement Des misères
sur misères. Notre réflexion s’articule autour Des six points suivants : a) la
politique et l’administration publique ; b) l’économie ; c) l’éducation ; d) la
santé ; e) la sécurité ; f) la religion.

 

a) La politique et l’administration publique

Depuis la déclaration de
l’indépendance Le 30 juin 1960, la RD Congo a été écartelée entre plusieurs
intérêts internationaux : la Belgique, puissance colonisatrice qui NE veut
jamais perdre as vache au lait ; les contradictions de nations entre deux blocs,
Est/Ouest à l’époque, marquées par Le poids politique Des USA, et la passion du
Tiers Monde. Ainsi, les dirigeants politiques de la RD Congo, non préparés et
don't l’indépendance leur avait été presque jetée au visage, NE furent pas à
mesure de maitriser et gérer les évènements.

Le 5 juillet 1960, soit cinq jours
après la déclaration de l’indépendance, éclate la mutinerie de la Force
Publique. Le 11 juillet 1960, soit onze jours après l’indépendance, les Belges
ordonnent à Moïse Tshombe de déclarer la sécession katangaise pour en garder les
mines, privant Le gouvernement congolais de as source de finances. Les commandos
belges débarquent au Katanga. En aout 1960, Kalonji, du Kasai oriental, appuyé
par les Belges qui visent les diamants de la province, déclare aussi as
sécession.

Le 12 juillet 1960, Le Président
Kasavubu et Le premier Ministre Lumumba font appel à l’assistance de l’ONU. Le
14 juillet 1960, ils se tournent vers l’URSS en demandant son aide, pour
atténuer la dépendance vis-à-vis de l’Occident, mais l’URSS NE répond pas. Le 16
janvier 1961, Le premier ministre Lumumba EST assassiné sur ordre de la Belgique
et Des USA. Enfin, l’ONU intervient et, dans cette affaire à plusieurs intérêts,
meurt dans un crash d’avion son secrétaire général, Mr. Dag Hammarskjöld. Bref,
de 1960 à 1964, la RD Congo fut directement prise en charge par l’ONU (ONUC) et
de 1999 à ce jour par la MONUC.

C’est depuis 1960 que le Sud-Kivu est
dirigé par des politiciens délégués à partir de Kinshasa ; et ceux de Kinshasa
sont dirigés à partir de certains pays de l’Occident. Ces dirigeants politiques
congolais extravertis dirigent comme des mercenaires au service des intérêts de
leurs parrains politiques ainsi que de leurs propres. Ils considèrent la
province comme une proie à dépiécer et se sont mués en intermédiaires
commerciaux douteux et véreux, en hommes d’affaires sans affaires.

Ils ont détourné de leur mission
l’Etat et son appareil administratif, pour les privatiser et les gérer au profit
des individus ; à tel enseigne que l’administration publique est devenue un
monstre anarchique et chaotique dont personne ne connaît les effectifs exacts ni
ne sait maitriser le fonctionnement.

Les maitres blancs de la colonisation
ont été remplacés par les maitres noirs après l’indépendance. Ceux-ci continuent
à reproduire le seul modèle de dirigeants coloniaux qu’ils ont connu :
paternalisme, dictature et se prétendre au-dessus du peuple. Ils ont érigé la
corruption et l’impunité en système de gouvernance. Chose grave, ces dirigeants
politiques ne savent même pas qu’il faut payer les salaires à leurs
fonctionnaires.

 

b) L’économie

Tout le tissu économique du Sud-Kivu
a été détruit et continue à l’être. Le 30 juin 1960, ils existaient au Sud-Kivu
des centaines de milliers d’hectares de plantations de coton, café, thé,
quinquina, palmiers, arbres fruitiers, riz, pyrèthre etc. Des rizeries et autres
usines de transformation de ces produits existaient.

Aujourd’hui, toutes les plantations
sont détruites. Il n’existe plus que trois usines, dont deux à thé (Mbayu et
Gombo) et une à quinquina (Pharmakina). Les industries manufacturées : poterie
et carrelages, savonneries, chimiques, papeteries, bonbonneries et biscuiteries,
textiles, cimenteries, sucreries etc. font aujourd’hui partie de l’histoire.
 Les entreprises étatiques telles :
l’OCPT, la SNCC, la l’INERA, etc., n’existent plus que de nom. Le courant donné
par la SNEL est aléatoire, ce qui contribue à bloquer toute initiative
d’entreprise locale.

Les minerais du Sud-Kivu
(cassitérite, or, coltan, wolfram, tungstène, etc.) sont clandestinement écoulés
vers d’autres cieux et alimentent la guerre au Sud-Kivu. Ils franchissent nos
frontières à pleins camions.

A l’absence d’une administration
publique efficace pour encadrer et orienter l’économie, il s’est développé, au
Sud-Kivu, une classe d’hommes d’affaires véreux, sans culture des affaires,
corrompus, immoraux, prêts à tout vendre, jusqu’à leur nation. Ils n’hésitent
pas à comploter avec l’agresseur du pays, à trafiquer des armes et des minerais.
L’important, pour eux, c’est l’argent.

