RDC : crimes en série, qu’est-ce qui est plus inquiétant ? (JP Mbelu)

Oui
le silence des gouvernants provinciaux et nationaux face à la barbarie
endeuillant le Nord-Kivu inquiète et révolte. Néanmoins, les questions
que ce journal ne pose pas sont entre autres celles-ci : « Comment en
sommes-nous arrivés à cette phase très avancée de la banalisation de
la mort ou plutôt de l’ensauvagement, chez nous ? Quel est le parcours
de ces gouvernants provinciaux et nationaux ? Quels sont leurs
soutiens ? » Trouver par exemple d’une part ces crimes inquiétants et
croire d’autre part que l’Africom, allié du Rwanda, va y mettre fin,
c’est de la folie pure et simple. Et souvent, nos médias ne sont plus
sensibles à ces contradictions !

 

A
notre humble avis, ce qui est plus inquiétant, c’est le silence de
certains de nos médias sur le fonctionnement réel des institutions du
pays et l’amnésie caractéristique de la plupart d’entre nous.

Dans
sa dernière conférence à Montréal, le 24 juillet 2010, Kiakwama Kia
Kiziki a essayé d’abordé la question du fonctionnement des structures et
des institutions congolaises depuis 2006. Le tableau qu’il dresse et
pour le gouvernement et pour l’opposition est simplement pitoyable. Il
témoigne de l’intérieur de ces institutions en rejoignant les empêcheurs
de penser en rond qui, depuis 2006, ont dit : « Le Congo actuel n’ira
nulle part. » Voici ce que Kiakwama a dit à Montréal : « Au-delà de sa
structuration et de son organisation, qui ne correspondent pas aux défis
actuels posés par la démocratisation et surtout le développement de
notre pays, notre gouvernement est affligé d’une tare congénitale et
rédhibitoire ; il pense être de droit divin, et agit comme tel.
Ceux qui nous gouvernent pensent tout savoir mieux que personne. Ils ont
tout compris, font tout à la perfection et refuse donc toute critique,
tout débat contradictoire public, tout contrôle, toute remise en
question. Le Gouvernement et sa majorité au Parlement développent une
mentalité de forteresse assiégée qui induit une crispation des rapports
politiques, néfastes à la construction d’une démocratie apaisée
. »
(Nous soulignons). Quand ceux qui gouvernement le Congo (et plus
particulièrement Joseph Kabila) ont été critiqués pour avoir accepté,
après des accords secrets conclus par John Numbi avec « ces tueurs
tutsis », que l’armée rwandaise revienne sur notre territoire en janvier
2009, « de droit divin », ils ont fait partir Vital Kamerhe
de la tête de l’Assemblée nationale.
« De droit divin », ils ont organisé « le mixage », ils octroyé des
postés importants dans l’armée aux disciples de Kagame du CNDP et du RCD
dans l’armée au nom de la paix retrouvée, sans justice !

Kamerhe déchu, ils ont créé une atmosphère de peur tétanisant cette « caisse de résonnance » de l’exécutif national. Les
crimes en série sont à inscrire dans cet exercice de pouvoir politique
d’occupation (ou plutôt de droit divin !), sans limite, sans
contre-pouvoir, avec la complicité des bourreaux de nos populations.
Quand un gouvernement fonctionne sans aucun respect des principes du
débat contradictoire, de contrôle et de remise en question et qu’il
croit être « de droit divin » et qu’il est appuyé dans cette façon de
faire par des élites intellectuelles et autres médias coupagistes, il se légitime sur fond du vide éthique et politique. Il fait le lit de l’ensauvagement. (La politique se réduit à
manger, à boire et à applaudir même quand on tue !)

