31.08.10 Intal: Le FMI et la dette de la RD Congo
Quel est le montant exact des dettes annulées suite à la décision du FMI et de la Banque Mondiale du 1er juillet 2010 ?
Si l'on en croit les sources officielles comme le FMI,
la RDC bénéficiera d'un allégement de 12,3 milliards de dollars, dont
11,1 milliards de dollars au titre de l'initiative renforcée en faveur
des pays pauvres très endettés (PPTE) et 1,2 milliard de dollars au
titre de l'initiative d'allégement de la dette multilatérale (IADM). La
RDC est le trentième pays à atteindre le point dachèvement de
linitiative PPTE mise en place par les institutions financières
internationales (IFI) en 1996 et renforcée en 1999.
Le montant de cet allègement de dette est le plus important jamais
consenti à la RDC. Mais ne nous y trompons pas : l'objectif n'est pas de
régler le problème de la dette extérieure publique congolaise mais
seulement de la ramener à un niveau "soutenable", selon les critères du
FMI. Ce qui signifie ramener la valeur de la dette à 150% des revenus
dexportation du pays.
L'objectif de "soutenabilité", qui s'inscrit dans le cadre de cette
stratégie PPTE est, par ailleurs, très contestable en soi, puisqu'il
implique de faire rembourser à un pays le maximum de ce qu'il peut
rembourser, sans égard pour les lacunes dans le développement humain sur
place.
Le 1er juillet dernier, la RDC n'a donc pas bénéficié d'une
annulation de la dette mais simplement d'un allègement de dette, qui a
été conditionné à l'application d'une série de réformes structurelles
néolibérales. La RDC reste encore avec une dette extérieure publique de
près de 3 milliards de dollars.
Par ailleurs, il faut également prendre en compte le niveau de la
dette publique interne, qui s'élève à 1,61 milliard de dollars car son
remboursement a également un impact sur les finances publiques de l'Etat
congolais et donc sur la population.
L'Ouganda et le Rwanda ont vu leurs dettes annulées dans le passé
mais ces pays n'ont pas dû attendre huit ans comme la RDC. Comment
expliquez-vous cela?
L'Ouganda et le Rwanda sont parvenus très rapidement au point
d'achèvement PPTE car ils sont les alliés stratégiques des États-Unis,
qui, rappelons-le, dominent le FMI et la Banque mondiale. Les États-Unis
possèdent, en effet, un droit de veto de fait sur toutes les décisions
importantes des IFI. En pratique, des critères géopolitiques entrent
donc en ligne de compte pour les allégements de dettes.
Autres exemples significatifs : en novembre 2001, lex-Yougoslavie a
bénéficié dun traitement généreux de lintégralité de sa dette de la
part du Club de Paris, puisque celui-ci lui a accordé les conditions
réservées aux pays les plus pauvres. Cette faveur a fait suite à la
livraison par le nouveau pouvoir serbe de Slobodan Milosevic au Tribunal
pénal international (TPI) de La Haye le 29 juin 2001. Après avoir passé
une alliance avec les États-Unis à loccasion de leur intervention en
Afghanistan, après le 11 septembre 2001, le Pakistan a également obtenu
des mesures inhabituelles du Club de Paris en décembre de la même année,
qui a restructuré de façon avantageuse la quasi-totalité de la dette
pakistanaise à son égard.
Enfin, le cas de la RDC illustre à quel point la dette constitue un
instrument de domination politique, puisque le point d'achèvement PPTE a
été repoussé trois fois au motif que la RDC ne satisfaisait pas aux
conditions imposées par les bailleurs de fonds occidentaux (FMI, Banque
mondiale et Club de Paris1). Parmi ces conditions, citons la révision du
fameux contrat chinois en novembre 2009. Officiellement, cest le
risque daugmentation de la dette congolaise, lié à la garantie d'État
initialement prévue dans le contrat chinois, qui avait justifié
lingérence du FMI dans les affaires internes congolaises. Mais en
réalité, la RDC, à linstar dautres pays africains regorgeant de
ressources naturelles, est le théâtre dune compétition acharnée entre
les pays occidentaux et la Chine, dont lappétit ne cesse de grandir.
Il existe très certainement un lien entre cette décision d'alléger la
dette de la RDC et le fait que les économies émergentes comme la Chine,
le Brésil, l'Inde ou la Turquie tentent de se poser comme alternatives à
ce qu'on appelle les partenaires traditionnels de l'Afrique (FMI,
Banque Mondiale et Club de Paris). Avec ces allègements de la dette, ces
partenaires traditionnels veulent relégitimer leur action en
maintenant leur tutelle sur la RDC.
Est-ce que cet allègement de la dette congolaise signifie que les créditeurs ont fait un don à la RDC?
Absolument pas. Un allègement de dette ne correspond pas à un flux
financier. En revanche, les pays dits "créanciers" comptabilisent ces
allègements de dette dans leur aide publique au développement (APD) pour
la gonfler artificiellement dans le but datteindre l'objectif des 0,7%
du PNB consacré à lAPD, sans débourser dargent frais…
Quelles sont les conséquences pour le budget du gouvernement congolais?
LEtat congolais avait prévu de consacrer en 2010 environ 430
millions de dollars au paiement de sa dette publique extérieure. Avec
cet allègement de la dette intervenu le 1er juillet dernier, la RDC
n'aura pas à payer le service annuel de la dette. Toutefois, le
gouvernement congolais devra continuer à appliquer les conditionnalités
imposées par les bailleurs de fonds occidentaux. En effet, le budget
2010 de la RDC, sélevant à 6,2 milliards de dollars (soit 77 fois moins
que celui de la France pour une population de taille équivalente), est
taillé sur mesure pour satisfaire les créanciers et les investisseurs
étrangers au détriment des besoins fondamentaux de la population.