 

c)
L’éducation

L’éducation est le
cadet des soucis des dirigeants politiques au Sud-Kivu. Depuis 1960, aucune
école (primaire, secondaire ou supérieure) n’a été construite par l’Etat au
Sud-Kivu. Pas de fournitures scolaires (livres, matériels didactiques etc.). Pas
d’entretien des infrastructures héritées de la
colonie.

Les programmes
scolaires sont imposés de l’extérieur et changent continuellement selon les
orientations de l’UNESCO. Pas de programmes conçus au Congo. Les livres
scolaires que reçoivent en don les écoles congolaises (surtout de la part de
Belges) n’ont pas été élaborés pour l’élève congolais. Ces sont les parents qui
paient les enseignants. De cette somme, un pourcentage est affecté aux
structures étatiques. Ainsi, nos dirigeants politiques perçoivent de l’argent
payé par les parents.

L’indifférence et/ou
irresponsabilité des dirigeants politiques a détruit la substance de
l’enseignement. Il n’existe plus d’excellence, d’étique ou morale dans ce
secteur. L’éducation au Sud-Kivu comme partout ailleurs au Congo est devenue un
business maffieux et non plus une institution de
formation.

 

d) La
santé

Pour ce qui est de la
santé, il n’y a rien à dire, car rien n’a été fait. Aucun hôpital, centre de
santé, même pas un simple dispensaire n’a été construit par l’Etat au Sud-Kivu
depuis 1960. Pour sauver l’hôpital général de Bukavu, qui était déjà une crasse,
l’Eglise Catholique en a pris la gestion.

 

e) La
sécurité

La raison d’être de
tout Etat est d’assurer la sécurité, c’est-à-dire la protection de ses citoyens
et de leurs biens. Au Sud-Kivu, depuis 1960, la population ne connait
qu’horreurs et désarroi :

– Décembre 1960 :
Mobutu avec ses troupes attaquent, à partir du Rwanda, le camp militaire de
Bukavu, appelé Camp Saio, où sont logés des militaires pro-Lumumba, donc des
légalistes. Réduites en sandwich, les troupes de Mobutu se replient au Rwanda
pour rentrer à Kinshasa.

– Année 1964 : le
Sud-Kivu connaît la guerre des Simba. Américains et Belges s’investissent pour
combattre les Simba et les Mulelistes, taxés d’être pro-russes et
pro-chinois.

– Année 1967 : la ville
de Bukavu est prise et occupée pendant quatre mois par des mercenaires sous
commandement d’un certain belge Jean
Schramm.

– Année 1996 : le Rwanda, le
Burundi et l’Ouganda agressent le Sud-Kivu sous couvert de l’AFDL de Laurent
Désiré Kabila
[1].

– Année 1998, le Rwanda, le
Burundi et l’Ouganda agressent le Sud-Kivu sous couvert de la rébellion RCD. Le
4 août 1998, quarante-six officiers militaires congolais sont assassinés à
l’aéroport de KAVUMU, où ils étaient amenés
[2].

– Année 2004 : la ville de Bukavu est
occupée par les Tutsi NKUNDA et MUTEBUSI: assassinats, viols des femmes et
filles, pillage jusqu’à incendier le grand marché de la ville.

– Les FDLR, FRF[3] continuent à faire la guerre au Sud-Kivu. Les opérations
Kimya 2 et Amani
Leo sont tournées plus contre la population du Sud-Kivu qu’aux FDLR comme
officiellement déclaré.

 

f) La
religion

L’évangile que les
missionnaires nous ont apporté nous parle d’un Homme, Jésus, qui a payé de sa
vie son engagement pour la vérité et la justice, la fidélité à son message.
Notre peuple du Sud-Kivu y a adhéré avec élan, animé par le fort sentiment
religieux de ses ancêtres. Des personnes ont même versé leur sang en fidélité
aux engagements de leur foi. Pourtant, certains détournent l’annonce de
l’évangile pour en faire un instrument d’oppression. Des sectes sont fondées
pour distraire et endormir la population. Des mots sacrés comme
« réconciliation » ou « volonté de Dieu » sont utilisés pour faire avaler à la
population ce qu’il ne faut pas accepter, ignorant que la réconciliation trouve
ses conditions dans la justice et la vérité, et que la volonté de Dieu est que
l’homme et la femme ainsi que les peuples vivent dans la dignité et le respect
réciproque.

