29.08.10 Camer.be «La fin de seize ans d’impunité pour les vainqueurs au Rwanda»

Dix ans de meurtres, de viols et d’exactions en
république démocratique du Congo (RDC) et une accusation d’éventuel
génocide à l’encontre du Rwanda d’aujourd’hui : c’est ce que contient la
version provisoire d’un rapport de 545 pages que n’a pas encore publié
le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH),
mais dont les fuites sont parvenues jeudi à la presse. Le document
revient sur ce qui s’est tramé dans l’ex-Zaïre entre mars 1993 et juin
2003. Une période qui couvre les deux guerres du Congo, qualifiées de
«guerre mondiale africaine» en raison du nombre de pays impliqués – 9
selon le rapport – mais aussi de victimes, qui se comptent par millions.

Rejeté jeudi comme «balivernes» par le
gouvernement rwandais, le document met Kigali dans l’embarras. Il ouvre
la voie à d’éventuelles poursuites pour «crimes contre l’humanité,
crimes de guerre, voire de génocide». Si tous les regards se tournent de
nouveau vers le Rwanda, il ne s’agit pas, cette fois, de se souvenir du
génocide de 800 000 Tutsis par des milices hutues en 1994 mais du
massacre systématique et prémédité par l’armée rwandaise, en territoire
congolais, de dizaines de milliers de Hutus qui avaient fui le Rwanda
par crainte de représailles tutsies. Le régime de Paul Kagame dément
toute exaction en RDC, et affirme n’avoir fait que poursuivre dans
l’ex-Zaïre les miliciens hutus génocidaires. Or, ce rapport du HCDH
change un rapport de force et une écriture de l’Histoire, que décrypte
pour Libération le sociologue français André Guichaoua, spécialiste de
la région des Grands Lacs.

Pourquoi des fuites de ce rapport parviennent-elles maintenant à la presse ?

En fait, le rapport est congelé depuis plusieurs
mois. Ces fuites sont habituelles, sur ce type de document, mais le plus
surprenant aujourd’hui, c’est la réaction indignée des autorités
rwandaises, alors qu’elles font pression depuis plusieurs semaines pour
bloquer le rapport !

Que pensez-vous de l’accusation de génocide formulée à demi-mots
par le rapport, à l’encontre d’une armée rwandaise accusée d’avoir
massacré des Hutus en RDC ?

Des actes génocidaires ont été commis, c’est
indéniable. Mais de tels actes ne font pas génocide. Si toutes les fois
que des actes génocidaires étaient commis, on utilisait le terme de
génocide, nous en aurions dix ou vingt par an. L’utilisation du terme
est d’ailleurs laissée à l’appréciation des juristes par le rapport, qui
n’a pas voulu franchir ce pas.

Quoi qu’il arrive, il me paraît très difficile de
mettre sur le même plan la reconnaissance d’un éventuel génocide des
Hutus au Congo avec celui des Tutsis au Rwanda. Il n’y avait pas les
mêmes objectifs, la même finalité. Ce qui est plus ennuyeux encore,
c’est le risque de globalisation de toutes les victimes des deux guerres
du Congo. Entre 1998 et 2003, la grande guerre africaine a fait entre 3
et 4 millions de victimes, essentiellement civiles, dont on ne peut pas
attribuer la responsabilité au seul Rwanda. Or, l’amalgame risque
d’être fait dans les comptes rendus et l’utilisation politique du
rapport.

Paul Kagame va-t-il de devenir un paria sur la scène internationale ?


Son
affaiblissement est déjà réel. La dernière présidentielle au Rwanda,
qu’il a remportée avec 93% des voix, n’a pas été une fête, en grande
partie à cause de la manière dont la campagne a été menée. Les motifs
d’énervement du candidat-président tenaient déjà à l’actualité qui se
profilait, avec ce rapport. Il existe par ailleurs un désenchantement
des bailleurs de fonds. Le département d’Etat américain a adressé des
critiques au Rwanda. Or, ce pays ne tient que grâce à deux ressources :
l’aide extérieure et les minerais du Kivu, région de la RDC située à la
frontière du Rwanda. C’est le fait de le dire qui pose problème
aujourd’hui.


Pourquoi les autorités rwandaises se montrent-elles aussi nerveuses concernant ce rapport ?

Parce qu’il met fin à seize ans d’impunité du camp
des vainqueurs au Rwanda. Si le Tribunal pénal international pour le
Rwanda (TPIR) avait joué son rôle et lancé des procédures sur les
massacres de Hutus, des actes connus et documentés, le sentiment profond
d’une incroyable injustice n’existerait pas aujourd’hui. Parce que le
Rwanda a bénéficié du laxisme de la communauté internationale, il se
retrouve dans une situation très complexe aujourd’hui. Des Rwandais,
mais aussi des pays comme l’Espagne ou le Canada, dont des
ressortissants ont été tués, et qui n’ont jamais osé porter plainte,
vont pouvoir le faire.

Le rapport de forces idéologique a changé, et
risque de se solder par une multiplication des procédures. Même des
observateurs des Nations unies ont été assassinés par le Front
patriotique rwandais [FPR, au pouvoir à Kigali, ndlr], et les dossiers
ont ensuite été enterrés. Tout cela peut ressurgir. On a mis sous le
boisseau un nombre incalculable de procédures, alors que tout le monde
savait que des crimes importants avaient été commis. On a construit une
success story rwandaise, un noyau de croyances qui s’est consolidé avec
la caution tacite des Nations unies. Si le TPIR avait fait son travail,
on n’en serait pas là.

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