Le gouvernement congolais doit, en effet, mettre en oeuvre le
Document Stratégique de Croissance et de Réduction de la pauvreté
(DSCRP). Conformément à ce programme triennal conclu avec le FMI en
décembre 2010, pâle copie des plans dajustement structurels (PAS)
imposés par le FMI et la Banque mondiale à lensemble des pays du Sud au
lendemain de la crise de la dette de 1982, le gouvernement congolais a
pour priorité l'amélioration du « climat des affaires ». Autrement dit,
le gouvernement doit œuvrer pour le bien-être des transnationales en
accélérant le bradage de ses ressources naturelles et en privatisant ses
secteurs stratégiques. Par conséquent, l'atteinte du point d'achèvement
par la RDC ne signifie pas une diminution de l'emprise du FMI et de la
Banque mondiale sur la politique congolaise.
Il est d'ailleurs prévu que, d'ici la fin de cette année, le
gouvernement doit achever la privatisation des entreprises publiques
telles que la Gécamines ou encore la Société Nationale des chemins de
fer (SNCC). Cette politique de privatisation a des conséquences
importantes sur le plan économique puisquelle entraîne automatiquement
moins de recettes pour lEtat. Dans ce contexte, on peut se demander
comment la RDC pourra rembourser ce qui lui reste comme dette…
Ces privatisation entraîneront également des dizaines de milliers
demplois supprimés comme ce fut notamment le cas en 2003-2004 avec
l'opération dite "Départs volontaires". Ce plan de licenciement illégal a
frappé 10 655 travailleurs de la Gécamines, qui nétaient plus payés
depuis 36 mois! La Banque Mondiale était alors intervenue en finançant
ces licenciements, sur demande du gouvernement congolais, mais en
prenant le soin dimposer au préalable ses conditions illégales : la
Banque a plafonné le montant des indemnités selon une forme « pour
solde de tout compte » et un mode de calcul qui violent le droit du
travail congolais. Alors que lenveloppe sollicitée par la direction de
la Gécamines était de 120 millions de dollars contre 240 millions
réclamés par les travailleurs, le consultant recruté par le gouvernement
congolais sur recommandation de la Banque Mondiale et chargé de
calculer le montant de lindemnisation, propose seulement un forfait
« pour solde de tout compte » de 43 millions de dollars ! Depuis 2004,
ces ex-travailleurs luttent pour le recouvrement de leurs droits. En
dépit de documents officiels attestant de l'illégalité de ce plan de
licenciement, ils n'ont toujours pas reçu leurs indemnités. La Banque
mondiale, comme à son habitude fait reposer l'entière responsabilité sur
le gouvernement congolais et la Gécamines…
Que pensez-vous du fait que le Canada a voté contre la décision
d'alléger la dette congolaise du fait que le gouvernement congolais
avait résilié le contrat KMT avec la société First Quantum?
Cette
opposition du Canada est une preuve supplémentaire que la dette
constitue un puissant alibi pour s'ingérer dans les affaires internes
des pays du Sud. Rappelons que suite à l'annonce par le gouvernement
congolais de la résiliation du contrat KMT en août 2009, plusieurs
représentants politiques du Canada, Hilary Clinton et même le président
de la Banque mondiale, Robert Zoellick, ont fait le déplacement à
Kinshasa pour "raisonner" Kabila. En effet, la Banque mondiale a des
intérêts économiques dans ce contrat KMT car la SFI (Société financière
internationale, composante du groupe Banque mondiale) en est un des
actionnaires.
Pour ces représentants, la résiliation du contrat aura des effets
néfastes sur le "climat des affaires" en RDC. Ce qui est important,
c'est de constater la politique "deux poids, deux mesures" des
Occidentaux. Car d'un côté, les IFI et le Club de Paris imposent la
révision du contrat chinois (même s'il s'agit bien d'un contrat léonin
au détriment de la partie congolaise) mais de l'autre coté côté,
interdisent au gouvernement congolais de revenir sur le contrat KMT
alors qu'il est entaché de nombreuses irrégularités. Aujourd'hui, le
litige sur KMT est porté devant la Cour d'arbitrage de Paris, privant
ainsi la RDC de sa souveraineté permanente sur ses ressources
naturelles.
Pourquoi faut-il continuer à demander l'annulation de la dette sans conditions?
Il existe de nombreux arguments (moraux, économiques, juridiques,
écologiques et historiques) pour justifier cette revendication3. Comme
on l'a vu, la dette constitue notamment un instrument de domination
politique au service des intérêts des transnationales. A l'instar de
nombreux pays du Sud, il ne fait aucun doute que la dette congolaise n'a
pas servi à la population. Elle constitue même l'archétype de la dette
odieuse : une dette sans bénéfice pour la population, contractée par une
dictature (celle de Mobutu) avec la complicité des créanciers4. Cette
dette est nulle en droit international et doit donc être annulée
totalement et sans conditions. Soulignons que le gouvernement congolais
est fondé à répudier la totalité de sa dette. Une dette décision
constitue un acte souverain légitimé par le droit international.
Plus d'informations sur le Comité pour l'Annulation de la dette du Tiers-Monde
Cet article fait partie d'un petit dossier sur l'allègement de la dette du Congo.
1. Institution informelle qui sest réunie pour la première fois en
1956, composée aujourdhui de 19 pays : Allemagne, Australie, Autriche,
Belgique, Canada, Danemark, Espagne, Etats-Unis, Finlande, France,
Irlande, Italie, Japon, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Russie, Suède et
Suisse.