 

3.
ELIMINATION
PYSIQUE ET POLITIQUE DES LEADERS DU SUDKIVU

En plus de cette guerre
d’usure imposée gratuitement au peuple du Sud-Kivu, l’élimination physique et
politique de leaders de cette province a été déclenchée. Entre
autres :

– les assassinats de : Mgr
Christophe MUNZIHIRWA, Dr. BYAMUNGU, le Président de l’ACCO Mr. KWAMISO, Pascal
KABUNGULU, Serge MAHESHE, Didace NAMUJIMBO, Bruno CHIRAMBIZA, Faustin KAHEGESHE,
Floribert CHEBEYA
[4] ;

– Les morts étranges
de : Faustin BIRINDWA, Charles MAGABE, Cimanuka NTAGAYANGABO, Dr. LURHUMA, Mgr.
Emmanuel KATALIKO, Pasteur Erhamoba
RUGAMIKA ;

– l’éjection du
Parlement de dix députés nationaux du Sud-Kivu, par la ruse de nominations comme
ministres, suivies d’un remaniement quelques mois après avoir perdu leur qualité
de députés. La chasse sans motif valable de Vital KAMERHE de la présidence du
Parlement, etc.

 

4. QUE VAUT
UNE
PERSONNE AU SUD KIVU ?

La vie d’une personne
au Sud-Kivu n’a aucune valeur aux yeux des dirigeants politiques. Les massacres
et meurtres qui se commettent quotidiennement, ces dirigeants les appellent des
effets collatéraux. Pire encore, ces dirigeants politiques ont
institutionnalisée la prime au crime. Les bourreaux qui avaient massacré,
violées des femmes et filles, sont récompensés par des postes politiques et
d’officiers supérieurs de l’armée et de la police. Ceux là même qui avaient
enterré nos mères, femmes vivantes à Mwenga, qui avaient massacré des centaines
de nos frères et sœurs à Kasika, Makobola 1 et 2, à Katogota … sont imposés au
peuple du Sud-Kivu pour leaders politiques, porte parole de ce peuple et
officiers militaires pour gérer la province.

Ces bourreaux du peuple
ont érigé en infraction passible de la peine de mort, toute idée qui prône la
vérité, la justice, les droits humains, bref, toute idée qui dénonce les
antivaleurs. C’est ainsi que des assassinats ciblés sont monnaie courante au
Sud-Kivu.

Dans un effort
désespéré pour maintenir sa domination, l’oppresseur a recours à des nombreux
artifices et ruses pour effrayer, démoraliser, diviser et troubler. Il veille à
ce que le peuple perde jusqu’au dernier vestige de sa confiance, avec pour
résultat un esprit défaitiste qui l’amènera à se tenir à l’écart de tout conflit
verbal ou physique avec l’oppresseur.

Alors que le peuple du
Sud-Kivu explose presque sous la tension et cherche des moyens pour exprimer sa
frustration, l’oppresseur fait dévier la colère que le peuple dirige contre lui
par ce que Frantz Fanon appelle « violence horizontale », une violence
soigneusement orchestrée entre les opprimés eux-mêmes. Il entretient parmi le
peuple des divisions et scissions pour empêcher son unité de
vision.

De plus en plus les
quelques leaders qui restent au Sud-Kivu sont tentés par l’appât du gain
immédiat aux dépens du peuple lui-même. Une fraction de ce peuple est devenue
résignée et manipulable jusqu’à la complicité avec l’oppresseur. Elle se laisse
entrainer au culte du chef, en l’exaltant avec ferveur et enthousiasme, même
s’il est indigne. Certains clochards exaltent leurs bourreaux jusqu’à arborer
des T-shirt portant leurs effigies.

 

5.
APPEL

AU PEUPLE DU SUDKIVU

Le peuple du Sud-Kivu
ne mérite pas cette humiliation. Quel peuple au monde peut confier sa destinée à
un criminel, pire encore à une association des malfaiteurs ? Ou est passée notre
bravoure depuis nos ancêtres ? Malgré cette guerre d’usure injustement imposée,
nous continuons à croire à la ténacité et à la détermination de notre peuple.

Nous devons tous, comme
un seul homme, prendre conscience pour atteindre notre liberté. Individuelle-
ment comme en groupe, nous devons nous impliquer dans un processus de
renouvellement pour la libération, tout en nous préservant contre de nouveaux
modes d’oppression.

Nous devons lutter fort
pour être réellement indépendants, pour vaincre les structures d’exploitation et
bâtir des structures alternatives en matière de sécurité, économique, politique
et éducation. Celles et ceux qui ont connu souffrance et oppression sont en
général les plus aptes à créer des voies nouvelles vers le
futur.

 

Fait à Bukavu, 24 juin
2010.  Néhémie
BAHIZIRE



[1] Il sied de signaler que ces pays avaient attaqué le
Sud-Kivu et le Nord-Kivu sans ambition d’aller jusqu’à Kinshasa. Ce n’est qu’en
constatant que l’armée de Mobutu en déliquescence n’opposait aucune résistance,
que leurs mentors ont décidé d’aller jusqu’à la capitale.

[2] Mr. ERIC HORIMBERE, sujet rwandais qui avait exécuté
cette sale besogne, a été nommé colonel en guise de récompense et est dans le
commandement de l’opération AMANI LEO.

[3] Groupes armés d’origine rwandaise présents dans le
Sud-Kivu et le Nord-Kivu.

[4] Assassiné à Kinshasa le 3 juin 2010, Floribert Chebeya
était originaire du
Sud-Kivu.

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