 

Et quand ces médias et ces élites oublient
notre passé immédiat et appellent nos populations à les suivre sur
cette voie, ils condamnent ces dernières à une amnésie préjudiciable
pour un autre futur. En effet, «  il y aurait quelque
logique à placer le futur qui est invisible, derrière nous, et à faire
face au passé, parce qu’il est vu (…). Mais cet art n’est guère
accessible à ceux qui ont perdu la capacité de se souvenir ». (T.
DELPECH, L’ensauvagement. Le retour de la barbarie au XXIe siècle,
Paris, Grasset, 2005, p. 179) Dans ce contexte, s’indigner du silence
des gouvernants actuels
sur les crimes en série commis au Nord-Kivu en perdant rapidement de
vue histoire et leurs alliances avec les bourreaux de nos populations
revient à vouloir échapper à ce face-à-face permanent avec notre passé
de souffrance, de douleur et de la mort voulu par ces mêmes pyromanes.
Mais aussi avec notre passé de résistance. Cette fuite en avant
relèverait du manque criant de sagesse. Pourquoi ? « Le rapport de
l’homme à la temporalité est ainsi assuré par un face-à-face permanent
avec le passé, où se trouvent la lumière et la source de la sagesse.
Pour l’homme dans sa plénitude, le passé est un livre ouvert et le lien
avec les ancêtres le protège. » (Ibidem, p. 179-180) Ce lien le protège de la répétition des erreurs fatales et de liens qui oppriment.

 

La perte de la capacité de se souvenir partagée avec certaines sociétés thanatophiles – c’est-à-dire des sociétés  aimant
la mort et bâtissant leur prospérité matérielle sur le sang- condamne à
l’immaturité. Pour cause. Certains «  membres de ces sociétés (et
souvent pas les moindres) ont des difficultés à devenir adultes : leur
mémoire est courte, ils n’aiment pas entendre parler de leçons du passé,
mais ne reconnaissent pas davantage leur responsabilité sur le présent
et l’avenir. Ils préfèrent penser que les évènements se contentent d’arriver sans percevoir l’abdication que cette pensée recèle. » (Ibidem,
p.181) Ces membres de ces sociétés avouent eux-mêmes qu’ils veulent
travailler avec les gens tournés vers l’avenir et non ceux qui
ressassent leur passé où les massacres programmés  et les
autres injustices déshumanisantes ont compromis leurs capacités
collectives d’imagination, de créativité et d’inventivité.

Ayant
perdu, dans notre immense majorité notre capacité de nous souvenir du
caractère sacré de la vie, nous avons rejoint les gouvernants que nous
critiquons dans l’indifférence à l’endroit de nos frères et sœurs
sauvagement massacrés à l’est. Certains d’entre nous trouvent même une
excuse à cette indifférence. Ils disent : « L’est a voté Joseph Kabila
comme artisan de la paix, qu’il paie son choix dévoyé. » Comment si ce
choix pouvait justifier, à lui seul, la barbarie dont nos populations
sont l’objet !

Pourtant, il nous semble que ce qui se passe à l’est de notre pays participe de l’ensauvagement du monde ou plutôt des Africains et
des Occidentaux ayant accepté de vouer un culte à Mammon au mépris de
la vie. Sortir de « ce mal radical » est une question de justice. Mais
aussi de mémoire. Surtout de mémoire.

« Ce
mal radical » repose la question du surgissement de Staline et d’Hitler
dans l’histoire notre monde et des soutiens dont ils ont bénéficié. Après plus de 5
millions de morts et au vu des complicités mondiales y ayant contribué,
la RD Congo est aujourd’hui l’une des vitrines de la re-irruption du
« mal radical » dans l’histoire collective du monde. Ou plutôt, la RD
Congo nous rappelle que  nous avions oublié « le mal radical » trahi par la gratuité avec
laquelle des escadrons de la mort peuvent mettre fin à la vie et être applaudis… Ceux et celles « qui ont tué Dieu »  ont rompu avec toute éthique en politique et n’hésitent pas à tuer l’homme. Consciences angoissées et thanatophiles, ils disent comme disait Staline : « La mort résout tous les problèmes. Pas d’hommes, pas de problèmes. »

Il nous semble qu’en dehors de petites solutions
palliatives, de la façon dont la tragédie congolaise trouvera une issue
plus ou moins heureuse dépendra, en grande partie, l’avenir du monde. Cela prendra du temps. Beaucoup de temps. Comme c’est inquiétant…Au Congo, la cupidité des vampires du monde entier a triomphé sans que le monde s’en émeuve outre-mesure ! Comme c’est inquiétant…

 

J.-P. Mbelu

 

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